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Culture

Les nouveaux champs de la culture

Nécessaire pour les uns, dépense superflue pour les autres, la culture peut aussi se penser comme une dynamique de territoire, notamment en termes de lien social et de développement économique. C'est en tout cas le pari que font certains décideurs locaux, y compris en milieu rural.
Les nouveaux champs de la culture

La culture, ça coûte ou ça rapporte ? Ça sert à rien ou ça crée du lien ? Quoiqu'on en pense, les chiffres sont là : en France, les « activités culturelles » totalisent « 3,2% de la somme des valeurs ajoutées de l'économie française », ce chiffre représentant, en valeur ajoutée toujours, l'équivalent du secteur de l'agriculture et des industries alimentaires, selon un rapport récent de l'Inspection générale des finances. Mais au-delà de ces chiffres, qu'en est-il du rôle de la culture dans les territoires, notamment en milieu rural ? Selon les interlocuteurs, on trouve que la culture, ça vous transforme un territoire ou que ça génère des dépenses superflues. Certains élus mettent en avant le pouvoir fédérateur et « irrigant » de la culture, les retombées économiques et sociales de tel projet, quand d'autres ne la pensent qu'en termes de dépenses et de coûts... d'autant plus lourds en ces temps de vaches maigres. A qui donner raison ?

Retombées économiques

Lors des Rencontres Brel, les espaces de restauration tenus par les producteurs de Chartreuse génèrent un chiffre d'affaires de 30 000 euros.

En Isère, les expériences se suivent sans pour autant se ressembler. Bien sûr, il y a les festivals, plus ou moins célèbres, qui, de Berlioz à Brel, de Jazz à Vienne à l'Hadra Trance Festival, ne font vibrer les territoires que quelques jours, mais nécessitent une mobilisation générale en amont. Sans compter les retombées économiques : 17 millions d'euros pour le festival de jazz de Vienne, dont les deux tiers reviennent aux acteurs de l'agglomération viennoise. Plus modeste, l'Hadra Trance de Lans-en-Vercors affiche des retombées de l'ordre de 200 000 euros pour les hôtels et commerces du canton. Quant aux Rencontres Brel, l'association organisatrice fait valoir qu'« un tiers de son budget est investi en Chartreuse » et que les festivaliers emplissent commerces et hébergements, sans compter les espaces de restauration tenus par les producteurs locaux (30 000 euros de chiffre d'affaires). Des données qui confirment celles du rapport de l'Inspection générale des Finances cité plus haut : un festival peut engendrer communément pour l'économie locale des retombées de 30 à 40 euros par visiteur, quand l'impact global direct peut être de l'ordre du tiers ou de la moitié du budget d'organisation.

La culture, agitatrice de territoire?

Mais qu'en est-il le reste de l'année ? La culture peut-elle se poser en « agitatrice » de territoire ? Les projets culturels ont-ils un réel impact économique et social sur le développement local ? Certains décideurs locaux en sont persuadés. Certes l'Isère ne dispose pas de « locomotives », comme la « Gare à Coulisses », conduite par la compagnie Transe Express sur l'écosite du Val-de-Drôme (Eurre). Mais des initiatives existent, qui irriguent le territoire jusque dans les zones les plus excentrées. Associations, syndicats mixtes ou collectivités territoriales, comme le Pays voironnais, la communauté de communes du Trièves, Espace Belledonne ou les Vals-du-Dauphiné, confient à des établissements culturels, musées ou autres, des compagnies ou des artistes, le soin de tisser des liens forts avec la population et de mener des actions de sensibilisation, en partenariat avec les habitants, les écoles, les maisons de retraite, les centres de soin ou les structures d'insertion. Des équipements privés, comme le Pot-au-Noir, à Saint-Paul-les-Monestiers, affichent également leur « volonté forte de promouvoir la culture artistique en milieu rural ».

