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Centenaire 14-18

Les tranchées, comme si vous y aviez été...

Installé à Pressins, « Regards de mémoire » célèbre le centenaire de la Grande Guerre en associant expositions thématiques et reconstitution de 200 mètres de tranchées. Un tour de force labellisé par le Comité du centenaire, qui mobilise tout le canton de Pont-de-Beauvoisin.
Les tranchées, comme si vous y aviez été...

Un soleil radieux, le chant des oiseaux, une explosion. Impression étrange. Il y a quelques semaines, dans ce pré loué à un agriculteur et désormais éventré par un labyrinthe de tranchées, un troupeau de vache paissait tranquillement. C'est aujourd'hui un champ de bataille. Les bénévoles de l'association Historiales y ont méticuleusement reconstitué plus de 200 mètres de tranchées, transformant la paisible clairière de Pressins en parcours du combattant. Au sens propre du terme. Serge Revel, responsable des Historiales et initiateur de ces « Regards de mémoire », prévient : « Le village de Pressins, comme l'immense majorité du territoire français, n'a jamais été un lieu de combat. Cette reconstitution n'a pour objet que d'aider le public à imaginer et à comprendre ce que fut cette guerre, les conditions de vie des soldats. »

Parrainée par le ministère de la Défense, cette exposition grandeur nature concentre sur quelques centaines de mètres carrés ce qui pouvait s'étendre sur des centaines de kilomètres en zone de front. Pour la réaliser, des dizaines de bénévoles, aidés de renforts savoyards, ont pendant des mois, creusé des tranchées, remué des tonnes de terre, aménagé des « cagnas », récupéré tonneaux, échelles, tôles, barbelés dans les fermes alentours pour donner à ce champ de bataille un air d'authenticité. Scolaires, maison familiale rurale et associations d'anciens combattants leur ont prêté main forte. Le résultat force le respect.

Après avoir traversé les tentes de campagne qui abritent une dizaine d'expositions thématiques (mémoire d'enfance, mémoire de femmes, mémoire de guerre...), le visiteur pénètre dans le labyrinthe par la « troisième ligne », cette tranchée de réserve qui servait de chemin de ravitaillement et permettait aux soldats de prendre un peu de repos. A gauche, une entrée de mine. C'est le premier des seize postes scénarisés qui ponctuent le parcours. On y apprend comment, dès 1915, les Allemands se sont lancés dans une redoutable guerre des mines, pratique qui consiste à creuser des galeries souterraines pour aller faire exploser les lignes ennemies...

Des animaux décorés pour fait de guerre

Un peu plus loin, hommage est rendu aux animaux mobilisés durant le conflit pour transporter les munitions et ravitailler les lignes de front. Chiens de traîneaux venus d'Alaska, chevaux et bœufs tirant les pièces d'artillerie, ânes et mulets indispensables en zone de montage, mascottes, porte-bonheurs, 14 millions de bêtes ont partagé le sort des hommes durant tout le conflit. Dix millions y ont perdu la vie et 120 000 ont été décorés pour fait de guerre. Une première. Les pigeons voyageurs ne sont pas oubliés, qui complétaient efficacement le dispositif d'un poste stratégique : celui des transmissions. Outre les volatiles, les belligérants ont pour la première fois fait appel à la pointe de la technologie de l'époque, comme le télégraphe et le téléphone. Serge Revel rappelle d'ailleurs « le travail héroïque des sapeurs télégraphistes [qui] déroulent des câbles sous la mitraille et les obus ».

Après les transmissions, la « troisième ligne » égraine les autres postes de l'arrière : les feuillées (toilettes rudimentaires),  les guitounes et les « cagnas », celui du maréchal-ferrant, celui du sellier, ou encore la « popote » qui remonte tant bien que mal le moral des troupes. A quelques mètres de là, dans le « poste de secours », une infirmière et un médecin de campagne, raides dans leur blouse blanche impeccable, veillent sans y croire sur deux gueules cassées. Il faut se pencher sur la pancarte et les photos qui l'accompagnent pour prendre la mesure de l'horreur de la boucherie que fut la Grande Guerre et des difficultés à prodiguer des soins sur le front. Plaies béantes, hémorragies violentes, hygiène quasi absente...

Vies en sursis

Le décor est planté. Le visiteur s'engage en « deuxième ligne », où les soldats attendent le prochain combat. Le chemin monte légèrement. Un poilu caché dans un faux arbre guette les lignes ennemies. Ses collègues sont repliés à quelques mètres, dans un abri meublé de bric et de broc. Deux soldats s'épouillent sous le regard curieux d'une compagnie de rat. La progression continue. A gauche, à droite, des tonneaux de vin, des roues, des montants de lit en fer rouillé, un couvercle de casserole. La « normalité » de vies en sursis. Sur les palissades sont reproduites des inscriptions officielles : « Une seule peine, la mort ! » ou « Interdiction de s'asseoir ! Interdiction de fumer ! »...

