La Palégrié, une cuisine aux sens uniques

Pousser la porte du Palégrié à Corrençon-en-Vercors, c'est entrer dans l'univers de Guillaume Monjuré qui cultive l'élégance au naturel, dans sa cuisine comme dans son écrin.
Le chef trentenaire et récemment étoilé affiche un flegme que vient interroger un parcours de comète.
Ses 20 années derrière les fourneaux lui ont permis d'enchanter les plus belles tables du monde. Il a quitté les pianos de la Mamounia à Marrakech pour créer un premier Palégrié à Lyon, entre 2012 et 2016.
« Nous voulions nous installer sur le plateau lorsque nous sommes rentrés du Maroc », explique Guillaume Monjuré, dont la compagne, Chrystel Barnier, est sommelière et vertacomicorienne.
Las, aucun établissement ne correspondait aux aspirations du couple, qui a attendu patiemment que l'ancien chef de l'hôtel du Golf passe la main pour racheter le restaurant.
Pièces uniques
En moins de deux ans, de la cuisine à la salle, tout a été repensé.
« Je veux que tout soit unique, reprend-il. Toutes les pièces du restaurant sont faites pour le restaurant et produites le plus proche d'ici ». Il souhaite « retrouver l'esprit de la maison originelle, faite de bois et de pierres d'ici ».
Les tables sont recouvertes d'un cuir de Romans-sur-Isère issu des secondes mains d'Hermès, les tentures sont signées de la maison Arpin en Savoie, la vaisselle a spécialement été réalisée par un céramiste de Méaudre « et j'ai rendez-vous avec un verrier à Lans pour les lustres et les verres à eau », poursuit le restaurateur.
A l'affût de la pièce unique, le plateau de la grande table a été tiré « d'un platane de la ville de Grenoble abattu en 1998 ».
Unique comme l'est sa cuisine, chaque jour renouvelée.
Car au Palégrié, il n'y a pas de carte, mais un menu qui change quotidiennement au gré de la cueillette et de l'humeur du chef.
L'exercice est difficile mais a rapidement obtenu la reconnaissance du guide Michelin qui a octroyé à Guillaume Monjuré sa première étoile moins d'un an après son installation. C'est la « cuisine d'auteur » qui a été distinguée.
« Cela crédibilise notre travail, reconnaît le chef qui découvre un problème nouveau : la peur de la perdre ! ».
Patiemment, le cuisinier réinvente chaque jour d'envoûtantes combinaisons.
« Je désire construire un plat en racontant une histoire », explique-t-il. Parfois le produit s'impose, à d'autres moments, ce sont les fleurs, les épices ou les légumes qui dictent l'assiette. « La cerise, la fleur de sureau et la thonine associées donnent un plat », cite le chef en exemple.
Il connaît ses gammes et ses accords par cœur et sur le bout des papilles. « J'ai fréquenté beaucoup de maisons très différentes. Tout a été fait, mais il s'agit de travailler différemment d'assaisonner autrement. Chacun interprète à sa façon. »
Le cynorhodon ou l'aspérule
Le Palégrié, c'est avant tout un esprit cueillette.
Le cuisinier a recruté une personne uniquement chargée du jardin potager en permaculture et de la cueillette sauvage.
Près d'une soixantaine de plantes, fleurs, fruits et baies composent la palette des plantes aromatiques de l'établissement. « Ici, tout est à portée de main », se délecte Guillaume Monjuré.
Il décline volontiers ses trouvailles du bout du chemin : serpolet, origan, aspérule odorante « qui dégage une odeur de fève vanillée que j'utilise pour parfumer la glace », bourgeons de marguerite « pour remplacer les câpres », bourgeons de sapins, sureau, coquelicot, fleurs de rosiers sauvages qui servent à la confection des desserts. « Il n'y a que l'ail des ours qu'il faut aller chercher dans les gorges de la Bourne car ici, nous sommes trop haut ! »
Il ajoute : « Personne ici ne ramasse la fleur de carotte sauvage, le cynorhodon ou d'aspérule ».
Ce qu'il ne trouve pas, il le cultive. On soupçonne une connaissance encyclopédique des plantes aromatiques, qu'il prépare, conserve, pour les sublimer.
Les essais, en décoction, en lactofermentation, peuvent prendre plusieurs années. Les bocaux trônent dans la salle de restauration.
