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" On fait vivre une entreprise "

A Crolles, le jardiner Marc Raymond emploie en apprentissage deux jeunes en situation de handicap. Un pari humain bien loin de toute idée de rentabilité.
" On fait vivre une entreprise "

« Je prends des apprentis depuis 1985 et des personnes en difficulté depuis longtemps », déclare Marc Raymond. Ce jardinier paysagiste intervient chez des particuliers, des entreprises et des copropriétés dans un rayon d'une quinzaine de kilomètres alentour. L'activité d'entretien des espaces verts est prépondérante sur celle de création de jardins. « On tond, on taille », ironise ce patron aux accents humanistes. « C'est un métier plaisant, car nous sommes près de la nature et des gens. Il faut vivre de son métier, mais aussi le vivre. » Coincé entre un souci de rentabilité et l'envie de faire partager ce qu'il a appris de la nature, Marc Raymond a fait le choix d'une ligne de vie. Celle des horaires réguliers et de la performance dans son métier. « C'est tout un ensemble ». Il ne s'éparpille pas, le travail est bien fait et la clientèle est fidèle. « En revanche, je ne fais aucun bénéficie », assure-t-il.

"Un engagement très prenant"

S'il s'intéresse aux jeunes en difficultés, c'est peut-être en raison de son histoire personnelle. « Jeune, j'avais un instituteur qui s'occupait des enfants socialement délaissés. ». Enfant asthmatique, Marc Raymond côtoie le quotidien de ces élèves en retard scolaire et de leur enseignant. « J'ai suivi cette personne jusqu'à la fin de sa vie. Et à mon tour, à la fin de ma vie professionnelle, j'ai voulu tenter le coup avec des jeunes comme eux, pour peu qu'ils soient réceptifs à ce que je fais. C'est un pari sur leur réussite et sur moi-même : faire passer mes 34 ans d'expérience d'exploitant à des personnes qui demandent peut-être plus que d'autres. C'est un engagement très prenant. »

Le jardinier rencontre d'abord Clément, 18 ans, présenté par ses grands-parents et élèves en Capa travaux paysagers au CFPPA de Reynach à La Motte-Servolex, établissement signataire de la charte H+ pour l'accompagnement des publics handicapés. « Je me suis dit pourquoi pas. C'est un challenge ». L'année suivante, arrive Julien, 20 ans, étudiant en Bepa au lycée horticole de Saint-Ismier. Dyslexique, son léger handicap n'est pas visible, mais le jeune a pas mal galéré. « Avant, je voulais être mécanicien naval. J'ai eu mon brevet des collèges et fait des stages dans des entreprises de mécanique, mais je n'ai pas trouvé de patron pour me recruter. J'ai cherché et puis j'ai fait des test pour un Bac Pro travaux paysagers en alternance au lycée de Saint-Ismier. Je voulais travailler dans des mairies, mais cela n'a pas été possible. » Pour le jeune homme, la difficulté principale consiste à trouver un employeur. « La plupart ne veulent pas, ou n'ont pas un chiffre d'affaires assez élevé, ou partent à la retraite, ou ferment leur entreprise. Souvent ils répondent non car ils ont une mauvaise image de l'apprenti. Ils ne cherchent pas à comprendre », regrette Julien.

"Je leur donne plein d'astuces"

Marc Raymond reconnaît qu'il passe beaucoup de temps à expliquer les gestes de son métier. Sûrement beaucoup plus qu'avec un employé lambda. « Julien a été opérationnel très vite », reconnaît cependant le paysagiste. Il estime le temps de mise en place d'un apprenti à une année, c'est-à-dire lorsque ce dernier maîtrise son travail chez le client, à l'atelier et avec les machines. « Au bout de la deuxième année, le jeune sort sa paye ». Le but de l'apprentissage n'est sûrement pas la rentabilité pour un employeur, même si Marc Raymond a souvent embauché des jeunes qu'il a formés. « Au bout d'un moment, ils partent vers d'autres métiers, qui payent plus ou pour faire de la création. »

Ce que ce patron apprécie, c'est de faire équipe avec ces jeunes. « On fait vivre une entreprise, je leur apprend le métier. Ce qui m'enthousiasme, c'est de les voir le matin partir de bonne humeur et le soir, rentrer de bonne humeur. Je leur donne plein d'astuces. A partir du moment où ils sont à l'écoute, on avance plus vite, le travail est mieux fait dans le respect de l'être humain et des végétaux. » Le patron rémunère ses apprentis entre 5 et 600 euros par mois, en fonction d'un nombre d'heures dûment reporté sur la fiche de présence. Mais il ne peut s'empêcher de se demander pourquoi les établissements scolaires ne libèrent pas davantage les apprentis les mois où il y a beaucoup de travail en extérieur et pourquoi ils sont censés être chez leur patron les jours fériés (et payés). « Le système de l'apprentissage est obsolète », déclare-t-il en regardant son bilan juste en balance, entre la baisse des aides et l'augmentation des charges. C'est pourquoi l'Agefiph concède un effort important en mettant l'accent cette année sur l'apprentissage, notamment dans le milieu agricole. L'agence pour le handicap a ainsi nommé une coordinatrice régionale sur la mission apprentissage/handicap en agriculture et multiplie les signatures, avec les établissements d'enseignement agricole, de chartes H+ pour l'accueil en formation des personnes en situation de handicap. Une vingtaine de contrats ont ainsi été signés en région. Au-delà de l'apprentissage, un jeune sur deux en situation de handicap trouverait un emploi. Comme Marc Raymond, les employeurs sont très majoritairement satisfaits du déroulement du contrat et cela se passe d'autant mieux que les jeunes apprécient travailler dans les entreprises des domaines du paysage ou de l'élevage.

Isabelle Doucet