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Pastoralisme

Le loup, dossier noir de l'Europe

Mi-juillet, quatre députés européens de la commission parlementaire Environnement dans les Alpes sont venus en Savoie et en Isère pour comprendre les problèmes posés par la présence du loup dans les alpages. Et prendre la mesure des dégâts collatéraux sur l'économie locale.
Le loup, dossier noir de l'Europe

Rien de tel qu'un petit tour sur le terrain pour se forger sa propre opinion. Surtout quand il est question du loup. Les 12 et 13 juillet derniers, une délégation européenne de la commission Environnement, santé publique et sécurité alimentaire, s'est rendue en Savoie et en Isère pour « prendre connaissance des expériences de cohabitation entre loup et pastoralisme dans les Alpes françaises, l'une des premières régions européennes à avoir été confrontées au retour du loup », selon l'eurodéputé italien Herbert Dorfmann.

Le député européen Michel Dantin a rappelé que les parlementaires de jouer les courroies de transmission vis à vis de l'administration centrale européenne.

Il était temps. Car, comme l'a souligné son collègue français, Michel Dantin, « les administrations ne font pas remonter au commissaire européen à l'Environnement, ni à son directeur général, leurs difficultés consécutives à l'interprétation de la directive Habitat ». Or, de l'aveu même des différents membres de la délégation, des problèmes se posent dans tous les pays impactés par la présence du loup. « C'est aussi notre rôle de parlementaires de jouer les courroies de transmission vis à vis de l'administration centrale européenne », a rappelé Michel Dantin. 

Le visage cru de la réalité

En Savoie et dans le Vercors, les eurodéputés ont pris ce rôle très à cœur. Orchestrée par le Suaci Montagn'Alpes, la visite a débuté par une rencontre avec les acteurs institutionnels du dossier (représentants des ministères de l'Agriculture et de l'Environnement, agents de l'ONCFS, représentants de parcs naturels protégés, élus locaux et nationaux...), ainsi que le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, coordonnateur du Plan loup à l'échelle nationale, avant de rendre visite aux éleveurs. Et ce sont surtout les échanges avec ces derniers qui les ont ébranlés. Car la réalité s'est montrée avec son visage le plus cru.

Hôpital psychiatrique

En Savoie, les parlementaires ont entendu parler d'éleveurs internés en hôpital psychiatrique à la suite d'attaques répétées. Ils ont également discuté avec plusieurs professionnels qui leur ont décrit l'angoisse de leur quotidien. Une famille a raconté comment sa petite de 2 ans et demi a vécu en direct le stress de ses parents et déclenché un problème de santé que les médecins ont mis neuf mois à diagnostiquer... En Isère, Denis Rebreyend, éleveur et président de la Fédération des alpages de l'Isère, est revenu « sur les souffrances et la lassitude des éleveurs et des bergers en montagne » quand ils sont confrontés à la prédation. « A la fin de la saison, ils sont lessivés. Quand on ne vit pas cette pression, on a du mal à le croire et à le prendre en compte », a-t-il ajouté à l'intention des eurodéputés. « Tout cela ne se mesure pas, ne se quantifie pas, ne s'indemnise pas avec de l'argent, renchérit Michel Dantin. C'est un élément non dit, c'est l'élément noir de la problématique du loup. » (voir la vidéo)

Pascal Ravix, éleveur de brebis merinos et alpagiste à Lans-en-Vercors, a expliqué les dégâts collatéraux liés à la prédation. Mickaël Kraemer, le maire de Lans-en-Vercors, a détaillé devant la délégation de députés européens de la Commission Envi les investissements réalisés par les communes pour soutenir le pastoralisme

Sur le plateau du Vercors, éleveurs et élus locaux ont longuement évoqué les problèmes de sécurité et les conflits d'usage entre éleveurs, riverains et touristes du fait de la présence des chiens de troupeau. Pascal Ravix, éleveur et alpagiste, a expliqué les dégâts collatéraux liés à la prédation. Mickaël Kraemer, le maire de Lans-en-Vercors, a par ailleurs détaillé les investissements réalisés par les communes pour soutenir le pastoralisme, une « activité privée, mais nécessaire en montagne pour maintenir les paysages ouverts, préserver le tetras-lyre et entretenir les pistes de ski ». C'est une activité endémique, peut-être coûteuse, mais utile à la collectivité et source d'attractivité pour le territoire. Si l'élevage disparaît à cause du loup, c'est tout un pan de l'économie locale qui s'effondre, ont expliqué les élus. « Il faut reconnaître la menace, mais aussi la détresse des éleveurs, insiste Chantal Carlioz, maire de Villard-de-Lans et vice-présidente du Département de l'Isère en charge du tourisme. Il faut réaffirmer notre solidarité vis-à-vis des territoires et de ceux qui les font vivre. »

Dans le Vercors, les élus locaux et nationaux ont expliqué aux eurodéputés que les collectivités locales sont tenues de soutenir le pastoralisme, une « activité privée, mais nécessaire pour maintenir les paysages ouverts et entretenir les pistes de ski ».

Après cette succession de témoignages instructifs et bouleversants, les parlementaires européens sont repartis convaincus de « la nécessité de faire bouger les lignes pour qu'il y ait une vraie prise en compte de la problématique telle qu'elle se pose quand on la vit sur le territoire ». Au nom de la délégation, Herbert Dorfmann a déclaré avoir pris la mesure du problème. « Nous saisissons bien les enjeux, mais notre mission reste difficile, a-t-il prévenu. Nous sommes en contact avec de nombreux acteurs qui viennent souvent de milieux urbains : ce n'est pas facile de leur faire comprendre la dimension du problème. » Les eurodéputés ont cependant rassemblé suffisamment d'éléments concrets pour espérer convaincre la commission Environnement de « trouver des solutions, non seulement pour ici, mais aussi pour toutes les régions d'Europe » confrontées à la même problématique.

Faire évoluer les directives européennes

Trouver des solutions, cela signifie faire évoluer les textes. « La convention de Berne date de 1979, la directive Habitat de 1992, a rappelé Herbert Dorfmann. A l'époque, le loup était proche de l'extinction. La directive avait du sens. Au cours des dernières décennies, la situation a évolué de façon drastique. Mais il n'y a pas eu de réexamen du texte. » Et l'eurodéputé de sous-entendre qu'il est temps de le faire. D'autant que les plans de gestion du loup sont extraordinairement coûteux pour les pays qui les mettent en place. En France, le budget s'élève à 26 millions d'euros pour 430 loups (1). « Ça fait environ 60 000 euros par loup, calcule le parlementaire. Jusque quand le contribuable va-t-il être d'accord pour payer ? » C'est l'une des inconnues de l'équation. « Soyez lucides, a lancé à la délégation Jérôme Crozat, président de la FDSEA de l'Isère. Rappelez-vous que la problématique du loup, c'est une problématique de riche. Vous, eurodéputés, de retour au Parlement, vous aurez deux possibilités : ne rien changer ou être courageux et faire évoluer les choses pour que l'on croit encore en l'Europe. »

Marianne Boilève

(1) Population établie d'après le suivi hivernal du réseau loup/lynx de l'ONCFS.