Méthodes d'abattage
Il reconnaît la même exigence avec ses fournisseurs.
Son produit phare, c'est le cristovomer produit par la pisciculture du diois La truite d'Archiane. Une croissance lente, et un abattage selon une méthode traditionnelle japonaise, méthode ikijime, qui signifie « tuer vivant », confèrent au poisson non seulement une chair ferme et plus fine, mais permet aussi de le conserver plus longtemps.
Précis dans sa demande, le restaurateur travaille en collaboration avec les producteurs. « C'est un choix mutuel », explique-t-il.
C'est ainsi qu'il a rencontré l'élevage de volaille de la ferme des Cattiers à Avignonet. « C'est un engagement réciproque sur le long terme », poursuit-il.
Il visite les fermes avec lesquelles il souhaite travailler. « Il faut comprendre comment les agriculteurs sont organisés, insiste-t-il. Il faut trouver les réseaux, les mettre en route. Ne pas être pressé. »
En retour, toutes les semaines il y a sur sa table des volailles, du cristovomer, du porc laineux et bientôt du bison de Lilian Rochas élevé à Méaudre.
Il aimerait trouver une adresse en viande bovine.
Ses maraîchers préférés sont Joël Primeur à Portes-lès-Valence qui vient au marché de Villard-de-Lans, « il vend seulement ce qu'il produit » et Xavier Moget, du Lopind'Terre à Sassenage, « qui propose des légumes plus originaux ».
Pour se faire une idée de cette cuisine aux couleurs des fleurs, le Palégrié propose trois menus, de 42 à 88 euros. « Je veux que ce soit bon, pas être le meilleur cuisinier du monde, mais que les gens aient passé un bon moment », glisse avec un sourire Guillaume Monjuré.
Isabelle Doucet
Ferme des Cattiers
« Il nous a fait progresser »
Collectionneur, Ghislain Satre a toujours été passionné par les belles volailles. Si bien qu'il en a fait son métier.Il a créé la ferme des Cattiers, à Avignonet, il y a sept ans, un élevage de volaille de chair et de poules pondeuses en agriculture biologique.
« Je ne travaille qu'avec des variétés souches », explique l'éleveur qui a fait le choix du cou nu du Forez et de la gauloise blanche. La première est élevée en plein air minimum 100 jours et la seconde 120 jours.
« Elles sont toutes finies au grain entier et au petit lait, pendant 20 jours », souligne Ghislain Satre.

Il détaille sa démarche : jusqu'à 80 jours, l'animal prend du poids, « puis il va grossir et prendre du gras inter et intra musculaire. C'est ce qui donne le persillé de sa chair, une finition peu connue par les habitués de volaille industrielle. Ce bon gras donne le moelleux, le savoureux et la tendreté au poulet. »
C'est Guillaume Monjuré qui a pris contact avec l'éleveur. Les deux hommes se sont compris.Un élevage spécifique
« Il est venu visiter l'exploitation et nous a expliqué comment il travaillait. Il nous a fait progresser, notamment sur la méthode d'abattage en mettant en place le plumage à sec », raconte l'éleveur.
La méthode a pris un an avant de donner des résultats. « Cela réclame plus de main-d'œuvre, mais c'est bien de bosser avec quelqu'un qui sait cuisiner la volaille. Ce n'est pas juste un client. Il est prêt à attendre qu'on évolue. »
La qualité de l'élevage et l'abattage permettent au restaurateur de pouvoir faire faisander la viande.
Pour son exploitation et ses salariés, le producteur de volailles trouve gratifiant d'avoir ainsi été distingué.
Les partenaires préparent la mise en place d'un élevage spécifique « avec des races particulières que l'on mènera à huit mois d'élevage », rapporte Ghislain Satre. Le poulet de la Flèche, la géline de Touraine et la poule de Barbezieux sont en cours d'implantation.
Pour l'heure, l'éleveur crée un parc de reproducteurs pour devenir accouveur, avec les parents de ces trois races présentes à la ferme. « Les premières volailles devraient arriver sur la table du Palégrié d'ici un an à un an et demi », annonce-t-il. L'éleveur travaille en vente directe, mais aimerait développer ce créneau de volailles d'excellence avec les grandes tables.ID