Le bio, un choix autant éthique qu'économique

Au départ, Les Gallines, c'était histoire de « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». Jean-François Charpentier ne manque pas d'humour. Ni d'idées. A la tête d'une petite constellation d'entreprises qui va de la production de semences à la prestation de travaux agricoles, l'agriculteur est plutôt du genre à anticiper. Très bon technicien, gestionnaire averti, coopérateur par conviction, il n'a rien à prouver, mais confesse une obsession : le futur. Il pense à celui de l'agriculture bien sûr, mais surtout à l'installation des jeunes qui prendront sa suite, comme lui, a pris celle de son père en 1985.
Multiplication de semences de maïs
A l'époque, l'affaire familiale, basée à Thodure, est constituée d'une exploitation céréalière, d'un « petit atelier » de 12 000 poules pondeuses, mis en place par sa mère en 1973, et d'une entreprise de travaux agricoles. En 2003, l'atelier œufs, devenu obsolète, est abandonné. Mais la multiplication des semences de maïs, engagée dans les années 90, se développe rapidement. La demande est forte. Jean-François investit, se perfectionne, s'équipe d'un corn-picker et crée même une SARL pour faire des chantiers de récolte spécialisée.
Véritable école de la rigueur, le « virage » des semences de mais apporte un nouveau souffle à l'exploitation. Mais en 2015, la conjoncture se retourne. Il faut trouver autre chose. Administrateur à la Dauphinoise, Jean-François Charpentier mise sur le dossier œuf. En 2016, le rapprochement avec Baby Coque et la création d'Envie d'œufs Sud-Est achèvent de le convaincre. Avec un collègue de Marcollin, Jean-François Logut, producteur de semences et de fraises, il crée l'Earl des Gallines, une unité de production d'œufs alternatifs en intégration. Objectif : sécuriser les exploitations en produisant 1 million d'œufs par an pour un marché en pleine expansion. L'agriculteur et son associé ne se contentent pas de monter un atelier de 15 000 poules pondeuses : ils optent pour le bio.
Conversion bio
La conversion a commencé en mai 2017. « Nous avions envie de nous orienter vers le bio depuis un moment et nous avons profité de l'arrivée des jeunes dans l'exploitation pour sauter le pas », explique Jean-François Charpentier. Son épouse, Catherine, a d'ailleurs suivi un stage de conversion quatre ans plus tôt. Ce n'est pas un hasard. L'agriculteur a depuis longtemps remis l'agronomie au cœur de son système. Il laboure de moins en moins et s'est engagé depuis plusieurs années dans une dynamique de réduction des phytos. Pour désherber par exemple, il déchaume et n'utilise plus de glyphosate. « Ça consomme du gasoil, donc économiquement, c'est moins rentable, reconnaît-il. Mais nos tracteurs sont modernes : ils polluent moins. Et puis on s'y retrouve au niveau vie du sol. »
Chez les Charpentier, la conversion répond à une stratégie prospective. « Vu les contraintes qu'on nous impose, on s'aperçoit qu'on a de moins en moins de moyens en agriculture conventionelle, constate Jean-François. On nous supprime de plus en plus de produits. Le bio, je sais que ça va être compliqué. Il faut être très technique. Mais comme je suis perfectionniste, ça devrait aller. Nous avons aussi la satisfaction de retrouver une certaine indépendance, sans compter l'impact sur l'avenir de la planète, si minime soit-il. » Etienne, son fils, est l'un des quatre jeunes qui l'ont poussé à « sauter le pas ». « C'est le côté technique qui nous attire, précise-t-il. Le système classique est trop peu intéressant. On en voit le bout et on en trouve les limites économiques. Avec le bio, il faut anticiper, réfléchir, faire tout un travail en amont pour éviter d'avoir des problèmes sanitaires. Il y aura des échecs, mais ça voudra dire que quelque chose ne va pas. Et trouver la solution. »
Puzzle de sols
L'Earl des Gallines s'est donné trois ans pour faire ses preuves. Ayant mis 84 hectares en commun au profit de la structure, Jean-François Charpentier et Jean-François Logut ont d'abord pensé ne convertir en bio que les terres faciles à travailler. Mais les deux associés ont finalement préféré constituer un puzzle de sols représentatifs de leurs deux exploitations. Un test qui va leur permettre de voir comment réagissent les sols et les cultures à la fiente de poule bio et autres conduites alternatives. Si l'expérience est concluante, Jean-François envisage de convertir toutes ses terres, y compris celles qui portent les cultures de semences. Un choix autant éthique, stratégique qu'économique. « J'ai toujours entendu Jean-François dire que le pire, pour l'agriculteur, c'est d'être dépendant des aides publiques, et notamment de la Pac, confie son épouse. Aujourd'hui, on ne peut plus vivre de notre production. Avec les prix du bio, on peut espérer le faire. »
Marianne Boilève
Le reportage d'Elisa Montagnat à retrouver sur France Bleu Isère