La montagne veut une PAC créative
Diaporama de la manifestation.

De quels outils l'Europe doit-elle se doter pour permettre à l'agriculture d'être viable sur tous ses territoires ?
La question est simple, la réponse beaucoup moins. Car en montagne, dans les zones rurales fragiles ou périphériques, l'agriculture n'affronte pas le marché avec les mêmes armes ni les mêmes handicaps que l'agriculture des grandes zones de plaine.
Bien sûr, la problématique n'est pas nouvelle : la PAC a déjà mis en place plusieurs dispositifs pour y répondre (aides couplées annuelles à la production, mesures agro-environnementales, ICHN...).
Faut-il aller plus loin, voire imaginer d'autres stratégies ?
C'est pour réflechir à ces questions que le think tank agricole Farm Europe, appuyé par le parc du Vercors, a invité une centaine d'agriculteurs, de politiques et d'experts à participer au Global Food Forum à Lans-en-Vercors le 22 juin.
Mission : miser sur l'intelligence collective pour engranger une moisson d'idées innovantes susceptibles de nourrir la réflexion des décideurs européens dans la perspective de la PAC 2020.
Rôle social de l'agriculture
Le Vercors n'a pas été choisi au hasard.
Durant les débats, ses représentants l'ont en effet positionné comme un « terrain d'expérimentation », capable de démontrer la rentabilité de l'agriculture sur un territoire de montagne, malgré un contexte de réchauffement climatique et de limitation des ressources en eau.
« Notre territoire est entouré par deux grandes métropoles qui jouent un rôle non négligeable, précise Jacques Adenot, le président du parc naturel du Vercors. Notre agriculture bénéficie d'un bassin de consommateurs qui sont aussi des usagers. »
Cette situation a ses avantages... et ses inconvénients.
Les débouchés économiques sont réels, mais les contraintes aussi.
« Les agriculteurs veulent que le rôle social et la multifonctionnalité de l'agriculture soient reconnus. Ils font plein de choses, pour la biodiversité ou le tourisme par exemple, mais ne sont pas payés pour », résume le président du parc.
Pourquoi la PAC ne valoriserait-elle pas ces « services » ?
François Rony, éleveur à Saint-Nizier-du-Moucherotte, suggère même de « faire évoluer la PAC de façon à ce qu'elle devienne un moteur de créativité ».
« Apporter de la sécurité aux producteurs ».
Autre piste de réflexion, la création d'un label local qui permettrait de reconnaître les races ou les produits locaux.
Une démarche similaire a bien été engagée avec le label européen « produit de montagne », mais son succès est plutôt mitigé.
Les signes de qualité de type AOC, AOP ou IG fonctionnent bien mieux.
C'est ce dont témoigne Michel Lacoste, vice-président de la FNPL, prenant l'exemple des AOP fromagères qui ont permis de « répondre à des problématiques de crise en apportant de la sécurité aux producteurs ».
Il a fallu pour cela muscler les cahiers des charges, ce qui répond par ailleurs à une attente sociétale en termes de qualité.
« Cela se traduit par une meilleure valorisation, mais ce n'est pas de la magie : c'est de la construction. Et c'est complexe ! », souligne l'éleveur cantalien.
Huit fromages français sous AOP ou IGP disposent ainsi de règles pour réguler l'offre et accompagner le marché, ce qui a « un effet notoire sur la gestion des stocks et donc l'amélioration de la qualité ».
« C'est un outil dérogatoire au droit de la concurrence que nous avons obtenu dans le paquet Lait, indique Michel Lacoste. Ça ne coûte rien à l'Europe, c'est souple et ça fonctionne. Pourquoi ne pas l'étendre au bio ou à la production fermière ? »
Ce pourrait en effet être une piste pour tous les producteurs hors AOP... et ils sont nombreux en montagne ou en zone rurale fragile.
« Si on veut conserver une agriculture familiale avec des agriculteurs propriétaires de leur capital, il faut leur en donner les moyens. »
Les jeunes agriculteurs soulignent quant à eux la nécessité de se pencher sur la question de la transmmission et son corollaire, la transmissibilité.
« C'est un enjeu réel, insiste Benoît Julhes, éleveur de porc dans le Cantal. Les exploitations grossissent, ça implique plus d'investissement et aussi plus de rentabilité. Si on veut conserver une agriculture familiale avec des agriculteurs propriétaires de leur capital, il faut leur en donner les moyens. »
Le matin même, le commissaire Phil Hogan, visitant l'exploitation de Paul Faure, producteur laitier et président de Vercors Lait, avait suggéré une piste allant dans le même sens : la PAC pourrait soutenir non seulement le jeune agriculteur qui reprend la ferme familiale, mais aussi ses frères et sœurs qui auraient une activité autour pour projet de développement.
Plaidoyer pour la diversité
Dans le même ordre d'idée, Benoît Julhes rappelle l'importance stratégique des « productions structurantes » pour les territoires de montagne.
