Le rail de la discorde

Depuis quelques années, la coopérative Dauphinoise est la seule utilisatrice des 23 kilomètres de voie ferrée qui relient ses silos de Beaurepaire à leur gare de desserte de Saint-Rambert-d'Albon. Historiquement, cette voie se poursuivait jusqu'à Rives. En juillet dernier, l'entreprise a reçu un courrier du gestionnaire de la structure, RFF, l'informant de l'arrêt de la voie au 31 décembre 2014. « Au regard de nos engagements auprès de nos clients, il apparaît difficilement conciliable de fermer la voie de façon aussi subite », explique avec fermeté Frédéric Fayant, le directeur technique de La Dauphinoise. Le gestionnaire de la voie avait rencontré les responsables de la coopérative, il y a quelques temps, pour l'informer de la possible remise en cause du maintien de la voie, en raison d'importants travaux à réaliser. Ils s'élèveraient entre 6 et 8 millions d'euros et RFF ne serait plus en capacité d'investir sur des voies non rentables.
La Dauphinoise transporte chaque année 40 000 tonnes de céréales, principalement du maïs et du blé, via cette voie ferrée, ce qui peut représenter deux à trois trains par mois. C'est aussi l'équivalent d'environ 2 000 camions... La fermeture de la voie occasionnerait sans doute des coûts de transports et de redéploiement de ses activités supplémentaires pour la coopérative. « Mais cela ne remet pas en cause le positionnement de La Dauphinoise à Beaurepaire. Nos équipements ne sont pas délocalisables », tient à rassurer Frédéric Fayant.
Dans l'immédiat, La Dauphinoise a demandé à RFF un report pour pouvoir circuler sur la voie jusqu'au 30 juin 2015, de façon à couvrir la campagne en cours. L'entreprise entend très bien le discours de sécurité développé par le gestionnaire et mesure le risque de tomber sous une interdiction de circuler. La restriction de vitesse et de volume s'impose déjà. Il importerait qu'elle soit reconduite six mois, le temps de trouver une solution pérenne.
Enjeux financiers
Des hypothèses pourraient se dessiner, mais avec des dossiers complexes. La coopérative n'est pas le seul acteur que la suppression de cet équipement structurant inquiète, puisque les élus de Beaurepaire, Christian Nucci, vice-président du conseil général et Philippe Mignot, le maire, s'en sont aussi émus. En effet, cette voie représente un avantage certain pour le développement de la zone d'activité de la plaine de Champlard en voie de requalification et intéresse l'ensemble du territoire. « Nous travaillons avec RFF depuis deux ans et demi sur le grand projet Rhône-Alpes Rhône médian de report modal afin de trouver du frêt supplémentaire, notamment avec cette voie. Je ne comprends pas que nous n'ayons pas été alertés. Nous l'avons été seulement en septembre et encore, par l'intermédiaire de La Dauphinoise. Sur le fond, cela occasionnera un flux de poids lourds supplémentaire entre Beaurepaire et l'échangeur de Chanas déjà saturé. Sur la forme, on nous plante un couteau dans le dos. Tous les donneurs d'ordres, les conseil généraux de l'Ardèche, de la Drôme, de l'Isère et du Rhône, ainsi que la Région ont travaillé ensemble pendant deux ans et demi. S'il y avait un tour de table financier à annoncer, c'était le moment. On se moque de l'entreprise, des exploitants agricoles et des élus locaux !», ne décolère pas le maire de Beaurepaire. Les élus ont alerté les services de l'Etat, considérant qu'une telle décision est de nature à mettre en péril le développement économique de tout un territoire. En effet, l'expansion de la zone industrialo-portuaire de Salaise-sur-Sanne s'inscrit dans la multimodalité, mais ne doit pas se faire au détriment des territoires alentour dont les infrastructures auront été délaissées. En Rhône-Alpes, trois lignes de frêt seraient ainsi concernées. Mais le problème est aussi national : Coop de France s'est engagée de son côté dans une action d'envergure car RFF a mis en discussion 1 800 kilomètres de voie ferrée au niveau de l'Hexagone. Le désengagement progressif du gestionnaire, par incapacité à couvrir les dépenses d'entretien, pourrait laisser la voie libre à d'autres acteurs intéressés par des transferts de propriété.
Début novembre, des rencontres entre RFF, les élus locaux et La Dauphinoise vont être organisées. Les services de l'Etat sont déjà intervenus auprès de RFF avec le soutien des conseils généraux et du conseil régional. « Les termes de la discussion ne sont pas encore posés », explique néanmoins Philippe Mignot. De son côté, « La Dauphinoise ne restera pas embranchée à Beaurepaire à n'importe quel coût », annonce Frédéric Fayant. Les enjeux financiers, le positionnement des différents acteurs décideront de la poursuite ou non de l'exploitation de cette voie.