« Les circuits courts représentent un amortisseur »

Quelle analyse portez-vous sur la situation agricole ?
A la clôture des comptes, au 31 décembre dernier, nous mesurons concrètement les difficultés que rencontrent la plupart des agriculteurs. Les trésoreries sont tendues, les exercices clôturent en déficit, les exploitants ont du mal à payer leurs fournisseurs. Si le versement de l'ATR à l'automne est une bonne chose, elle risque cependant de créer un décalage.
En Isère, qui est un département à dominante polyculture élevage, une production peut habituellement compenser l'autre. Cependant, en 2015, la situation des céréales était inquiétante et seule une production, la noix, tire son épingle du jeu, même si les cours ont baissé. C'est donc une année compliquée.
Comment réagissent les exploitations ?
L'agriculture iséroise est diversifiée dans ses modes de production et de commercialisation. Cela se retrouve dans l'hétérogénéité des résultats entre exploitations et d'autant plus fortement en situation de crise. Les filières courtes, qui représentent une part importante de l'activité des exploitations iséroises sont peu touchées, mais leurs résultats croissent moins vite qu'en 2014-2015. Les filières longues sont à la peine, sauf la noix. Quant à l'arboriculture, l'année 2015 a été meilleure que les précédentes qui étaient catastrophiques. Les circuits courts représentent un vrai amortisseur à la baisse des cours.
Quel est l'état de l'investissement ?
C'est une des clés de la crise. Le niveau d'investissement a fait plonger certains et pas d'autres. Il y a un discours paradoxal selon lequel l'agriculture manque d'investissement, mais ceux qui ont investi sont aujourd'hui les plus fragilisés. Il y a eu une dynamique d'investissement importante ces dernières années, pour plusieurs raisons : des cours de céréales porteurs, un prix du lait correct et un cours de la noix à la hausse, ainsi que des besoins pour la mise aux normes des élevages. Mais ces derniers ne sont pas des investissements productifs.
Y a-t-il eu une course à l'investissement ?
Nous ne sommes pas étrangers à certaines pratiques d'investissement avec un regard trop orienté sur l'optimisation fiscale et sociale. La fiscalité française incite en effet à l'investissement au détriment de la constitution de réserves. Dans ces conditions, si les résultats sont au rendez-vous, il n'y a pas de problème. Aujourd'hui, nous avons tendance à avoir un discours en faveur de la constitution de trésorerie. C'est un changement de pratique : disposer d'un fond de roulement pour absorber une baisse des cours. Cependant, l'agriculture reste un secteur spécifique soumis à la fluctuation des cours d'une part et à la fluctuation climaitique d'autre part, avec la possibilité d'un double effet négatif... ou positif.
Comment se finance l'agriculture ?
C'est essentiellement de l'autofinancement et du crédit bancaire. Il y a peu de financements extérieurs. L'arrivée de capitaux extérieurs peut être un moyen de diluer le risque. Mais il convient aussi de réfléchir à l'évolution des dispositifs fiscaux, car les investissements ont été favorisés par des sytèmes comme le DPI, ou le régime de l'amortissement dégressif.
L'économie collaborative, qui sera le thème de votre assemblée générale, représente-t-elle une piste d'avenir ?
Il existe de nouvelles opportunités de financement pour les porteurs de projets. L'économie collaborative est une alternative lorsque le financement bancaire classique ne s'engage pas, notamment pour une question de risque. Il est pertinent en phase de lancement de projet. C'est un élément de plus dans la palette des modes de financement, mais on peut aussi imaginer que des agriculteurs financent d'autres agriculteurs.
Propos recueillis par Isabelle Doucet
*Le Cerfrance Isère accompagne 1 800 exploitations agricoles