« Quand il y a du lait, il y a de la vie, fait-il remarquer. Si ça disparaît, les paysages se ferment. C'est pareil pour la production porcine : on pourrait la perdre, car elle attire peu de producteurs et que l'on a de moins en moins d'outils d'abattage spécifiques. »
D'où son appel à « maintenir un panel d'aides pour soutenir une diversité d'activités dans les territoires, ici le lait, là le porc, ailleurs la chèvre ou la brebis ».
Dans son sillage, certains parlent de préserver les savoir-faire, les autres de booster la créativité, de construire de nouveaux débouchés (la restauration collective par exemple) ou de nouvelles filières.
Quelle que soit leur origine, tous militent pour la diversité, clé permettant aux jeunes de s'investir pour « rester au pays ».
Car, souligne l'Aveyronnais Dominique Fayel, si « la ruralité n'est pas qu'agricole, l'agriculture irrigue tous les territoires ruraux : c'est ce qui permet de greffer le reste ».
Et donc de les maintenir en vie.
Marianne Boilève
Le loup, premier handicap des éleveurs de montagne
Christiane Lambert a profité de sa venue au Global Food Forum pour rendre visite à Baptiste Blanc, un jeune éleveur du Vercors qui doit composer avec la présence du loup depuis plus de dix ans.Le petit troupeau de chèvres traverse une prairie vert tendre pour se mettre à la fraîche sous l'œil vigilant de deux gros patous, l'air fatigués.
A l'arrière du bâtiment d'élevage, quelques limousines broutent paisiblement.
La ferme de la famille Blanc se trouve sur les contreforts du Vercors, paradis de la randonnée et du tourisme vert.
Ce matin, ce ne sont pas des promeneurs qui traversent la cour, mais Christiane Lambert, suivie d'éleveurs, d'élus et de représentants syndicaux.
La présidente de la FNSEA a souhaité profiter de sa venue au Global Food Forum pour « mettre le loup au cœur des discusions ».

Faute de preuve, le jeune éleveur a été relaxé. Mais il s'en est fallu de peu qu'il soit condamné.
« Le tribunal considère les patous comme des chiens dangereux, au même titre que les chiens d'attaque », témoigne l'agriculteur, désabusé. Christine, sa mère, renchérit : « De toute façon, quand vous avez des patous, vous n'avez plus beaucoup d'amis...»
La présence des patous - et les problèmes de voisinage que cela implique - n'est qu'un aspect du problème.
La présence avérée du loup nécessite un ensemble de mesures de protection coûteuses qui vont de la pose de filets électriques au gardiennage.
« Comme nous trayons les chèvres, le soir, elles dorment à l'abri et nous n'avons pas eu de casse jusqu'à présent, indique Christine Blanc. Mais nous sommes obligés de faire vêler les vaches à l'intérieur et ne sortons plus les veaux avant trois mois. Le loup, c'est du stress pour tout, tout le temps...»
Son fils ajoute : « Il y a des mesures de protection pour les ovins et les caprins. Ce n'est pas le Pérou, mais ça existe. Pour les bovins, il n'y a rien. » Protection du pastoralismeOr le loup ne s'attaque plus seulement au petit bétail.
Les bovins et les équins sont de plus en plus vicitmes de ses agressions.
« On est à un point de bascule, confirme Pascal Denolly, président de la FDSEA. Dans le département, le loup est présent partout, même dans les Chambaran ou en plaine. Il faut désormais que l'on se place dans une logique de protection du pastoralisme. »
Yann Souriau, maire de Chichillianne, embraye en expliquant que le problème n'est plus seulement celui de l'agriculture, mais celui de la société toute entière.
« Les éleveurs et les élus se sentent très seuls dans cette affaire. Car quand un loup attaque un troupeau, il met les bêtes en panique et ça les rend dangereuses. En cas d'accident avec des randonneurs, qui va se retrouver derrière les barraux ? Tout le monde peut baratiner : ce sont l'éleveur et le maire de la commune qui iront en taule ! »Attentive, Christiane Lambert écoute les témoignages poignants des uns et des autres.
Puis elle précise finement n'être « pas pour l'éradication du loup, mais pour le zéro attaque ».
C'est d'ailleurs le message qu'elle est en train de faire passer partout, tant auprès du ministre français de l'Ecologie que du commissaire Hogan avec qui elle a déjeuné dans le Vercors.
Sa stratégie : « faire entendre un discours différent » pour conduire l'Europe à « mieux gérer le loup ».
Et obtenir des autorités françaises de faire passer le quota de « prélèvement » de 36 à 50 loups, compte tenu de l'évolution des effectifs.MB
A lire et à écouter :
- La PAC 2020 sera « résiliente » pour les agriculteurs
- La rentabilité des filières (atelier)
- Le discours de Michel Dantin, députée européen, lors du GFF