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Forêt

Le grillage fait la différence

L'étude menée en forêt de Saint-Hugon en Belledonne depuis plus de 30 ans fait apparaître des résultats inattendus quant à la régénération de la futaie.
Le grillage fait la différence

« Le grillage a commencé à parler ». En forêt domaniale de Saint-Hugon, au-dessus de la Chapelle-du-Bard en Belledonne, l'ONF mène depuis 1992 des études sur un enclos/exclos destinées à l'origine à quantifier et analyser les pollutions atmosphériques sur les écosystèmes forestiers.

Si une centaine de millions de données ont été recueillies à ce jour dans ce réseau baptisé Renecofor et ont pu faire l'objet de recherches, le dispositif est aussi révélateur d'un phénomène imprévu et aux conséquences surprenantes.

De part et d'autre du grillage, alors que la parcelle a été conduite exactement de la même façon, avec les mêmes prélèvements, l'écosystème est totalement différent. Buissonnant et foisonnant à l'intérieur de l'enclos, comme nettoyé de l'autre côté.

 

De part et d'autre du grillage, la végétation a pris un tout autre essor.

 

Les forestiers sont formels : la régénérescence de la forêt est intimement liée à la présence ou non de gibier. Un équilibre fragile qui peut être remis en cause comme c'est le cas dans la forêt de Saint-Hugon.

Absence d'essence

Yvan Dietrich, le forestier responsable de l'unité territoriale du Grésivaudan qui effectue les relevés dans l'enclos depuis trois ans, montre un arbuste d'à peine 20 cm à l'extérieur de l'enclos.

« Cet arbre a 15 ans », révèle-t-il. Chaque année, la pousse annuelle a été anéantie par la dent du cerf, si bien que l'arbre végête à ras du sol.

Dans ce secteur de Belledonne on ne trouve pratiquement que des fûts de plusieurs dizaines d'années.

« La forêt domaniale de Saint-Hugon est une futaie irrégulière de 800 hectares. L'essence principale est le sapin présente à 63% », précise l'agent de l'ONF. Suit l'épicéa (31%), le hêtre 4% et quelques érables (2%).

« Pour être résiliente, une forêt doit bien se renouveler. Dans une futaie irrégulière, il y a de gros arbres, et des groupes d'arbres de tailles et d'âges différents », décrit Jean-Yves Bouvet, le directeur départemental de l'ONF.

Il pointe du doigt « la différence remarquable » qui s'est inscrite dans le paysage « à partir du moment où la parcelle a été close ».

Il reprend : « On s'attend à voir une regénération de sapins, de hêtres, d'érables, d'épicéas, de sorbiers, de bouleaux, de saules, car ce n'est pas un milieu mono-spécifique, mais on observe que dans l'exclos, il n'y pas pas une seule de ces essences. » Pas même une ronce.

Comme un village sans enfants

Les promeneurs, les chercheurs de champignons où même les chasseurs peuvent apprécier des bois où il est ainsi plus agréable de se déplacer. Pour les forestiers, le constat est inquiétant. Les jeunes pousses sont systématiquement consommées par les cervidés.

Un cerf, c'est 15 à 30 kg de nourriture par jour composée de 10 à 30% de ligneux. Pour le chevreuil, les quantités sont moindres, mais 70 à 80% de sa consommation est à base de ronces.

L'empreinte du cervidé est de quatre ordres : arrachage du semis de l'année ; abroutissement (consommation du bourgeon) ; frottis (lorsque l'animal frotte sa tête sur un jeune plant pour marquer son territoire) ou écorçage quand l'hiver venu le cerf consomme l'écorce de l'arbre.

Le premier résineux consommé par les cervidés est le sapin, ce qui entache d'autant plus la diversité de la forêt.

« Il faut se forcer à porter un regard technique », invite Jean-Yves Bouvet. Il file la métaphore : « Ce serait comme un village où il n'y aurait pas d'enfant en classe maternelle, un peu au collège et seulement des adultes ».

En comparaison, la végétation dans l'enclos est luxuriante. Sont notamment bien présents les bouquets de résineux de différentes tailles et l'entrelac de ronces.

En futaie irrégulière, sur 10 m2, une forêt qui se régénère doit donner une dizaine de semis entre 50 cm et 3 m de haut, rappellent les forestiers.

Les limites humaines

Lors de la visite de la forêt de Saint-Hugon organisée par la communauté de communes, le Département et l'ONF, les participants, ont bien fait observer que les écosystème pouvaient différer d'un secteur à l'autre.

Les chasseurs ont en partie la clé de l'équilibre sylvo-cynégétique. La Fédération de chasse de l'Isère (FDCI) a effectué des comptages qui font effectivement apparaître une forte croissance de la population de cervidés. « Nous sommes passés de 60 à 180 prélèvements par massif, indique Sébastien Zimmermann, technicien de la FDCI. Les chasseurs ont du mal à s'adapter. On ne pourra pas atteindre les résultats escomptés en deux ou quatre ans. »

Certes la fédération oriente les tirs, mais elle rappelle aussi combien il est difficile pour les chasseurs de ramener des animaux de 150 à 200 kg.

Des efforts qui ne recueillent pas forcément une très bonne image, souligne Norbert Moulin, de la DDT. Il explique que les plans de chasse en Isère « sont respectés à plus de 80% ». Mais leur plafond doit être encore relevé pour rétablir l'équilibre. 

« Depuis six ans, nous explosons tous les niveaux d'attribution, reprend Sébastien Zimmermann. Nous atteignons les limites humaines et les chasseurs ne peuvent pas écouler une population qui a mis 40 ans à venir. » La FDCI plaide pour le dialogue, tout en reconnaissant l'urgence de la situation.

En attendant, le maire de La Chapelle-du-Bard tire le signal d'alarme. « La forêt, c'est notre gagne-pain », explique-t-il.

Commune sinistrée par les coulées de boues, ses habitants mesurent l'importance de la protection de la forêt contre les glissements de terrain. C'est aussi, selon la doctrine de l'ONF, une forêt multi-usages. A condition qu'elle puisse se régénérer.

Isabelle Doucet

 

Le réseau Renécofor

Il s'agit d'un réseau national de suivi à long terme des écosystèmes forestiers. Il a été créé en 1992 pour 30 ans.
Son objectif est de quantifier et analyser les impacts des pollutions atmosphériques sur les écosystèmes forestiers. Il est évalué par des scientifiques indépendants.
Pas moins de 102 placettes ont ainsi été créées en France, dont 14, à l'image de Saint-Hugon, font l'objet de recherches approfondies.
La visite de la placette Rénécofor a réuni des élus, des responsables de l'ONF, du CRPF, de la Cofor, de l'UPF, de la chambre d'agriculture, de la DDT, des chasseurs et du Département.

Cette parcelle d'un-demi hectare est relevée une fois par semaine (relevés météorologiques, floristiques, état sanitaire des 36 arbres à l'intérieur et de 16 à l'extérieur, présence d'eau en surface, en sous-sols, dépôt atmosphérique etc.).
Les résultats sont publiés à grande échelle dans les revues techniques de l'ONF. Au fil des ans, la placette a permis de dresser d'autres constats, plus inattendus quant à la résilience de la forêt et à la pression des grands cervidés.