Construire du souvenir commun

« Il y a un territoire, il faut le labourer. Mais il faut aussi qu'il se passe autre chose avec les habitants et que les acteurs culturels partent de la ressource locale », soutient Samy Fouché, président du GR 38, un réseau d'acteurs de l'éducation populaire et du spectacle vivant qui travaille à la diffusion de projets culturels en milieu rural. C'est le sens de la démarche initiée par le CDDRA Royans-Vercors (1). Souhaitant mettre en œuvre une politique culturelle dans leur projet de territoire 2013-2019, les élus ont cherché à construire ladite politique de manière participative : il ne s'agit pas de « faire pour », mais  de « faire avec » de façon à contruire un projet qui tienne « compte des acteurs et des réalités du territoire », notamment parce que les « logiques de consommation culturelle » diffèrent entre les parties iséroise et drômoise du territoire. C'est ainsi qu'est né un projet culturel partagé, dont sont issus des projets aussi différents que « Linotte », un spectacle monté par une compagnie de théâtre, les Mangeurs d'Etoiles, ayant travaillé à la constitution d'une « banque de souvenirs » avec sept classes du pays de Royans (2), ou « Les films tirés du sac », un projet conçu de façon à construire une culture commune entre des gens et des mondes qui ne connaissent pas. « Plutôt que de déplacer les habitants, nous avons voulu un « objet » qui se déplace de village en village, une programmation qui permette d'avoir en partage une soirée identique pour construire du souvenir commun », explique Sandrine Martinet, en charge de la mission développement culturel du CDDRA Royans-Vercors. Et ça marche. Car non seulement le public savoure une programmation de qualité, mais il rencontre aussi des univers nouveaux qu'il n'a pas l'habitude de côtoyer : une grotte, une charbonnière, une menuiserie, une ferme nucicole. La culture n'est plus une affaire d'intellectuel : c'est une histoire bien ancrée dans le réel.

(1)  Le CDDRA (Contrat de développement durable de Rhône-Alpes) est un dispositif conclu entre la région Rhône-Alpes et des territoires ruraux pour accompagner des projets de territoire. Celui de Royans-Vercors regroupe trois communautés de communes (Vercors, Massif du Vercors et Pays du Royans) à cheval sur les départements de l'Isère et de la Drôme.

(2)  Rencurel, Saint-André-en-Royans, Saint-Pierre de Chérennes et quatre autres communes drômoises.

Marianne Boilève

Prochaine édition des Films tirés du sac : samedi 10 janvier à Autrans

 

La culture, une resssource pour les territoires ?

Première adjointe au maire de Pont-en-Royans, Amandine Vassieu estime que les ressources culturelles participent de l'attractivité d'un territoire, y compris en milieu rural.
Qu'est-ce qui pousse un élu à prendre fait et cause pour la culture ?
Pour moi, le premier enjeu est d'ordre sociétal. Mais il est également économique. L'argent de la culture est invisible. On ne se rend pas compte, mais la culture provoque un effet de levier. Que ce soit pour le spectacle vivant ou le cinéma, il y a des fonds de dotation : quand la collectivité met un euro, l'Etat en verse trois. Dans le sud-ouest, les acteurs du territoire l'ont bien compris. Ils se sont fédérés pour offrir une large palette de décors : le patrimoine, le far-west, la campagne... Ils investissent pour que le tournage se fasse chez eux, ce qui génère en retour du chiffre d'affaires.
En quoi les ressources culturelles participent-elles de l'attractivité d'un territoire ?
Une entreprise, quand elle s'installe quelque part, veut s'assurer que ses salariés trouveront un cadre de vie, un système éducatif, des équipements structurants, mais aussi une offre culturelle. Les entreprises ont des demandes très précises pour leurs cadres. Et le dynamisme culturel en fait partie. Le problème, c'est que beaucoup considèrent la culture comme relevant de l'œuvre de bienfaisance. Et non pas de l'équipement structurant facteur de développement local.