Ni aides, ni subventions mais des prix

Ils sont jeunes, ils ont mis aux normes et modernisé leurs fermes. Leurs troupeaux sont de taille plus qu'honnête et l'exploitation dimensionnée pour être productive et pourtant, ils n'arrivent plus à joindre les deux bouts. Avec des trésoreries asséchées, ils se voient obligés de vendre des bêtes ou des terres pour honorer leurs traites et crient leur colère de ne pouvoir tirer un revenu de leur travail.
Stéphane, Fabrice, Nicolas et bien d'autres ont participé à toutes les manifestations ou presque qui ont égrené ce mois de juillet pour faire prendre conscience de l'extrême fragilité de la situation de l'élevage français et plus particulièrement du secteur laitier. Alors que le ministre de l'Agriculture annonce un accord de l'ensemble de la filière à 340 euros les 1 000 litres de lait, contre les 300 pratiqués depuis le début de l'année, ils savent qu'ils ne retrouveront un fonctionnement correct de leur exploitation qu'à partir de 380 à 400 euros les 1 000 litres.
Ne rien céder
« Nous voulons des prix », martèle Stéphane Verdel, éleveur à Saint-Didier–de-la-Tour. Avec 60 vaches laitières de race prim'holstein, il produit 580 000 litres de lait qu'il livre à Sodiaal, à un prix B, plus flexible, de 29 centimes le litre. « Entre 2011 et 2013, j'ai investi 480 000 euros pour la mise aux normes et la construction d'un nouveau bâtiment, car j'ai été exproprié à cause de l'autoroute. Si cela m'a financé un tiers de l'investissement, en revanche le reste est constitué d'un prêt bancaire. » La situation que décrit cet éleveur de 44 ans est simple : « Je dégage un revenu de 900 euros par mois. Il y a donc des factures que je ne paye plus. J'ai la chance d'avoir des fournisseurs qui me font des facilités de paiement. Heureusement que ma femme travaille à côté pour faire vivre la famille. »
Pour lui, « il ne faut rien céder ». Les prix de la distribution, de la transformation, du machinisme, des intrants ont augmenté, mais pas ceux payés aux producteurs. Il décrit une crise structurelle où le fonctionnement de la filière « amont et aval doit être remis à plat, y compris le système coopératif ». Mais surtout, il ne veut ni aides, ni subventions « qui ne servent qu'à renflouer les trésoreries, mais qui à terme ne pourront pas être remboursées ». A 4 centimes de hausse par litre, il sait qu'il pourra payer ses factures, « mais on ne peut pas vivre. On voit l'argent nous passer entre les mains, mais on ne peut pas investir ». Il redoute de voir des agriculteurs vendre leurs terres pour payer leurs dettes, « alors que depuis des années, nous nous battons contre l'urbanisation. On en arrive là ». Il critique aussi un système où des jeunes ont été poussés à investir, alors « que des gens attendent leur subventions PMBE depuis un an ». Autant de symptômes « d'un système qui est saturé et qui tire l'agriculture vers le bas ».
Décapitalisation
La décapitalisation, c'est aussi ce que vit Fabrice Collomb du Gaec de la Péluze. Une belle exploitation de 80 vaches laitières montbéliardes qu'il gère avec son cousin à Châteauvilain mais aujourd'hui totalement dans l'impasse en dépit de 720 000 litres de lait de production annuelle. Il a investi 300 000 euros depuis 2012 entre robots de traite, tank à lait, et silos et se retrouve « dans une situation catastrophique ». Avec sa femme conjointe collaboratrice, il ne touche plus qu'un RSA de 750 euros et son cousin, 400 euros. Le couple, qui a une fille de 11 ans, a tapé dans l'assurance vie de la famille : « Pas le choix ». Fabrice Collomb fixe des priorités : payer les fournisseurs, le vétérinaire, mais les retards s'accumulent. « J'ai vendu des bêtes l'année passée, des génisses qui étaient destinées à la production laitière. Je ferai moins de quota. » Tous les mois, il demande des acomptes à la laiteries.
Depuis le début de l'année son lait lui a été payé 300 euros les 1 000 litres en moyenne, 308 euros en juin. « A 360 euros, je pourrais y arriver tout juste, il faudrait atteindre 400 euros », reprend-il en regrettant que les années se suivent sans se ressembler. « J'ai réussi à rembourser mon crédit court terme à la banque, mais je ne peux pas en contracter un autre. » Il ne voit pas d'autre solution qu'une augmentation du prix du lait, se méfie des laiteries, des industriels et des grande surfaces, dénonce « ceux qui font rentrer du lait de l'étranger », regrette que les professionnels « aient laissé faire » face au monopole des grandes surfaces, critique les trop nombreuses contraintes qui pèsent sur les élevages en France, et les écarts « entre les analyses faites par le contrôle laitier et celles des laiteries rarement en faveur du prix du lait ». « Nous sommes coincés dans nos fermes », fustige-t-il.
Génération sacrifiée
A Saint-Jean-de-Bournay, Nicolas Coicaut a aussi fait ses calculs : 35 000 euros de manque en gagner comparé à N-1 où son lait était acheté 360 euros les 1 000 litres. Son troupeau de 80 vaches laitières montbéliardes produit 800 000 litres de lait également livrés à Sodiaal. Il travaille avec sa mère et emploie un salarié. Depuis le début de l'année, il perd 60 euros par tonne. Alors la revalorisation annoncée vendredi dernier de 40 euros par tonne ne pourra venir combler ce qu'il a déjà perdu, ne lui apportant que 16 000 euros supplémentaires. Le compte n'y est pas. « Quelle entreprise peut vivre comme ça ? », demande-t-il. Il accuse déjà un retard de 20 000 euros dans le règlement de ses factures. Et pas question de survivre à coup de nouvelles subventions « qui font vivre le monde qui nous entoure ». Si ses installations sont bientôt amorties, il pense « à tous les copains qui croient en l'avenir, qui investissent et risquent de sauter en premier ». Les chantiers de mises aux normes ont pesé lourd sur les exploitations, rappelle-t-il. « Si on refait des bâtiments, c'est pour travailler dans de meilleures conditions, pour aller vers l'avenir et vivre de son métier. » Mais quelque chose s'est déréglé. « On nous dit que ce sont les marchés mondiaux et européens, mais encore faudrait-il se battre à armes égales en Europe, à commencer par les coûts de main-d'œuvre pour être compétitifs », analyse-t-il. « On a du mal à être entendu ». L'exploitant veut être solidaire et dénonce le sacrifice d'une génération « qui ne pourra pas payer pour toutes les erreurs commises par d'autres ». A 32 ans, ce père de trois enfants dit avoir « la chance que (sa) ma femme travaille à l'extérieur. C'est un salaire assuré et elle est compréhensive ».