Accès au contenu
Nord-Isère

Le préfet prend le poul de l'agriculture en Nord Isère

Deux exploitations du Nord-Isère ont accueilli le préfet, Lionel Breffe, pour des visites ciblées sur les aspects économiques des filières laitières et céréalières. L'occasion, pour la profession, de faire le point sur les dossiers en cours, depuis la méthanisation jusqu'aux zones vulnérables.
Le préfet prend le poul de l'agriculture en Nord Isère

Lionel Beffre est un préfet pragmatique. Pour traiter un dossier de façon pertinente, il préfère rencontrer ceux qui atttendent des réponses plutôt que de se contenter de lire des rapports. C'est ce ce qui l'a conduit, mardi 26 juillet, à se rendre dans deux exploitations du Nord-Isère, accompagné de Thomas Michaud, sous-préfet de La Tour-du-Pin, et de Marie-Claire Bozonnet, directrice de la DDT.

Ce « tour de plaine » républicain a débuté au Gaec du Dauphiné, à Janneyrias, où le préfet a été accueilli par Jérôme et Claude Crozat, éleveurs laitiers, ainsi que par une importante délégation d'élus et de représentants du monde agricole. « Si j'ai souhaité venir, c'est pour prendre connaissance de la conjoncture au plus près des réalités du terrain, a d'entrée précisé Lionel Beffre. Originaire d'un département agricole moi-même (l'Aveyron, NDLR), j'ai toujours été attentif aux questions agricoles, car je suis intimement persuadé que la France doit garder un nombre important d'exploitations et d'agriculteurs : ils constituent l'ossature de nos territoires ruraux. »

Une goutte d'huile dans les rouages

Avant d'inviter ses hôtes à visiter sa ferme, Jérôme Crozat expose rapidement la situation de son exploitation. « Du fait de notre localisation en zone vulnérable, nous avons obligation de refaire une fosse à lisier conséquente, explique-t-il. Nous voulons en profiter pour réaliser des travaux au niveau du bâtiment, passer en aire paillée, mettre en place des logettes avec aire raclée et installer une salle de traite plus fonctionnelle. Cela doit nous permettre de gagner en productivité et de faire des économies sur la paille (20 000 euros) et les frais sanitaires (moins de mammites). Vous voyez, monsieur le préfet : nous avons des projets. Nous voulons croire à notre métier d'agriculteur. Quand la Fédé et la chambre d'agriculture m'ont demandé de vous accueillir, j'ai accepté parce que je voudrais que vous fassiez remonter certaines informations et que vous facilitiez notre travail en mettant une goutte d'huile dans les rouages de l'Administration. Nous, quand on tarde un peu, on nous envoie l'huissier ou on nous met à l'amende. Mais quand l'Etat prend du retard pour nos paiements PAC, on ne peut rien faire... »

Lionel Beffre, le nouveau préfet est venu en Nord-Isère accompagné de la directrice de la DDT et de plusieurs élus, dont le député Moyne-Bressand.

S'appuyant sur les chiffres du Gaec du Dauphiné et les dernières projections comptables du Cerfrance Rhône-Alpes, Pascal Denolly, président de la FDSEA, embraye sur la situation catastrophique des exploitations, toutes filières confondues. Que ce soit en lait, en viande ou en céréales-protéagineux, les excédents bruts d'exploitation (EBE) sont partout en négatif. « Quand il n'y a pas d'EBE, il n'y a pas de revenu, martèle le responsable syndical. En 2015, il y avait un peu de trésorerie et la profession a bénéficié d'un plan d'aide substantiel. Mais en 2016, la donne a changé : il n'y a plus de cagnotte et pratiquement plus d'aide. »

Contradictions

Quant à ceux qui tentent de s'en sortir avec des projets innovants, soit ils ont du mal à trouver des soutiens financiers, soit ils se heurtent à lourdes oppositions, de la part des élus ou des riverains. Jean-Claude Darlet, président de la chambre d'agriculture, cite l'exemple des projets de méthanisation, et notamment celui d'Anthon, porté par Saint-Louis Energies, qui pourrait, s'il voyait le jour, traiter les effluents de plusieurs élevages du Nord Isère, dont ceux du Gaec du Dauphiné. « Soit certains élus ne comprennent pas tout, soit la société civile, qui ne veut plus de nucléaire, ne veut pas non plus de solutions alternatives, comme la méthanisation », souligne le président Darlet qui ajoute avec une ironie amère : « Heureusement que nos anciens ont fait les barrages, parce que ce ne serait plus possible aujourd'hui... » 

