La nouvelle ère de la production laitière

Le 31 mars 2015 marquera la fin des quotas laitiers. Ces droits à produire avaient été instaurés en 1984 pour prévenir les crises laitières. « Nous sommes à un tournant, le dernier ? Tout reste à construire », a lancé Jean-Michel Bouchard, responsable du dossier lait, lors de la journée laitière organisée par la FDSEA au Grand-Lemps fin décembre. Pour anticiper la libéralisation du marché du lait, les négociations vont bon train avec les laiteries, et les producteurs s'organisent. Mais ils évoluent sur une scène mondiale où influent de nombreux paramètres.
Production locale, marché mondial
« Ce qui se passe dans la filière laitière a à voir avec la filière mondiale », assurait André Bonnard, producteur de lait dans la Loire et trésorier de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL). Invité par la section laitière de la FDSEA, il a rappelé que « depuis le début de l'année, les quatre grands blocs producteurs de lait, les Etats-Unis, l'Union européenne, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, produisent avec dynamisme et sans entrave météorologique. » Dans un contexte où la loi de l'offre et de la demande a très bien fonctionné jusqu'à l'été 2014, la France a fourni un milliard de tonnes supplémentaires sur les 10 milliards produits en plus dans le monde. « C'est le pays qui en a le plus sous le pied », confirme André Bonnard, car la France n'est pas sous le coup de dépassements. Le tout a été tiré par la forte demande de la Chine sur la poudre de lait écrémé et entier. C'est l'embargo russe qui est venu mettre un terme à l'embellie. En effet, après cet épisode, les acheteurs ont adopté une attitude d'attente, dans l'espoir que les marchés s'affaissent. « Les acheteurs imaginent aller au bout de la baisse et l'on ne sait pas quand cela va basculer », analyse André Bonnard. Une chose est certaine, il ne s'agit pas d'une crise de surproduction.
Baisse du prix du lait
Aujourd'hui, ce sont davantage les cours du lait en poudre que du beurre qui subissent cet attentisme. La baisse du prix du pétrole pourrait également avoir un impact sur le cours du lait car les pays vendeurs d'hydrocarbures sont aussi ceux qui achètent du lait. Ramené à l'échelle européenne, André Bonnard, rappelle que l'Allemagne, comme le Danemark et les Pays-Bas, produit aujourd'hui son lait avec des pénalités. Mais la donne changera le 31 mars 2015 avec la fin des quotas. Et pour l'heure, l'Europe stocke. Il apparaît clairement que le prix du lait perdra 9,3 points au 1er trimestre (indicateur Cniel) comparé à 2014 où il s'établissait entre 360 et 365 euros les mille litres. Le prix de base ne dépassera donc pas les 320 à 330 euros en ce début d'année, sans tenir compte de la saisonnalité. « L'enjeu pour 2015 est de remettre le prix de vente consommateur à l'échelle du prix de vente des industriels, ce qui suppose d'avoir des discussions avec les distributeurs », reprend André Bonnard. Certains ont dit stop à la guerre des prix. « Saura-t-on faire entendre raison à Casino », s'interroge l'administrateur de la FNPL, qui plaide pour un relèvement du prix au consommateur. Pour surmonter cette période délicate, l'administrateur rappelle que la FNPL a conclu un pacte laitier avec les banques (Banque populaire, Crédit agricole et Crédit mutuel) pour mettre en place une modularité des prêts lors des crises de volatilité.
Organisations de producteurs
De leur côté, les industriels n'ont pas attendu de subir la pression de la distribution, ni les aléas du marché pour mettre en place des stratégies. « L'industrie allemande cherche à se désengager le plus possible de son marché intérieur pour aller vers le grand export, » poursuit André Bonnard. Pour faire face à ces situations volatiles, des usines de beurre et de poudre ont été construites depuis quelques années, mouvement enclenché depuis 2011 par les industriels français.
A l'heure de l'après-quotas, certaines industries agroalimentaires font donc le pari de l'international tandis que d'autres n'ont pas encore affiné leur stratégie. En ce qui concerne les coopératives, il y a une volonté d'ajustement, à l'image de Sodiaal, qui accompagnera les exploitations désireuses de se développer en accord avec son projet d'entreprise. « Nous avons cessé d'être mono-produit, le lait de consommation ne représente plus que 27% de nos activités », explique Laurent Vial, administrateur Sodiaal. À partir du 1er avril 2015, chaque entreprise laitière définira le volume contractualisé avec ses producteurs, selon des modalités différentes entres coopératives et laiteries privées. C'est la raison pour laquelle, les responsables agricoles incitent les livreurs en laiteries à s'investir dans les Organisations de producteurs (OP) de façon à mener à bien les chantiers de contractualisation, qui portent tant sur les volumes que les prix ou la qualité. Il y a aujourd'hui trois OP en Isère : l'Association des producteurs Lactalis du Sud-Est (APLSE), l'Union des producteurs laitiers du saint-marcellin (UPLSM) et l'OP Danone Sud-Est. « On a intérêt à jouer groupé», souligne Didier Villard, éleveur et vice-président de la FDSEA.
Isabelle Doucet
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Répartition des producteurs laitiers par acheteurs en Isère
Achat lait (Lactalis) : 15,21% (111 producteurs)
Biolait : 0,11% (2 producteurs)
Coopérative laitière de Haute-Tarentaise : 1,11% (1 producteur)
Danone : 23,76% (125 producteurs)
Laiterie du Chatelard Ets Bernard : 2,53% (17 producteurs)
Alpine : 3,44% (21 producteurs)
Fruitière Domessin : 12,79% (61 producteurs)
Savoie : 4,22% (12 producteurs)
Sainte-Colombe : 4,74% (30 producteurs)
Sodiaal : 27,92 (188 producteurs)
UCLA : 1,4% (11 producteurs)
Valcrest : 1,72% (10 producteurs)
Laiterie du Mont-Aiguille : non communiqué
Il existe 13 opérateurs laitiers en Isère. Sodiaal, Achat lait et Danone captent 70% de la collecte laitière du département.
(Source : DDT Isère)