Maire-agriculteur, une casquette pas toujours facile à porter

Dans les communes rurales, les conflits d'usage sont nombreux. Il ne s'agit plus du problème du coq qui chante et réveillent les néo-ruraux à 7 heures dimanche, mais surtout des problèmes de voirie et de difficultés d'exercer sa profession. Le quotidien d'un maire de commune rurale, ce sont souvent les oppositions entre agriculteurs et non agriculteurs : « Nous avons souvent des plaintes l'été, lorsque nous épandons. Les gens se plaignent des odeurs, de ne pas pouvoir faire leur barbecue. Charge à nous de leur expliquer que ce que nous épandons est organique », témoigne Christophe Buisset, président de la FRSEA Picardie et maire d'Aveluy, une commune rurale de 520 habitants, située dans la Somme. « Les gens se plaignent des routes sales quand on sort des champs, ou quand on sort les vaches. Mais ces mêmes personnes viennent nous voir quand il y a de la neige », analyse Christophe Buisset qui reconnait que certains agriculteurs sont parfois peu conciliants. « Ils laissent parfois les chemins ruraux dans des états pas possibles, et là je dois intervenir. »
Défense des intérêts agricoles
Avec la baisse continue du nombre d'agriculteurs dans les instances communales, c'est parfois la capacité d'exercer leur métier qui est en jeu. Le président des entrepreneurs de travaux agricoles (FNEDT), Gérard Napias, connaît bien ce problème. Il s'inquiète de voir les intérêts agricoles de moins en moins défendus dans les communes. « La circulation routière des engins agricoles devient de plus en plus difficile. Les aménagements routiers et urbains ne prennent pas en compte le gabarit des machines », regrette-t-il récemment. « Ralentisseurs, chicanes, écluses, coussins, rond-point et autres installations destinées à contraindre les usagers à réduire leur vitesse fleurissent partout en France et pénalisent la circulation des machines agricoles. »
Jouer le jeu
A Janneyrias, 1500 habitants, en Isère, « les riverains demandent à ce que les chemins de lotissement soient interdits aux poids lourds et aux tracteurs », regrette Jérôme Crozat, un jeune éleveur qui se présente sans étiquette face au maire sortant. Comme d'autres, Jérôme Crozat essaie d'expliquer l'agriculture, et parfois cela marche. « Des gens se sont plaints d'un agriculteur qui a mis des cloches sur ces vaches, mais l'ambiance reste bonne. Quand il y a des fêtes, les gens sont contents de pouvoir nous solliciter. Il faut jouer le jeu. »
Quoi qu'il arrive, le travail d'un maire demande un certain don de soi pour faire cohabiter les populations. Agriculteur à la retraite, Roland Berthelier, 63 ans, de Biefmorin, « part pour un troisième mandat » dans son hameau de 78 habitants : « Etre maire de ma commune implique beaucoup de don de soi par rapport à la collectivité. » Dans son village du Jura, la population se renouvelle très vite et de nombreux jeunes qui travaillent à Dole et Lons le Saunier arrivent. « Beaucoup de familles qui faisaient le socle du village disparaissent doucement, les enfants sont partis à la ville. » Il n'y a plus qu'une exploitation agricole, celle de son fils. Il avoue que parfois s'il n'avait pas été maire, les conflits auraient été durs à gérer entre son fils agriculteur et les autres habitants. Il essaie de faire un vrai travail « de communication, d'abnégation. » : « Les gens arrivent en étant déconnectés de la campagne, des vraies réalités quotidiennes de la campagne. Ils recherchent de la tranquillité. (...) Parfois, on a affaire à des citadins purs et durs, ils arrivent à la campagne avec l'image passéiste de la campagne de l'agriculture de leurs grands-parents ». Les problèmes sont souvent autour des vaches qui mettent de la terre sur la route, la trayeuse qui fait du bruit ou encore quand l'agriculteur part avec le pulvé, « ils ont l'impression que le village va subir une attaque nucléaire ».
Budget de misère
Les situations sont rendues plus difficiles lorsque la commune, comme c'est souvent le cas, gère un budget de misère. « Il y a de plus en plus de gens seuls, des femmes d'agriculteurs ou d'artisans, qui se retrouvent avec de petites retraites, des femmes seules avec enfants, observe Christophe Buisset dans la Somme. Il y a une vraie misère à laquelle nous avons du mal à répondre. Le budget de notre CCAS (Centre communal d?action sociale) est de 5 000 euros par an, ça ne va pas loin. » Sa commune dispose d'un budget de 400 000 euros pour 520 habitants, qu'elle dépense pour la moitié en salaires, « une secrétaire de mairie, des Atsem (agent spécialisé des écoles maternelles, ndlr), un garde municipal. (...) Il ne reste pas grand chose pour les travaux d'assainissement, les services à la personne. » Pour l'élu, le développement des besoins en services à la personne peut cependant être vu comme une opportunité pour les agriculteurs : « Pourquoi pas imaginer un accueil de personnes âgées isolées à la ferme ? Cela permettrait aux conjointes de rester sur l'exploitation. » Une piste à creuser ?