Max et les hérens

« Le sauvetage des animaux, c'est arrivé avec les hérens, mais ce n'était pas ma première vocation ». Max Josserand a un métier et mille activités.
« Je suis commerçant en bestiaux », insiste-t-il. Il a créé son affaire personnelle à Saint-Cassien il y a 50 ans cette année, mais exerce le métier depuis encore plus longtemps.
Avant lui, dans sa famille, plusieurs générations avaient déjà revêtu la blouse, le chapeau et le bâton du marchand de bestiaux.
« J'ai toujours su que je voulais faire ça ». Passionné des animaux, humaniste, infatigable, baptisé « Le chasseur de vaches », il transporte chaque année des milliers de bêtes et autant d'histoires à partager.
« On ne peut pas faire ce métier si on n'aime pas les animaux ». Travailler avec du vivant, c'est analyser chaque situation, la maîtriser, faire preuve de patience, d'énergie, de réactivité et d'un grand sang-froid.
Qu'il s'agisse d'une simple vache à aller chercher ou d'un troupeau en déshérence, Max Josserand n'opère jamais seul. Il a choisi ses collaborateurs, Bernard, Baby et quelques autres, qui forment une équipe « capable de se comprendre en se regardant ».
On devine combien, avec des bêtes redevenues sauvages, la tâche peut être périlleuse. « On sait qu'on risque notre peau, admet le marchand de bestiaux, mais je n'ai pas encore ressenti la peur. Des fois ça passe près », déclare-t-il, cicatrices à l'appui.
Les mots pour rassurer
Si sa principale activité est la vente et le transport de bétail, Max Josserand est bien plus qu'un commerçant.
« Je suis à l'interface entre les producteurs », glisse-t-il. Une position qui oblige.
Sa religion, c'est l'échange, avec ses clients, avec ses fournisseurs, avec tous ceux que la vie des animaux place sur sa route.
Le suivi des bêtes, la satisfaction du client ont fait sa réputation.
Commercialiser la production locale, approvisionner les abattoirs, faire partir des bêtes à l'export, améliorer les troupeaux, trouver des taureaux reproducteurs, des génisses : « J'aide les éleveurs à survivre », confie-t-il.
« Il faut être présent en cas de difficultés familiales ou animales », poursuit-il. Il sait de quoi il parle. Souvent appelé dans les cas les plus désespérés, toujours souriant, empathique, l'homme sait trouver les mots pour rassurer et instaurer une relation de confiance.
« Ce sont nos gardes du corps »
Mais il a aussi une botte secrète : ses deux vaches hérens, Lolita et sa fille Musette. « Lorsqu'un animal devient farouche, grâces aux hérens, nous pouvons les ramener. Nous revenons rarement bredouilles ».
Petites, trapues, avec leur tête carrée et leurs belles cornes, les hérens ont un caractère dominateur. Elles sont connues des éleveurs et appréciées pour ces batailles qui permettent de déterminer la reine du troupeau.
Max Josserand est le seul à travailler de cette façon-là.
En cette saison, ce sont les génisses perdues en alpages qui donnent du fil à retordre aux bergers et aux éleveurs. Sa méthode : lâcher Lolita dans le secteur où la vache s'est égarée, attendre qu'elles « sympathisent » et ramener les deux bêtes à la bétaillère.
Si l'animal est redevenu sauvage un « fléchage » à la seringue hypodermique peut s'imposer.
« Ce sont nos gardes du corps, en restant toujours à l'abri derrière elle, je ne me suis jamais fait charger. Pas besoin de grandes fourches ou de grands bâtons. ».
« Un élevage est en train de disparaître »
Max Josserand sillonne les routes de France depuis près de 15 ans, pour récupérer des animaux errants ou en déshérences, bovins ou ovins principalement.
Il intervient à la demande de la DDPP*, avec l'OABA et sous escorte.
« Ce qu'on fait, ce qu'on entend, ce qu'on ressent, il faut avoir les nerfs solides. Ce n'est pas de gaîté de cœur que nous y allons, mais il faut le faire, pour les animaux et pour les hommes. »
En plus de 50 ans de carrière, il en a vu d'autres, mais reste toujours touché « par la tristesse de ces situations. Un élevage est en train de disparaître dans la douleur ».
Car ce n'est jamais terminé. Crise de l'élevage, marginalité, accident professionnel ou familial : quand un éleveur baisse les bras, la ferme part à vau l'eau et les animaux crèvent de faim, de soif ou de froid.
