Les dindons ne sont pas ceux qu'on croit

Un nouveau défi est lancé aux éleveurs : celui de ne pas se laisser abattre par des discours excessifs, voire des actes délictueux. Les attaques récentes contre les boucheries, les vidéos trash insinuant que la maltraitance des animaux est généralisée dans les élevages, le récent incendie d'un abattoir de l'Ain, tout concourt à un sentiment de malaise dans les campagnes. « On se sent un peu déprimé, concède Martial Durand, éleveur et vice-président de la FDSEA de l'Isère, car nous passons des heures auprès de nos bêtes, nous les traitons bien, pour un revenu plutôt modeste et nous sommes traités avec des mots disproportionnés. Tueurs ? Assassins ? Exterminateurs ? Mais ceux qui profèrent ces accusations ont-ils reçu le moindre enseignement d'histoire ? » L'éleveur se sent donc destabilisé comme bon nombre de ses collègues isérois ou français. « Aujourd'hui, nous nous sentons épiés et ne vivons plus tranquille car on ne sait pas jusqu'où peuvent aller ces actes, poursuit-il. Tous les professionnels de la filière partagent le même désarroi, du véto au boucher en passant par les marchands de bestiaux. »
Dogmatisme
« Ce n'est pas à nous à répondre aux actes malveillants du type de l'incendie de l'abattoir, affirme Jérôme Crozat, président de la FDSEA. Ces actes sont répréhensibles, l'Etat doit jouer son rôle en la matière. D'ailleurs, à ce niveau, ce sont des intégristes de leur cause et devraient être fichés S comme d'autres le sont pour leur dogmatisme religieux ».
Une certitude pour tous les éleveurs interrogés : les auteurs de ces actes ne connaissent pas le prix du travail et des difficultés de tous les jours. « Il y a des migrants qui débarquent chez nous parce qu'ils ont faim. Alors les discours de nantis qui vivent sur une autre planète sont intolérables », estiment les deux éleveurs.
D'autant plus que ces actions peuvent aller à l'encontre de leurs propres promoteurs : « Ces campagnes vont fragiliser les petites structures, celles qui sont à taille humaine, qui font attention à leurs bêtes parce que le sort des deux est étroitement lié. Les grosses structures, elles s'en sortiront toujours. Pire même, les importations pourraient gagner du terrain alors que les conditions de production peuvent être éloignées de nos standards européens ou français », analyse Martial Durand. Confirmation de Jérôme Crozat qui craint que consommer davantage de légumes augmente les importations de productions effectuées dans des pays où les conditions sociales sont contraires à nos convictions. « Le travail des enfants ou l'exploitation humaine existent dans de nombreux pays... » D'ailleurs, le responsable syndical verrait bien une expérience pilote qui octroierait « un lopin de terre aux anti-viande afin de faire pousser les légumes qu'ils veulent manger. Ils comprendraient vite les efforts nécessaires pour y arriver... »
Communication positive
Le dialogue sera donc difficile entre ces deux mondes opposés. « On ne doit pas aller à la confrontation, assure fermement Jérôme Crozat. Ce serait leur donner du crédit ». Même son de cloche du côté du syndicat Jeunes agriculteurs, dont le président Sébastien Poncet estime lui aussi que « leur répondre ne sert à rien. Ils n'ont aucun respect pour les biens matériels ou les personnes qui travaillent. Nous n'avons rien à voir avec eux ». En revanche, « la profession doit avoir une communication positive, aller à la rencontre du public, et montrer que les conditions d'élevage sont excellentes dans la quasi-totalité des exploitations, même si on peut trouver des contre-exemples exceptionnels. » Ceux qui confirment la règle...
Jérôme Crozat s'interroge cependant sur les conséquences à long terme. « Je ne crains rien pour les acteurs de l'industrie agro-alimentaire. Elle saura s'adapter s'il y avait de vrais changements d'habitude de consommation. Je ne voudrais pas que le consommateur soit lui aussi le dindon, car si la part de protéine végétale augmentait dans notre alimentation, on peut en être sûr, elle ne serait pas au niveau du coût de la protéine animale, plus chère, mais elle ne serait pas non plus au niveau de celui de la protéine végétale à son coût réel. Une culbute entre les deux serait plausible. Au bénéfice des industriels. Les anti-viande devraient se poser la question de savoir s'ils ne font pas le jeu d'autres personnes... »