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Nuciculture

Noix : quelle pratique culturale pour améliorer l'état sanitaire des vergers?

Si la filière noix semble avoir un bel avenir en termes de marché, elle s'inquiète à juste titre des dangers sanitaires qui menacent les vergers. Tel est le message délivré lors l'assemblée générale de la Senura le 28 mai à Chatte.
Noix : quelle pratique culturale pour améliorer l'état sanitaire des vergers?

Comme tous ses confrères, Jean-Luc Revol est inquiet. Certes la conjoncture reste porteuse, la demande internationale forte et le prix de marché élevé. Dans son rapport moral, présenté à l'assemblée générale du 28 mai, le co-président de la Senura fait d'ailleurs montre d'un relatif optimisme, rappelant que 2014 avait été une « année très atypique », caractérisée par une campagne globalement bonne pour la filière, même si « tous les producteurs ne se trouvent pas dans la même situation, les zones les plus froides [ayant] subi de fortes pertes de récolte et enregistré une chute de revenu significative ». L'inquiétude est ailleurs.
Elle prend la forme d'une épée de Damoclès sanitaire. Déjà confrontés à la présence de nombreux pathogènes et ravageurs (bactériose, Colletotrichum, mouche du brou, cochenille…), les nuciculteurs se font du souci à moyen terme. « La substitution du système de polyculture, remplacé par la monoculture du noyer, associée au changement climatique, sont et seront vraisemblablement à l'origine de l'apparition de nouvelles pathologies », avertit Jean-Luc Revol. La dernière en date, le Colletotrichum, qui donne du fil à retordre aux producteurs de la région depuis quatre ans, est, avec la bactériose, « l'un des principaux dangers pour l'état sanitaire de nos vergers », assène le président de la Senura.

Résistance au cuivre

Pour ce qui est de la bactériose, cette année encore, la pluviométrie aidant, les vergers ont été contaminés. Daniel Eymard-Vernein, producteur à Izeron et « référent bactériose » pour la senura, rappelle que d'innombrables essais de molécules chimiques ont été conduits depuis des années : sans succès. « Cette méthode s'est toujours révélé être un échec avec, au final, l'apparition de résistances avec l'historique et répétitive bouillie bordelaise. On travaillera avec la bactérie, mais on ne la détruira pas comme un champignon ou un insecte, car elle est en évolution permanente. Cela étant, un mieux dans la lutte semble être apporté par des pratiques culturales différentes, en installant la bactérie dans des conditions défavorables à son développement. »
C'est ce que cherchent à établir précisément les équipes de la Senura. Différentes pistes sont explorées, comme le meilleur compromis à trouver sur les apports en matière organique, le travail du sol ou la gestion de l'irrigation. « Il est vrai que l'irrigation est à l'origine de beaucoup de problèmes dans nos vergers », souligne Jean-Luc Revol. Quant à la résistance au cuivre, Yves Borel, président du CING, est revenu dessus en lançant un pavé dans la mare : « Depuis dix ans, mes vergers n'ont plus vu un gramme de cuivre. Mes sols en étaient chargés. Les techniciens n'ont pas su me dire ce qu'il fallait faire. J'ai pris le risque d'arrêter le traitement au cuivre. J'invite tout le monde à venir voir mes noyers : ils sont jolis. Au niveau rendement, je n'en ai pas moins que les autres. La recherche nous donne un panel de pistes et c'est très bien. Mais la vérité, c'est quand même l'agriculteur qui la détient. Combien coûtent tous ces traitements ? Combien de temps passe-t-on à les faire ? Il faudrait calculer tout ça. Ça en ferait peut-être réfléchir certains... »

Le champignon qui fait trembler

Concernant le Colletotrichum, la problématique est tout autre. « C'est un champignon qui nous fait trembler chaque fin d'été et pendant la récolte, tant son potentiel de destruction semble important alors que la noix est au stade final, indique Daniel Eymard-Vernein. En situation climatique favorable, les dégâts pourraient être énormes et généralisés. » Les équipes de recherche concentrent leurs efforts dessus. En 2014, les travaux de la Senura, menés en collaboration étroite avec le laboratoire du CTIFL de Lanxade, ont permis de déterminer – en laboratoire – le pourcentage de bourgeons infectés et d'approfondir les tests sur l'efficacité de différents fongicides. Sur le terrain, des contaminations artificielles ont été réalisées pour mieux connaître le cycle du champignon et identifier de façon fiable les premiers dégâts sur fruits. La poursuite de ce travail est en cours, mais aucune « solution miracle » ne se dessine à l'horizon.
Quant à l'essai mis en place en partenariat avec la Dauphinoise, Coopenoix et Valsoleil, pour tester sur le terrain l'efficacité à différentes périodes d'un nouveau produit fongique, il ne s'est pas révélé concluant. Pour l'heure, là encore, aucun moyen de lutte n'est en vue. Seule la prophylaxie permet d'anticiper et surtout d'éviter que le Colletotrichum n'infeste les parcelles l'année suivante. « La filière noix et tous ses producteurs doivent se mobiliser rapidement sur ce sujet, d'autant que d'autres maladies sont déjà dans la « file d'attente », avertit Daniel Eymard-Vernein. Et le lanceur d'alerte nucicole d'en profiter pour faire un appel au peuple : « Il est souhaitable qu'un producteur jeune et motivé s'investisse dans le « groupe de travail colleto » : c'est une commission importante pour l'avenir ». Sera-t-il entendu ?

Marianne Boilève

Le nerf de la guerre, générateur de crise de nerf

La recherche, c'est bien, mais comment la financer ? Ayant perdu plus de 50 000 euros de financements publics en quelques années, la Senura s'interroge. Et cherche des solutions. Si la Région maintient ses aides (environ 60 000 euros), la nouvelle équipe du conseil départemental attribue une subvention équivalente à celle de l'an dernier (16 941 euros) « malgré un cadre budgétaire contraint ». C'est une bonne chose. Mais FranceAgriMer (FAM) se montre moins empressé à détailler son soutien. « A ce jour, six programmes ont été présentés et validés par le comité scientifique. Par contre, nous ne connaissons toujours pas le niveau de financement retenu. Les actions, engagées à ce jour, se retrouveront peut-être sans financement FAM fin 2015 ! », s'alarme Jean-Luc Revol. Evoquant la fragilité des financements, le co-président de la Senura se prend à rêver : « Aujourd'hui, on lèverait 20% de cotisations de plus (1), le problème serait réglé. Mais seuls peuvent cotiser les producteurs membres d'une OP, qui ne représentent que 55 à 60% des nuciculteurs de Rhône-Alpes. Nous devons engager collectivement, à très court terme, une réflexion sur la participation de tous au financement de la station, car les travaux et les essais de la Senura profitent à tous. Mais le dossier n'avance pas... » Lors de l'assemblée générale, le constat a provoqué l'emportement d'un producteur : « C'est une injustice totale ! » Ce à quoi le président, philosophe, a répondu : « Je comprends votre amertume, mais le mutualisme a d'autres valeurs... »
MB
(1) 115 000 euros en 2014 et 127 000 euros annoncés en 2015 sur un budget prévisionnel de 612 000 euros.