On arrive au « poste n°6 », celui de l'assaut. Une échelle de bois est fichée en terre : c'est par là que les soldats, baïonnette au canon, partent affronter l'ennemi dans le « no man's land », entre les lignes françaises et allemandes. A gauche et à droite, des boîtes de conserves sont accrochées aux barbelés pour alerter en cas d'intrusion ennemie. Dans les bois alentours, les oiseaux gazouillent et se répondent. Trois explosions retentissent. Sursaut. « Il faut imaginer que les obus explosent, que ça tire de partout », insiste Denis Neyret-Belot, le concepteur des tranchées. L'homme a beaucoup lu, s'est documenté, a visité Verdun, la Chapelotte, le champ de bataille le plus profond, ou encore celui du Linge avant de plancher sur le site de Pressins. Il raconte : « Au début de la guerre, les tranchées n'existaient pas : les soldats n'avaient pas le droit de s'enterrer. On était resté à l'offensive. On ignorait ce qu'était la défensive. Les Allemands, eux, savaient se cacher. »

PHOTO 1

Assaut en pantalon garance... Les fantassins bénévoles qui se prêtent à l'exercice ont tous en mémoire un ancêtre qui a fait la Grande Guerre. Soudain, du fond de la clairière, une poignée de fantassins en pantalon garance figurent une attaque. Ils s'élancent en hurlant, baïonnette en avant. Après l'assaut, Yves Pringet, l'un des fantassins, raconte qu'il avait 15 ans quand son grand-père lui a raconté « sa » guerre : « Ce qui l'a le plus marqué, c'est la sauvagerie des capitaines. » Œil vif et barbiche d'époque,

Jean-François Milot, explique quant à lui qu'il joue ce rôle en mémoire de « tous ceux qui y ont laissé leur peau, histoire de penser qu'ils ne sont pas morts pour rien ». L'homme connaît son affaire : « La guerre de 14, ça a été une boucherie organisée par les hauts dignitaires. On a fait croire aux soldats que ce serait une guerre courte. Mais ça a duré quatre ans, avec 10 millions de morts et des millions de gueules cassées dont on ne parle pas souvent. » Si, mais un siècle plus tard.

Marianne Boilève

 

Regards de mémoire jusqu'au 26 octobre

Ouvert du mardi au dimanche (y compris les jours fériés), de 10 h à 18 h jusqu'au 31 août. Du mercredi au dimanche à partir du 1er septembre.
Tarif : 10 euros (adulte) et 3 euros (moins de 18 ans et personnes handicapées).
Forfait visite et spectacle son et lumière « Les frères Joseph » (du 16 au 26 juillet) : 22 et 10 euros.
Renseignements à la maison du tourisme des Vallons du Guiers : 04 76 32 70 74
Les 5 et 6 juillet, « Réflexions sur la guerre », un événement organisé en partenariat avec la librairie Majolire (spectacle, lectures, rencontres, débats et dédicaces en présence d'auteurs et de créateurs de BD) de 10 h à 18 h.

 

Une manifestation locale et éco-conçue

Installé sur deux hectares en site naturel, « Regards de mémoire » est une manifestation dont l'impact environnemental et sociétal a été pris en compte dès la conception. La clairière a été désherbée et est entretenue avec des produits non polluants. Les superstructures, les décors, les costumes, les accessoires et la signalétique sont l'œuvre de bénévoles et d'étudiants (lycée de Pont-de-Beauvoisin et MFR de Saint-André-le-Gaz) qui ont travaillé  à partir de matériaux certifiés, recyclables, réutilisés ou réutilisables. Les costumes ont ainsi été taillés dans de vieux vêtements ou de tissus de récupération. Dans le même esprit, le bistro du Poilu propose une petite restauration à partir de produits locaux.

 

Jeune public

Pré en bulles

En marge de l'événement « Regards de mémoire », Pré en Bulles est un festival qui combine ateliers et spectacles pour petits et grands enfants. A côté des « bulles ateliers », où les jeunes festivaliers sont invités à s'initier au modelage, au maquillage à l'argile ou à la fabrication de chapeaux en papier, les « bulles spectacles » proposent une programmation originale, associant théâtre, arts du cirque, conte musical et marionnettes. A ne pas manquer, Georges, un spectacle musical et livresque de La toute petite compagnie, Les ravages à Ratbord (cirque théâtralisé) de la compagnie Sans concession, La Nuit, les arbres dansent, spectacle magique de la Fabrique des petites utopies, et une initiation au beatbox avec Alem, la boîte à rythme humaine.
De 6 au 9 juillet, de 10 à 18 heures à Pressins. Tarif : 10 euros (gratuit pour les moins de trois ans).