Les femmes veulent davantage de responsabilités

Devinette : que se passe-t-il chaque année le 15 octobre depuis 2008 ? Rien, si ce n'est que les Nations unies célèbrent la « journée mondiale de la femme rurale »... dans l'indifférence générale. L'initiative pourrait faire sourire si elle ne permettait pas de jeter la lumière sur une réalité oubliée : les femmes représentent plus de 50 % des agriculteurs dans le monde (plus d'un tiers en France) et jouent un rôle crucial en matière de production, notamment dans les pays en voie de développement (1). Mais où sont-elles quand il s'agit de prendre des décisions ? Le son de leur voix est si ténu que la FNSEA a saisi l'occasion de cette journée mondiale pour affirmer sa volonté de donner plus de représentativité à ses adhérentes. Le syndicat majoritaire, qui présentera pour la première fois 30% de femmes sur ses listes aux prochaines élections aux chambres d'agriculture, est même allé jusqu'à demander qu'il en soit de même dans les autres instances agricoles...
Convaincre les femmes
Opportunisme ou changement d'époque ? Karen Serres, présidente de la commission des agricultrices au sein de la FNSEA, n'est pas dupe. Elle sait qu'il reste « du travail à faire pour convaincre les femmes de s'investir dans des structures qui leur paraissent réservées aux hommes ». Mais, poursuit-elle, « le plus dur est certainement de faire accepter aux hommes que les femmes peuvent accéder à de réelles responsabilités ». Les agricultrices iséroises et burkinabé qui se sont retrouvées pour un échange sur « les conditions d'exercice des responsabilités pour les femmes en agriculture » au Grand Séchoir fin septembre ne la contrediront pas. Organisée dans le cadre de la coopération décentralisée entre les chambres d'agriculture de l'Isère et de la région des Hauts-Bassins (Burkina-Faso), la rencontre a permis aux participantes de prendre la mesure des problématiques dans chacun des deux pays. « Nous avons sûrement beaucoup à apprendre de vous... », a pronostiqué Catherine Petiet, directrice du comité interprofessionnel de la noix de Grenoble (CING).
« Mon Bic m'a sauvée »
Son propos fait écho à un exposé détaillé sur le processus électoral dans les chambres d'agriculture burkinabé. Salimata Zouma, productrice de céréales et élue à la chambre des Hauts-Bassins, a en effet expliqué le mécanisme de désignation des délégués qui, depuis l'échelon du village jusqu'à celui de la province, prévoit obligatoirement un quota de femmes, ainsi qu'un « collège de femmes ». L'élue burkinabé relativise la porté démocratique de cette organisation : « Le problème que nous avons, au Burkina, c'est l'analphabétisme et la prise de parole en public. C'est l'analphabétisme qui pousse les femmes à refuser les responsabilités. » Nathalie Tiendrebéogo, présidente de l'Union Yanta anacarde (2), confirme : « Moi, c'est mon Bic qui m'a sauvée. Le jour où il a fallu se présenter aux élections régionales, j'étais la seule à savoir lire et écrire. » Une fois élue, tout reste à faire. Il faut notamment savoir résister aux pressions : « Nous avons beaucoup lutté, raconte Salimata. Les hommes ont voulu nous influencer pour que nous élisions au collège des femmes des candidates de la ville qui ne connaissent rien à la vie des femmes rurales. Mais nous n'avons pas voulu. »