Sa plus grande satisfaction, c'est de voir l'éleveur accompagner ses bêtes jusqu'au camion. C'est souvent un soulagement. « Maintenant, je vais pouvoir aller me soigner », lui a confié dernièrement un agriculteur à qui le bétail avait été enlevé.
Réveillon de Noël
Parfois, les situations sont plus périlleuses que dramatiques.
En 2004, la veille de Noël, Max Josserand et Albert Martinon, dit Baby, se souviennent avoir descendu dans la neige les dernières vaches d'un alpage, dispersées par le loup et qu'aucun moyen n'avait permis d'attraper. « A 18 heures, on a entendu le loup, ça fait froid dans le dos. Il faisait -10°, nous étions des glaçons, mais tout était en bas à la nuit. Une fois la mission accomplie, ça a été le plus beau réveillon de Noël ».
Il y a deux ans, il a été appelé en urgence pour intervenir sur l'A48 où un camion transportant des bestiaux avait été accidenté.
Autoroute bloquée, animaux divagants : « Il y avait une dizaine de bêtes à récupérer et tout le monde attendait ce que j'allais faire ». Au bout de quelques heures, tout est rentré dans l'ordre, mais Max Josserand reconnaît avoir ce jour-là subi une énorme pression.
Faire passer le message
Pas question de raccrocher la canne pour autant. « Tant que le corps suit et qu'il y a des gens avec qui travailler, j'ai toujours le même plaisir », déclare le marchand.
Ne l'appelez surtout pas maquignon. « C'est un terme péjoratif qui ne fait pas honneur à la profession. Le maquignon, c'est celui qui maquillait les chevaux. Nous sommes des commerçants en bestiaux », tranche-t-il.
Un commerçant qui reste aussi fidèle à la foire de Beaucroissant et dont la parole est très écoutée des pouvoirs publics et des politiques.
Toujours à l'interface, Max Josserand a cette facilité particulière de faire passer les messages. Pour son investissement, pour ses convictions, entre autres distinctions, il a été fait chevalier dans l'ordre national du mérite agricole.
Isabelle Doucet
AssociationLes troupeaux du bonheur
« Max a évolué et j'ai aussi évolué ». Voici plus de dix ans que Max Josserand travaille avec l'association OABA et son directeur Eric Freund, « dans un respect mutuel pour la personne qu'il y a en face », explique ce dernier.L'association Œuvre assistance aux animaux d'abattoirs, reconnue d'utilité publique, a pour mission, depuis 50 ans, la protection des animaux d'élevage.
Elle est à l'origine de l'introduction du « matador » dans les abattoirs en France.
Historiquement, elle a pour vocation de visiter les établissements d'abattage. « On essaie d'être constructif », explique son directeur. Il faut dire qu'en 2012, un reportage télévisé, mal vécu par la profession, a fermé les portes de nombreux abattoirs à l'association.
Depuis, elle a développé une deuxième mission qui est la prise en charge d'animaux à l'abandon. « Les animaux sont ensuite mis dans des fermes d'accueil dans l'attente d'une issue judiciaire », précise Frédéric Freund.
La décision aboutit à trois cas de figure : rarement les animaux sont rendus à l'éleveur, ils sont souvent revendus ou retirés et confiés à l'OABA qui les garde ou les cède à un éleveur ou un négociant. L'association a créé en France une vingtaine de « troupeaux du bonheur », où sont accueillies les bêtes « sans valeur économique » pour finir paisiblement leur vie dans un pré, dans une ferme d'accueil.
« Nous intervenons pour retirer momentanément du circuit des animaux d'élevage qui sont en péril imminent », martèle le directeur. Environ 90% des animaux retournent ensuite dans le circuit des bêtes de rente.
Le budget de l'association s'élève à environ un million d'euros, entièrement financé par des dons et des legs. 60% est consacré aux animaux en péril.

L'OABA insiste sur le fait qu'elle est une association de terrain. « Se confronter à la réalité, discuter avec l'éleveur, le transporteur, le négociant donne une autre vision des choses », reconnaît Frédéric Freund.
« Nous travaillons avec Max Josserand depuis environ 10 ans. Il est le seul à intervenir avec des vaches hérens. C'est un plus pour approcher les bovins, notamment parce que nous menons des opérations très compliquées », note le directeur qui qualifie l'expérience de Max Josserand « d'indispensable ».