Le premier incubateur d'activités agricoles sort de terre

« Nous n'avons pas droit à l'erreur », lance Jean-Claude Darlet, le président de la chambre d'agriculture de l'Isère et cheville ouvrière du projet de l'Espace test agri-rural du Sud Grésivaudan. « C'est un projet fabuleux, poursuit-il, nous travaillons dessus depuis 2006. C'est surtout une première en France. Au départ, il s'agissait d'une couveuse à vocation seulement agricole, que nous avons ensuite ouverte aux métiers de l'artisanat qui rencontrent les mêmes problèmes de renouvellement que l'agriculture ». Aujourd'hui, la pépinière agrirurale est devenue un véritable projet de territoire qui fédère toutes les collectivités, les élus et les acteurs socio-économiques du Sud Grésivaudan. Elle a reçu pendant l'été un coup d'accélérateur tel que les premiers coups de pioche sont imminents.
L'Espace test a pour vocation de permettre à des porteurs de projets d'expérimenter la viabilité de leur entreprise et de se lancer concrètement dans leur activité, de la production à la commercialisation. Dans la filière agricole, sont ciblées les activités nécessitant peu de foncier et d'équipements, comme le maraîchage, la culture de petits fruits, des petits élevages, de l'apiculture, des plantes aromatiques. Les activités agrirurales seront tournées vers l'artisanat et les services.
Rencontres
Les créateurs d'entreprises bénéficieront ainsi d'un cadre légal d'exercice et de la dynamique d'un réseau, leur permettant de trouver leurs futurs marchés. « Il s'agit de donner un coup de pouce pour s'installer en allégeant les contraintes administratives et les investissements », souligne Jean-François Lebecque, coordinateur du projet et directeur des Ateliers du Plantau, établissement qui accueillera la future pépinière d'activités agrirurales. Car ce qui fait l'originalité du projet, c'est également son partenariat avec le milieu du travail protégé, le Plantau étant un établissement et service d'aide par le travail (Esat) spécialisé dans la production horticole. « Nous avons rebondi sur un refus », explique Jean-Claude Darlet, puisque l'association de préfiguration de la pépinière d'entreprises, Créactive, dont il est le vice-président, n'était pas parvenue à trouver le foncier escompté. Avec son hectare et demi de terre libre immédiatement, l'établissement médico-social avançait de sérieux arguments et une volonté de fer de voir le milieu ordinaire du travail et le milieu protégé se rencontrer. « Nous avons un intérêt à mutualiser les moyens, y compris administratifs », poursuit Jean-Claude Darlet qui entend toujours agréger d'autres surfaces agricoles à l'Espace test. « C'est une opportunité, une occasion unique de démystifier le travailleur handicapé », reconnaît Jean-François Lebecque.
Comité de sélection
Le futur Espace test se composera donc d'un bâtiment de 600 m2 comprenant 300 m2 d'espaces agricoles, 150 m2 d'ateliers et 150 m2 de bureaux. Il pourra accueillir huit porteurs de projets agricoles et quatre créateurs d'activité artisanale ou de service. La parcelle agricole est adjacente aux locaux. Un bail emphytéotique de 30 ans a été conclu entre la communauté de communes du Pays de Saint-Marcellin, qui assure la maîtrise d'ouvrage et l'Aseai, l'association à laquelle appartiennent les Ateliers du Plantau. Les bâtiments seront livrés au printemps 2015, de sorte que la sélection des candidatures devra s'opérer rapidement. Le coordonnateur va donc mettre en place au plus vite un comité de sélection et élaborer un cahier des charges sur la base du retour d'expériences d'autres espaces test (il y en a une douzaine en France dont un dans le Diois) et des conseils du Réseau national des espaces tests agricoles (Reneta). Un sabotier, un héliciculteur, une horticultrice : quelques idées émergent ça et là. La réalisation du projet n'aurait pu voir le jour sans l'implication des collectivités. Son enveloppe globale (bâtiments et équipements comme le matériel d'irrigation) s'élève à 750 000 euros financée à hauteur de 78% par l'Union européenne (Feader), l'Etat (DETR) et la région Rhône-Alpes (CDDRA), le coût résiduel étant réparti entre les intercommunalités.
