La montagne en partage #1 et # 2

Look flashy, les trailers commencent la randonnée en tête. Direction la Pierre-Percée, curiosité locale qui attire chaque semaine des dizaines de visiteurs, souvent en famille. Suivent de près la polaire orange du chasseur accompagné de son chien, les anoraks et les bottes des agriculteurs. La règle du jeu est simple : les usagers de la montagne doivent échanger sur leurs pratiques, et leurs clichés. Pour apprendre à mieux se connaître.
Premier tournant, premiers échanges. Le chemin, boueux en ce mois d'avril, est truffé d'ornières. « Nous, on aime bien », apprécie un VTTiste. « La montagne est un terrain de jeux fabuleux », confirme le trailer. Pour Alain Villard, le maire de Pierre-Châtel, il faut surtout éviter les glissements de terrain. La commune installe donc à certains endroits des gouttières en métal, moins pratiques pour les vélos... « Ici, le problème que l'on a, c'est avec les motos et les quads, soupire l'élu. Mais il faut quand même que les jeunes aient quelque part où aller : je préfère les voir sur les chemins que dans les bistrots ! »
Entretien du paysage
Plus loin, une parcelle agricole offre une percée à travers les arbres. « C'est parce qu'il y a ces trouées le long du trajet qu'on a la vue », rappelle Claire Bonneton, chargée de mission paysage au CAUE et co-organisatrice de la balade avec Terre Dauphinoise et l'association culturelle du Ciné-Théâtre de La Mure. La parcelle appartient au maire de la commune avoisinante qui l'entretient, mais ce n'est pas toujours le cas... « Quand ce sont des parcelles privées, on ne peut pas toujours réaliser ces trouées le long des sentiers de randonnées. Il faut faire des études cadastrales et des travaux d'élagage », précise Fabien Mulyk, vice-président du Département en charge de la forêt.
La conversation roule sur l'entretien des haies. « Quand on regarde les photos d'il y a quelques années, explique Claire Bonneton, on voit qu'il y avait beaucoup moins de haies, les espaces étaient plus dégagés ». Aujourd'hui, les espaces sont plus fermés, car difficiles à entretenir. « Il y a un vrai problème de déprise agricole dans les parcelles pentues, intervient Pierre-Denis Rippert, éleveur laitier à Villard-Saint-Christophe. Si elles sont laissées à l'abandon durant quelques années, la nature reprend ses droits. Dans 30 ans, ce sera une forêt. » Qualifiées de « mange paysage » par certains, les haies sont aussi « un mange temps » pour les agriculteurs responsables de leur entretien.
Ouvrir le paysage
Les particuliers qui participent à la balade commencent à comprendre les enjeux territoriaux qui se matérialisent sous leurs yeux. « Il faut continuer à ouvrir le paysage pour que la biodiversité puisse se développer, car rien ne pousse en forêts fermées », explique Serge Saulquin, retraité de l'ONF et conseiller municipal de Nantes-en Rattier. Il décrit les milieux de vie de certaines espèces qui s'épanouissent dans les forêts clairsemées, comment les sauvegarder. « Le changement climatique, c'est une évidence, souligne-t-il. On réfléchit à introduire du cèdre comme essence de substitution, car le sapin ne tient plus la sécheresse. »
Les yeux au sol, un randonneur demande à quoi correspondent les traces de pattes dans la neige fraîche. « C'est un sanglier », expertise Michel Pradourat, de l'Acca de Pierre-Châtel. Sujet délicat dans le milieu. « C'est difficile de remettre en état une parcelle agricole après des dégâts de sangliers », explique Pierre-Denis Ripert. Et c'est de pire en pire... « L'an passé, je n'ai jamais vu autant de dégâts », confirme le chasseur qui explique l'importance de l'enjeu pour les associations de chasse (Acca), car ce sont elles qui indemnisent les agriculteurs. « On pose des parcs, on réalise des battues mais il y en a toujours pour dire que ce ne sont pas leurs sangliers. »
C'est quoi cette horreur ?
Au loin, en relevant le regard, l'alpage du Grand Serre pousse Gaëlle Lozier, une ancienne bergère, à raconter son expérience. « Il y avait bien 2 700 brebis il y a une dizaine d'années sur cet alpage, et aussi des bovins. » Une époque aujourd'hui révolue. « Mais cette piste au milieu, c'est quoi cette horreur ? », demande un « amoureux du paysage ». Le propos fait grommeler le président du GDS, venu en voisin participer à la balade. « C'est pas une horreur, faut pas voir les choses comme ça », corrige Jean-Yves Bouchier. La bergère explique que c'est le chemin utilisé pour monter le matériel à l'alpage car « les brebis, on ne peut pas les laisser seules en haut ». L'alpage a aussi une fonction de protection contre les avalanches, précisent les professionnels. « On a de la peine à imaginer que les gens connaissent si mal le milieu rural », souffle Alain Villard.
Au fur et à mesure que la petite troupe avance vers la Pierre-Percée, la neige s'épaissit, le rythme de la marche ralentit, les problématiques fondent. Là où certains ne voient qu'esthétique, d'autres mettent l'accent sur l'intérêt professionnel de la neige. « C'est pas un problème :c'est une réserve d'eau, et l'herbe, en dessous, est préservée du gel », explique Jean-Yves Bouchier. « On a de la peine à imaginer que les gens connaissent si mal le milieu rural », souffle Alain Villard.
Virginie Montmartin
Le paysage, ça se partage... le 21 septembre à Villard-Saint-Christophe

Apéritif offert, pique-nique tiré du sac.
Poursuite possible par une balade patrimoniale du village à 15h avec l'URM (Université Rurale Montagnarde).