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Economies d'intrants

Moins de phyto, plus de réseau

En Rhône-Alpes, le réseau Dephy Ecophyto mobilise 130 exploitations pilotes, engagées dans la réduction de l'usage des produits phytosanitaires. Une aventure agronomique et humaine à la fois.
Moins de phyto, plus de réseau

Produire autant avec moins d'intrants. C'est le « défi » que tentent de relever les 1 900 fermes pilotes du réseau Dephy Ecophyto à travers la France. En Rhône-Alpes, région vertueuse par excellence puisque peu consommatrice de produits phyto (1), 130 agriculteurs se sont volontairement engagés à faire évoluer leurs pratiques pour réduire et améliorer, autant que faire se peut, l'usage de produits phyto dans leur exploitation. Pour y parvenir, ils ont rejoint l'un des treize réseaux Dephy de la région, chacun correspondant à un territoire homogène, avec des conditions pédoclimatiques proches, des « pressions phytosanitaires » et des systèmes de production comparables. Objectif : construire des systèmes de culture économes et performants en actionnant différents leviers agronomiques (diversification des espèces cultivées, rotation, choix variétal, gestion de l'azote, gestion de l'espace, associations d'espèces et de variétés...). Un chantier souvent compliqué à mettre en œuvre, surtout quand il s'agit de recomposer son système, autrement dit, arrêter de faire comme on a toujours fait...

Travail de longue haleine

Pour accompagner cette évolution, chacun des 13 réseaux régionaux est animé par un ingénieur (2), chargé d'accompagner individuellement les agriculteurs, de faire vivre le groupe (ateliers de co-conception, journées techniques, visites d'exploitations, formations...) et de produire des références qui pourront ensuite être utiles aux autres. « C'est un travail de longue haleine, témoigne Aymeric Solerti, ingénieur réseau du « PCE 38 ». Il faut laisser le temps au temps pour diffuser la méthodologie, l'affiner, changer les pratiques. »

La première étape consiste à se fixer un objectif réaliste en matière d'IFT. « Souvent les agriculteurs visent un réduction de 30% de leur usage de produits phyto. C'est un objectif relativement accessible, sans grosse remise en question des systèmes. Au-delà, cela devient plus compliqué », explique Nicolas Chartier, de l'Institut de l'élevage, qui, avec son collègue Philippe Tresch, a livré au printemps les premiers résultats nationaux du réseau Ecophyto. Marie-Christine Simon-Prudhomme, chef de projet Ecophyto à la Draaf Rhône-Alpes, confirme à sa manière : « Pour aller au-delà de 30%, il faut repenser la ferme France. Et pour y arriver, il faut que l'ensemble de la ferme France bouge. Un seul agriculteur dans son coin n'arrivera à rien. Il faut que tout le monde se mobilise, de l'amont à l'aval. »

Echanges et appui technique

Plus facile à dire qu'à faire. Aymeric Solerti et ses collègues ingénieurs en savent quelque chose. La démarche n'en est pas moins intéressante. Si le « PCE 38 » affiche « des résultats en dent de scie », la tendance générale est à la baisse de l'usage des phyto (-30% d'herbicide dans certaines exploitations), « avec un point de départ assez bas par rapport à l'IFT de référence », précise l'ingénieur. A cheval sur l'Ain et l'Isère, son groupe comprend 11 exploitations (2) aux systèmes de productions à la fois comparables (polyculture élevage à dominante laitière) et très diversifiés (élevage de porc, vaches allaitantes, part de céréales vendue variable, irrigation, vente directe...). Et 11 agriculteurs au profil très différent aussi : « Si certains avaient déjà réfléchi parce qu'ils sont en bio ou se trouvent dans des zones sensibles, d'autres ne s'étaient jamais posé de question », affirme Aymeric Solerti. Motivés par cette diversité d'approches et d'expériences, les agriculteurs apprécient de disposer d'un appui technique et de pouvoir échanger. « Avec le groupe, on se sent moins seul. Et ça permet d'évoluer dans le bon sens », atteste Patrick Gerin, du Gaec de Mayolans.

Dans un premier temps, l'ingénieur réseau aide l'agriculteur à caractériser son système de culture et à évaluer ses performances agronomiques et techniques. Puis il définit avec lui un projet pour sa ferme avant de l'accompagner dans la mise en place d'un système économe. Sans jamais perdre de vue la question des marges et de la performance économique. Car si les charges en produits phyto diminuent, quid des charges de mécanisation et du temps de travail ? Comment intégrer la variabilité des prix de vente ? Et comment gérer les débouchés ? Les techniciens conseillent les mélanges de variétés, de type méteil, une culture dense, qui de nécessite pas de fongicide. Mais comment faire quand on n'a pas d'animaux pour le valoriser ? De même pour la luzerne : comment demander à un céréalier de la valoriser alors que la filière n'existe pas ? On le voit, Dephy Ecophyto, sur le papier, c'est bien. Sur le terrain, cela soulève encore beaucoup de questions.

(1) 80% des exploitations en polyculture-élevage sont en dessous de la barre des 2,4 IFT et 45 % des exploitations en grande culture sont en-dessousde 3,2 IFT.

(2) Les ingénieurs réseaux Dephy sont missionnés par les chambres d'agriculture départementales, des coopératives (La Dauphinoise) ou des associations (Adabio et Agribiodrôme).

(3) 9 en Isère et 2 dans l'Ain, deux exploitations en agriculture biologique ainsi que l'exploitation du lycée agricole de la Côte-Saint-André).

Marianne Boilève