A court terme, l'association Créative cèdera la place à une Scic, inscrivant l'Espace test dans le cadre de l'économie sociale et solidaire. Un atout pour une structure qui entend jouer à fond la carte du développement local, de la création d'emploi, de la dynamique territoriale et de l'économie circulaire.
Isabelle Doucet
Initiatives
« Encore plus envie de se lancer »
« J'ai envie de me spécialiser dans les plantes depuis quelques années, mais je n'ai pas encore défini le type de production vers laquelle je souhaite m'orienter », avance Caroline Blay, qui après un parcours de formation agricole (Bac et BTS) a souhaité se spécialiser dans l'horticulture. Elle s'orienterait plutôt vers les vivaces, « mais rien n'est défini ». La jeune femme affiche sa volonté de « créer une petite entreprise horticole ». Après avoir travaillé dans l'animation nature, elle a découvert concrètement « le travail de la terre et du vivant » en fréquentant les Ateliers de Plantau où elle a travaillé à plusieurs reprises. « J'aime produire une plante, depuis le jeune plant, la bouture jusqu'à l'obtention du résultat final », glisse-t-elle. « Alors quand j'ai entendu parler de l'Espace test, cela m'a donné encore plus envie de réfléchir à un projet personnel. C'est une opportunité de créer une entreprise sans prendre de risques et de démarrer sainement. Je n'ai pas de terre, ni de moyens financiers qui me permettent d'investir. Alors si l'investissement revient à une structure porteuse, c'est une facilité pour le créateur. L'Espace test est destiné à tester la viabilité d'une petite entreprise ».Caroline Blay est également séduite par la notion de complémentarité. « Un lieu, du matériel, de la terre sont mis à disposition, en échange je peux aussi apporter des productions qui ne se font pas au Plantau. » L'accompagnement, la présence d'autres créateurs avec qui partager sont autant d'éléments considérés comme rassurants et qui donnent à la jeune femme « encore plus envie de se lancer ». Pour autant son projet est encore balbutiant. « Lorsque je regarde autour de moi, je vois qu'un projet de création, ce n'est pas évident à porter. Je me renseigne, je n'ai pas envie de précipiter les choses, je prends toutes les informations possibles pour savoir si mon projet est réalisable et lorsque je serai certaine, je pourrai démarrer. » A la recherche d'aides et de conseils, Caroline Blay a déjà fait part de ses ambitions et de ses interrogations à Jean-François Lebecque, le coordinateur de l'Espace test. « La prochaine étape sera la rencontre avec d'autres producteurs et des personnes qui ont déjà créé leur structure », annonce la future créatrice, qui multiplie les rendez-vous avant d'envisager de déposer son dossier.ID
Comment ça marche ?
En principe, la pépinière met à disposition des candidats des locaux, du matériel et de la terre. Les porteurs de projet sont accueillis pour une durée maximale de trois ans, pendant laquelle ils bénéficient d'une structure porteuse qui héberge juridiquement leur activité et leur apporte un accompagnement (conseil, formation, fonctions supports). Ces prestations sont contractualisées dans le cadre d'un Contrat d'appui au projet d'entreprise (Cape) d'un an renouvelable deux fois. Sont notamment fixés les mesures d'accompagnement, les moyens mis à disposition, le type de rétribution versé par le porteur de projet à la couveuse en échange des services et éventuellement l'aide financière dont le créateur peut bénéficier. Les bénéficiaires ont une couverture sociale et de santé. L'association accompagnatrice est responsable des engagements pris par le porteur à l'égard des tiers.