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Production

La noix va-t-elle faire exploser sa bulle ?

Un marché flamboyant ne saurait cacher les points de tension qui apparaissent désormais dans la filière noix. Les prix, le verger, la concurrence sont autant de points de vigilance que certains observent déjà avec attention.
La noix va-t-elle faire exploser sa bulle ?

Que le prix payé au producteur de noix égale ou dépasse 3 euros le kilo cette année ne fait aucun doute. La récolte est rare et précoce, la qualité correcte et le marché porteur : le système de l'offre et de la demande a donc naturellement fonctionné en faveur d'une tendance haussière du prix de la noix. Pour autant, ça et là quelques uns commencent à s'interroger : le prix pourra-t-il grimper indéfiniment ? Le marché est-il capable d'absorber des hausses annuelles de 10 à 15% ? Jusqu'où le consommateur est-il prêt à payer ? Le marché export ne doit-il pas craindre la concurrence ? Le verger est-il capable de supporter la pression ?
En 2013, le kilo de noix s'était échangé 2,78 euros, prix payé au producteur par Coopenoix. D'aucuns s'en souviennent, les quantité étaient exceptionnelles et la qualité « médiocre ». Forte de son AOP, la noix de Grenoble s'en était plutôt bien tirée sur les marchés, non sans quelques avertissements, notamment depuis l'Italie, son principal importateur. En 2014, il y a peu de noix, mais les calibres sont corrects : le 28/30 l'emporte sur la récolte et les calibres supérieurs présentent quelques heureuses surprises.
« Tous calibres, le prix de la noix sera d'environ 3 euros », avance prudemment Marc Giraud, le directeur de Coopenoix à Vinay. « Nous sommes dans des niveaux de prix proches du maximum, estime-t-il. En effet, les noix se vendent en hypermarché à 6 euros le kilo, de Champ-sur-Marne à Marseille, en passant par Mulhouse et Quimper, qu'il s'agisse de noix de Grenoble ou du Périgord. « Cependant, le rapport qualité-prix est meilleur cette année », note Marc Giraud. « Je ne pensais pas que les prix arriveraient aussi haut », confie un opérateur. Certains distributeurs trouvent que c'est déjà beaucoup trop cher. « Les clients (ndlr, les distributeurs) nous le disent. D'ailleurs ils en prennent moins », constate Agnès Rivière, de l'entreprise Rivière Noix à Vinay. « On arrive à un prix plafond, astronomique, ce qui pose des problèmes de trésorerie à nos clients. Certains n'ont pas vendu, d'autres cherchent ailleurs, moins cher, vers d'autres pays », poursuit Agnès Rivière.

Question de marges

A 6 euros le prix de vente au consommateur, les grandes surfaces ne peuvent plus doubler leur marge car la marchandise est devenue trop chère. A moins qu'elles ne passent en direct, comme c'est le cas de Provencia Voiron, qui tire avantage de se trouver dans la zone de production et vend ses noix environ 5 euros le kilo. « Je suis convaincu que le consommateur paye le prix si le produit est de qualité », estime Alain Galiot, le directeur de Carrefour Provencia. Sans intermédiaire, il privilégie les producteurs locaux. « La noix n'est pas un produit hyper sensible », concède-t-il. Mais dans la plupart des cas, entre le prix payé aux producteurs et celui du consommateur, les intermédiaires voient leurs marges s'éroder, ce qui n'est pas sans poser problème à tous les niveaux de la chaîne. En gros, achetée 3 euros, la noix est revendue entre 3,50 et 4 euros à l'intermédiaire et arrive à 4,50 en magasin. Pour l'heure, c'est le producteur qui s'y retrouve. Mais pour combien de temps ? « C'est une question de marge plus que de prix. A un moment, la croissance des prix va fatiguer le client », lance Thierry Arnaud, de Valnoix à Moirans.

Approchés en direct

Cette situation dysmorphique n'a pas été sans créer quelques tensions cette année, y compris entre metteurs en marché, presque trop nombreux pour traiter le volume disponible.  Globalement, les producteurs sont restés fidèles, se souvenant du service rendu par leurs interlocuteurs respectifs l'an passé, qui ont absorbé l'ensemble d'une récolte surabondante. Mais ils ont été approchés en direct, par des acteurs de la filière, tout au long de la récolte. « Sur un marché porteur, tout le monde est capable de vendre de la noix. Lorsque ça devient compliqué, on s'adresse aux spécialistes », reprend le dirigeant de Valnoix. Les opérateurs le savent bien, en début de saison, il se peut que quelques tonnes passent en direct.

Le marché est aujourd'hui tellement tendu qu'il n'y a pas de différence de prix entre la noix AOP et les autres variétés. « C'est le calibre qui fait la différence de prix », rappelle Baptiste Pion Sarrola, de Delphinoix dans la Drôme. « Les critères qualitatifs de nos clients ne sont pas ceux des producteurs. Ils veulent un produit sain et bon », insiste Thierry Arnaud. « C'est le terroir qui compte », confirme Agnès Rivière.

Concurrence internationale

Mais la noix de Grenoble évolue sur un marché international, qui influe aussi sur l'évolution des prix. Cette année,elle est arrivée tôt sur les marchés, avec trois semaines d'avance, comparé à l'an passé, ce qui lui garantit un avantage compétitif considérable. L'Italie reste traditionnellement le marché de référence pour les nuciculteurs du Sud-Est, d'autant que la dernière campagne du CING y a porté ses fruits. L'Espagne est en retrait car servie de préférence par les producteurs du Sud-Ouest, qui cette année, ont de la quantité. Le marché allemand est très fluctuant en fonction de la nature des contrats. « Il est structuré autour de discounter, qui se battent à coup de marges », regrette Thierry Arnaud. Mais ce pré carré européen peut être incidemment remis en cause par des noix venues d'autres continents.
« Heureusement que nous n'avons pas eu 1 000 tonnes de plus à vendre cette année car nos gros clients achètent tous aux Etats-Unis. Leurs noix sont plus chères car de calibres très supérieurs, au delà des 32 mm », explique Baptiste Pion Sarrola de Delphinoix. Il considère le Chili comme un des principaux concurrents à moyen terme. « Le Chili plante beaucoup et la récolte a lieu avant celle de la France. Il y a du stock dès le mois de septembre », affirme-t-il.

Etat sanitaire du verger

Des prix plafonds, un marché international et dérégulé : d'aucuns se demandent si les cours de la noix française ne risquent pas un retournement. « Lors d'une récolte normale, les prix se tasseront », prévoit un connaisseur. « Pour le moment, il n'y a pas de raison pour que le marché s'effondre. Il nous faut rester dans le haut de gamme », estime Baptiste Pion Sarrola.
Car les risques viennent tout autant du marché que du verger. A commencer par son état sanitaire. Bactérioses, anthracnoses et maintenant collectotrichum : les arbres peinent à produire à plein rendement. La monoculture sur un verger vieillissant et dense ne joue pas en faveur de la maîtrise des maladies, cela en dépit des soins prodigués par les nuciculteurs, soucieux de l'état de leur verger. Les pertes seraient estimées à 10% de la récolte.

Un avertissement qualité a été donné aux producteurs du Sud-Est l'an passé. Cette année, la tension sur les prix devient saillante. 2015 sera-t-elle l'année de la concurrence internationale ? Si la noix se porte bien, quelques signaux d'alerte clignotent ça et là.

Isabelle Doucet