Pour les Iséroises, l'expérience est inverse. Après des années de « domination masculine », les instances, syndicales ou consulaires, ont pris conscience qu'il était temps de féminiser les troupes. Françoise Reiller, ancienne élue à la chambre et ex-présidente de l'interprofession régionale Corabio, évoque les raisons qui l'ont conduite à endosser des responsabilités : « Je me suis installée à la fin des années 70, à une époque où les femmes désertaient les campagnes. Comme peu de femmes s'installaient, j'ai très vite été repérée par le CDJA. Si j'ai été élue au bureau, c'est parce que j'étais jeune, femme et exploitante en montagne. » Autrement dit parce qu'elle cumulait trois handicaps... Lorsque Jacqueline Rebuffet, éleveuse et vice-présidente de la chambre d'agriculture de l'Isère, a été élue, les choses avaient heureusement évolué : « Au niveau du bureau, c'est le président qui m'a dit qu'il voulait travailler avec moi. Je voulais bien, mais j'avais déjà beaucoup de responsabilités. Finalement, j'ai été élue et me suis lancée dans l'aventure. Mais c'est bien parce qu'il y a la loi sur la parité que les hommes viennent nous chercher... »
Embarras général
Quelle que soit la manière dont elles sont parvenues aux responsabilités, toutes évoquent l'embarras des premiers temps : « Au début, personne ne comprend rien, s'amuse Salimata. Les hommes comme les femmes. C'est à mon deuxième mandat que j'ai compris les mécanismes et la manière dont on pouvait être efficace pour porter les revendications. » Fort heureusement, au Burkina, des formations de trois jours sont dispensées aux élus consulaires, histoire de les initier au fonctionnement des chambres d'agriculture. Jacqueline Rebuffet n'a pas eu cette « chance » : « Lorsque j'ai été élue, je ne connaissais pas trop comment ça fonctionnait. Mais je ne voulais pas être une potiche, d'autant que j'étais la seule femme au Bureau, ce que je regrette. » Françoise Soullier, horticultrice et vice-présidente des Jeunes Agriculteurs de Tullins-Vinay, estime de son côté qu'il n'est « pas simple d'être élue à la chambre. On ne se connaît pas bien ». La jeune élue lâche : « S'il n'y avait pas la gestion des dossiers thématiques, je ne serais pas convaincue... »
Serait-ce faute d'approche concrète que les femmes rechigneraient à s'impliquer dans les instances agricoles ? Pas seulement : comme en politique, assumer des responsabilités au niveau consulaire implique de pouvoir articuler vies personnelle, familiale, professionnelle, syndicale ou associative. Chez les Françaises, la démarche ne va pas de soi. Mais il suffit d'écouter Salimata Zouma pour se convaincre de son utilité : « Avec nos revendications, les femmes ont droit à la terre et à l'héritage. Nos conditions de vie se sont beaucoup améliorées grâce à la formation. Nous avons le courage de faire avancer les choses. » Et sa collègue Nathalie Tiendrebéogo de conclure : « Aujourd'hui, nous avons encore beaucoup de problèmes, surtout à cause de l'analphabétisme. Mais pour la génération qui vient, j'ai confiance. »
(1) Selon l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), 80% de la nourriture des pays du Sud est produite par des femmes.
(2) Association féminine qui produit et transforme les noix de cajou dans la région des Hauts-Bassins.
Marianne Boilève
Une « approche genre » de la coopération
« Quel type de coopération pourrions-nous mettre en œuvre ? Et sous quelle forme ? », ont demandé les agricultrices iséroises à leurs homologues des Hauts-Bassins. Pour les déléguées burkinabé, la réponse est évidente : il faudrait aider les groupements de femmes à se structurer. « Nous aurions besoin d'un appui technique et humain, a précisé Salimata Zouma. Il faut nous aider à nous organiser et aider les femmes à s'intégrer dans l'agriculture. Nous voulons quitter le nom de cultivateur qui ne produit que pour lui-même pour devenir agriculteur. » Fidèle à ses engagements en matière d'agriculture biologique, Françoise Reiller la met en garde : « Il faut produire pour nourrir la population, mais attention à ne pas exploiter la terre. Car exploiter la terre, c'est la tuer. » Pragmatique, Françoise Soullier conseille de « ne pas faire un copier-coller de nos méthodes. Il faut adapter nos modes d'organisation ». Et non pas automatiquement les adopter...MB
En savoir plus :
- Étude du Centre d'études et d'analyses sur la féminisation des métiers agricoles.