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Peinture

Les bonnes impressions de Bellet du Poisat

Le musée de Bourgoin-Jallieu propose une magnifique rétrospective du peintre berjallien Alfred Bellet du Poisat, l'un des précurseurs de l'impressionnisme. Une première en France.
Les bonnes impressions de Bellet du Poisat

« Bellet du Poisat ? Connais pas. » Que le néophyte se rassure, les amateurs eux-mêmes lèvent le sourcil à l'énoncé de son nom. Peintre de la couleur au trait vif et vigoureux, ce talentueux berjallien n'est (un peu) sorti de l'anonymat qu'en 2003, lorsque le musée de Bourgoin-Jallieu a fait l'acquisition d'un fonds d'atelier, issu de la collection du peintre Gustave Girardon, exécuteur testamentaire de son cousin. Cette première série d'études préparatoires, esquisses et dessins constitue l'amorce d'un fonds dont le musée ne possèdait alors aucune œuvre. Il était temps de lui rendre justice : sa peinture le mérite. Il suffit de visiter la belle exposition que lui consacre le musée de Bourgoin-Jallieu pour s'en convaincre.

Après l'acquisition d'un

Rencontre fulgurante avec Delacroix

Curieusement Bellet du Poisat, né à Bourgoin en 1823, n'a encore jamais fait l'objet de la moindre rétrospective (sauf à sa mort, en 1883), ni d'aucun travail universitaire. Unique héritier d'une famille bourgeoise fort aisée, il quitte très tôt sa ville natale pour Lyon, où le jeune homme nourrit une telle passion pour la peinture qu'il obtient de ses parents l'autorisation de fréquenter l'atelier d'Auguste Flandrin, puis celui de Louis Lacuria. L'écrivain lyonnais Clair Tisseur verra en lui « le seul talent véritablement soi qui ait pris sa volée de l'atelier », ses condisciples peignant « avec le pinceau du maître, lui avec le sien ». Envoyé à Paris pour faire son droit, Bellet du Poisat se détourne rapidement du projet familial pour embrasser le monde de l'art. Là, il croise la route d'Eugène Delacroix, de 25 ans son aîné. Rencontre fulgurante qui ne sera pas sans influence sur sa manière enlevée de peindre et son sens de la couleur. Les critiques de l'époque ne s'y tromperont pas, évoquant « un style énergique et souvent violent et d'une puissance d'effet qui font penser que ce jeune peintre a ramassé le pinceau de la main vieillie de Delacroix » (1).

Dans un premier temps, Bellet du Poisat, comme la plupart des jeunes artistes, se cherche. « La première partie de sa carrière est celle d'un artiste boulimique capable de se confronter à tous les genres », explique Jacques Beauffet, le commissaire de l'exposition. Sujets historiques, religieux, d'inspiration littéraire ou mythologique, Bellet du Poisat tente tout. Dans Le Marchand d'oiseaux (1854), Clair Tisseur  retrouve « les traditions de Véronèse », avec cette « atmosphère fraîche et bleue, ses ombres limpides, le tissu moelleux et azurés de ses chairs », ces « tons rompus et indécis, si difficiles à saisir, mais si doux et si paisibles à l'œil ». Dans Les Bohémiens (1857), Brigitte Riboreau, conservatrice du musée de Bourgoin-Jallieu, relève l'influence de Delacroix et « voit poindre celle de Courbet ».

Du voyage au paysage

C'est sans doute la seconde partie de sa carrière qui touchera le plus l'œil contemporain. La scénographie de l'exposition nous y prépare. Au rez-de-chaussée, les toiles de jeunesse. A l'étage, celles de la maturité, où s'affirme un style plus personnel. Entre les deux, la vitrine de l'escalier, où sont exposés des études peintes sur des morceaux de carton fort. Des paysages de l'Isère, de l'Ardèche, des silhouettes de montagne, des ciels tourmentés, les collines de la Drôme... Le paysage, enfin. Dans les années 1860 en effet, Bellet du Poisat se met à voyager. Délaissant son atelier parisien, il longe les rives du Rhône, parcourt les sites pittoresques de l'Ardèche, s'aventure en Algérie, en Italie, sur les bords du lac Léman, en Belgique ; séjourne en Provence, en Bretagne, en Normandie. Et « bascule » dans le paysage. Il faudra cependant attendre son voyage aux Pays-Bas (1866) et sa découverte véritable des « paysagistes hollandais du XVIIe siècle, pour que la nature devienne sa source d'inspiration principale », note Jacques Beauffret. S'appuyant sur les études et les pochades peintes sur le motif, le peintre compose en atelier des tableaux où le trait commence à se dissoudre dans l'impression... « D'abord austères, abordés dans des tonalités sourdes, travaillés amplement dans une matière un peu lourde, ses paysages ont le caractère puissant qu'il sait donner à ses tableaux d'histoire (Canal bordé d'arbres en Hollande), analyse le commissaire de l'exposition. A partir de 1870, sa manière évolue sensiblement ; changeant de sites, la main se fait plus légère, le motif plus éclairé... » En 1877, après un détour par Londres où il fréquente le cercle des French Artist qui rassemble aussi bien les peintres de Barbizon que les futurs impressionnistes, Bellet du Poisat peint ses Promeneurs sur la jetée de Trouville, récemment acquis par le musée. Les ciels d'Eugène Boudin sont tout proches. L'impressionnisme aussi.

 

(1) R. Albert, « L'Art sous le Second Empire »,  4e article, La Jeunesse, n°8, 27 juillet 1861.

Marianne Boilève

Alfred Bellet du Poisat (1823-1883), du romantisme à l'impressionnisme

Au musée de Bourgoin-Jallieu, 17 rue Victor-Hugo, jusqu'au 24 août. Tel : 04 74 28 19 74.
Exposition ouverte du mardi au dimanche (sauf jours fériés), de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h.Dépliants d'aide à la viste mis à disposition des adultes et des enfants. Espace «Joue avec Alfred» dédié aux enfants au deuxième étage (découvertes, coloriages, jeux, seul ou en compagnie des parents).
Au second étage, l'exposition est prolongé par un espace dédié aux enfants.
Nuit des Musées samedi 17 et dimanche 18 mai : à l'occasion de Musées en fête en Isère, les familles peuvent visiter l'exposition sous la forme d'un jeu de piste. Munies d'un livret, les équipes sont autonomes et doivent résoudre des énigmes portant sur les œuvres exposées.
Samedi de 19h00 à 21h00
Dimanche de 14h30 à 17h30
Durée du jeu de piste : 1h environ
Entrée libre - Samedi, pour la Nuit des Musées, l'exposition est en accès libre jusqu'à 23h00

 

 

Nettoyage des œuvres : un travail délicat

Les toiles exposées à Bourgoin-Jallieu ont pour la plupart été prêtées par musées, des collections publiques et des collectionneurs privés. Une douzaines d'entre elles ont dû faire l'objet d'un minutieux travail de nettoyage et de restauration, réalisé par quatre professiionnelles de la région. Retrouvez le témoignage de Caroline Snyers, restauratrice à Crémieu, sur terredauphinoise.fr.