Le préfet acquiesce et assure la profession de son soutien. « Pour ma part, je n'ai pas bloqué de projet, car aucun n'est encore parvenu jusqu'à moi. J'en ai deux en tête : Anthon et Apprieu. C'est tout. Si on veut faciliter la vie des agriculteurs, il faut surmonter les obstacles. Quand on fait des enquêtes publiques, on sait ce que ça donne : il n'y a que ceux qui sont contre qui s'expriment. Mais nous n'allons pas nous décider en fonction de l'audiomètre. Nous allons regarder si le projet est dans les clous, s'il respecte les normes et s'il est viable sur le plan économique. S'il répond à ces critères, il n'y a aucune raison de le bloquer. »

 

Les professionnels ont poursuisi leur revue des dossiers d'actualité avec le problème des zones vulnérables, la question de l'irrigation, de l'ambroisie, cheval de bataille du député Moyne-Bressand, des dégats de sanglier, du foncier, de l'urbanisation ainsi que des traitements phyto. Ces sujets ont surtout été abordés avec Pascal Curnil, producteur de céréales, de semences et éleveur de charolais à Bonnefamille, chez qui s'est poursuivie la visite préfectorale.

La visite du préfet, Lionel Beffre, s'est poursuivie chez Pascal Curnil qui a présenté son exploitation céréalière.

Appuyant le propos de M. Curnil, les responsables professionnels ont souligné l'importance de « monter des projets concertés » afin que les agriculteurs ne soient pas les grands oubliés du développement économique local. Damien Michallet, maire de Satolas-et-Bonce et vice-président du Département, en a convenu, déclarant que « l'irrigation ou le haut-débit [devaient] être embarqués dans les formes de compensations », lorsqu'il est question de consommation de foncier agricole. Le préfet s'est quant à lui dit extrêmement attentif à cette question : « Notre rôle, pendant l'élaboration des PLU, c'est de ramener les élus à la réalité de façon à ce qu'ils ne se montrent pas trop optimistes quant au développement futur de leur commune », a-t-il précisé, rappelant que deux communes iséroises avaient été récemment retoquées par les services de l'Etat.

Autre sujet délicat évoqué par le producteur de semences : les imbroglios liés aux incohérences de la règlementation des mesures agro-environnementales et climatiques (Maec), notamment en matière de traitement. « J'ai regardé comment modifier mes pratiques et réduire ma consommationde phyto pour pouvoir valoriser certaines parcelles avec les Maec. Mais la règlementation n'est pas cohérente avec la pratique de terrain : les moyennes retenues pour calculer les Indices de fréquence de traitement (IFT) ne tiennent pas compte des traitements de semences. Pour moi, c'est une perte sèche de 200 euros par hectare... »

Trafic exponentiel

L'agriculteur explique également comment son quotidien, déjà malmené par de sérieuses difficultés économiques (baisse des cours des céréales, le déclassement des blés en raison de l'humidité et la baisse du prix de la viande), se complique du fait de problèmes liés aux dégats de sangliers qui se multiplient, au développement de l'ambroisie (que les agriculteurs sont obligés de contenir, mais qu'un opérateur comme la SNCF traite parfois à la légère), au dépôts d'ordure le long des chemins et à cette urbanisation qui gangrène l'espace rural. « Je suis à 600 m d'une route départementale, raconte Pascal Curnil. Il y a 10 ans, le trafic ne dépassait pas 2 000 véhicules jour. Aujourd'hui, nous en sommes à 10 000. C'est pareil avec les aménagements dans les villages : entre les ronds-points et les trottoirs de 20 cm, on ne peut plus passer avec les engins. Quant à nos voisins, qui ont des piscines, ils se plaignent de la poussière quand on passe avec une batteuse... » Tout en faisant la part des choses, le préfet a assuré à Pascal Curnil et à aux responsables professionnels qu'il allait « mettre de l'huile dans l'engrenage et ne pas attendre des décrets nationaux pour agir. Sur certains dossiers, comme le foncier, les sangliers ou les nitrates, on peut travailler ensemble ». Chiche...

Marianne Boilève