Les agneaux d'alpage débarquent en boucherie

« Pourquoi pas ? » Sur la quarantaine de bouchers sollicités dans la Drôme et en Isère pour vendre de l'agneau d'alpage, quatre ont manifesté leur intention d'essayer. A Grenoble, l'un d'entre eux a sauté le pas début septembre, écoulant une vingtaine de bêtes. Trois autres bouchers prévoient de commercialiser des carcasses en octobre (1). Un résultat plutôt encourageant aux yeux de Roland Bouvier qui, depuis quatre ans, joue les VRP pour cet agneau pastoral vendu environ 20% plus cher que le cours moyen.
Conduite d'alpage
Pour l'éleveur alpagiste, cette valorisation n'est qu'un juste retour sur investissement. Un tel mode de production l'oblige en effet à faire évoluer sa conduite d'alpage. « Pour que les agneaux soient plus jolis à la descente, il faut les faire passer avant les mères afin qu'ils profitent de la meilleure herbe », explique Mylène Gorce, en charge du dossier à la Fédération des alpages de l'Isère (FAI). Cela étant, l'éleveur s'y retrouve aussi, car si l'engraissement à l'herbe est moins efficace, il coûte moins cher que le concentré ou les grains avec lesquels les agneaux sont habituellement « finis ».
Flaveur pastorale
Mais les habitudes sont parfois difficiles à faire évoluer, tant chez les éleveurs que chez les bouchers, qui prétendent que l'herbe donne du goût à la viande et que celle des agneaux d'alpage n'est pas assez grasse. Quant aux consommateurs, la plupart ignore tout de cette viande à la « flaveur pastorale ». C'est pourquoi les éleveurs engagés dans la démarche s'attachent à faire connaître leur « produit d'exception », mais aussi à structurer la filière avec l'aide de la FAI, en partenariat avec la chambre d'agriculture et le Département. A terme, l'idée est d'encourager les éleveurs à « perpétuer la transhumance estivale, qui permet de produire des animaux alimentés uniquement à l'herbe et au lait maternel, tout en créant des emplois en montagne et en entretenant des paysages alpins ».
Valoriser les bêtes issues d'élevages extensifs
« Il y a encore énormément de boulot, mais on y arrivera », assure Roland Bouvier. Le cahier des charges étant désormais opérationnel, la grosse question est de savoir comment commercialiser le produit. Quelques initiatives (opération séduction à la foire de Beaucroissant ou en direction des restaurateurs, premiers essais avec des bouchers, speed dating au marché d'intérêt national de Grenoble en novembre dernier) ont déjà permis de réaliser des touches : l'accueil est favorable. Encore faut-il transformer l'essai. En juin dernier, Roland Bouvier et six autres alpagistes ont décidé de passer à la vitesse supérieure en se regroupant au sein de l'association « Viandes agro-pastorales ». « Notre objectif est mieux valoriser les bêtes issues d'élevages extensifs », précise Roland Bouvier, le président, qui pense aux ovins bien sûr, mais aussi aux bovins (veau rosé d'alpage), voire aux équins.
Marque déposée
Pour l'instant, la toute nouvelle association concentre ses efforts sur les « tardons », ces agneaux nés au printemps qui accompagnent chaque jour leur mère sur les pâturages d'altitude et ne redescendent qu'à l'automne, quand l'herbe commence à manquer et que la météo se dégrade. La marque « Agneau d'alpage » vient d'être déposée par l'association. Son cahier des charges précise que l'agneau doit être « nourri exclusivement à l'herbe et au lait, abattu au maximum 15 jours après sa descente de l'alpage où il devra être resté plus de 50 jours ». Pour sécuriser la production, empêcher les dérives et garantir la traçabilité de la viande, un système de contrôle du respect du cahier des charges doit d'ailleurs être mis en place d'ici la fin de l'année.
Démultiplier les réseaux
Le sérieux de la démarche et la rémunération qu'elle induit (10 euros le kg pour une carcasse récupérée entière, 12,50 euros le kg pour la viande découpée et récupérée en colis) commencent à faire des émules. Des éleveurs de la Drôme et des hautes-Alpes se disent intéressés. D'autres devraient suivre, ce qui aura pour conséquence de démultiplier les futurs réseaux de distribution. Autrement de trouver des bouchers qui assurent des débouchés.
Marianne Boilève
(1) La boucherie Numidie à Grenoble, la boucherie du Pavillon à Champ-sur-Drac, et deux établissements dans la Drôme : JLM à Crest et La porte des Barrys à Montmeyran.