Où implanter l'aire de passage pour les gens du voyage ?

Il fut un temps où les riverains - qu'ils soient habitants, arboriculteurs ou entrepreneurs - du plateau de Louze, dans la commune de Roussillon, étaient soulagés. Ils pensaient que le dossier était clos, que l'aire de grand passage pour les gens du voyage ne serait pas implantée chez eux. En 2005, après avoir évoqué cette possibilité, la municipalité de l'époque, conduite par Marcel Berthouard, avait écouté leurs doléances et avait reporté son choix sur un autre terrain situé un peu plus loin, à Terre Rouge. Quelle n'est pas leur surprise quand, en plein cœur des dernières discussions sur l'élaboration du plan local d'urbanisme (PLU) ce printemps, ils apprennent que le site finalement retenu par le nouveau conseil municipal n'est autre que le plateau de Louze. En témoigne un jeune agriculteur, arboriculteur, qui voulait acheter ces terrains pour développer des projets de vinification et de vente directe avec un autre agriculteur, et qui ne décolère pas. « Je suis jeune agriculteur. J'ai des projets plein la tête. Ces terres sont idéalement situées près de la Nationale 7, pour accueillir un public citadin ainsi que de nombreux touristes lors de la période estivale. Que préfère t-on ? Une aire d'accueil ou une exploitation agricole ? Car c'est l'un ou l'autre. Le banquier m'a prévenu, s'il y a une aire d'accueil, ce n'est pas certain qu'il me suive. Et les clients aussi, je doute qu'ils soient au rendez-vous », explique-t-il. En témoigne aussi René Feltrin, fondateur et propriétaire de l'entreprise commerciale et artisanale IMCA, qui redoute les difficultés de circulation et les perturbations que cela peut entraîner pour sa clientèle. « Les gens du voyage sont mal perçus par la population. Chacun garde encore l'image du voleur de poules ». Et d'évoquer aussi les importants investissements réalisés au sein de l'entreprise, après l'annonce de changement de site de la précédente municipalité. Des investissements qui auraient été effectués ailleurs, s'il avait su que l'aire serait malgré tout créée à quelques mètres de son entreprise.
Forcément des mécontents
Le sujet est délicat. La création d'aire d'accueil pour les gens du voyage suscite toujours des réactions. Il n'est pas nouveau non plus. Depuis 2000, les communes de plus de 5 000 habitants et les EPCI disposant de la compétence « aménagement, entretien et gestion des aires d'accueil », ont l'obligation de créer des aires d'accueil ou de passage pour les populations itinérantes au titre du Schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage. Ainsi, « la communauté de communes du Pays roussillonnais, qui a cette compétence, a réalisé trois aires d'accueil (Chanas, Sablons et Saint-Maurice-L'Exil). Elle doit encore implanter deux aires d'accueil (au Péage-de-Roussillon et Roussillon) et une aire de grand passage (à Roussillon) », précise Florence Gouache, sous-préfet de Vienne. Même si l'obligation de répondre à la législation prévaut*, l'installation de cette aire de grand passage à Roussillon ne fait pas l'adhésion. Même si le site n'est pas encore définitivement identifié, nul doute que c'est dans cette commune qu'elle sera implantée. Robert Duranton, le maire de Roussillon en est aussi certain : « Quel que soit le lieu retenu, il y aura des mécontents, puisqu'il y aura deux hectares d'emprise agricole ». Pour l'instant, c'est bien le plateau de Louze qui a été validé par le conseil municipal et qui sera présenté au préfet, à qui reviendra la décision finale, à l'issue de la procédure d'élaboration du PLU. Car, selon Robert Duranthon, « ce site du plateau de Louze présente des conditions de circulation plus adaptées pour les caravanes ». Un argument qui ne satisfait pas les riverains du plateau de Louze, puisqu'il est question de créer une autre aire d'accueil pour 20 caravanes dans ce périmètre.
Une cohabitation difficile
En tant qu' « aire de grand passage », le site ne devrait pas être occupé en permanence. « Seulement deux à trois fois par an, lors des grandes migrations des gens du voyage. Et il sera entièrement clos, de façon à ce que personne ne puisse y pénétrer sans autorisation », précise Robert Duranton. Pas suffisant pour rassurer les riverains du plateau de Louze, qui ont en tête l'expérience d'un voisinage et d'une cohabitation difficile : « vols, dégradations, menaces, pressions... ». Le problème est épineux, car le déplacement de l'aire à Terre Rouge n'arrangerait pas forcément la situation, puisque, là-bas, les terrains ne sont pas en vergers mais en céréales... Les agriculteurs qui exploitent ces terres ne sont pas moins opposés à l'accueil de cette aire pour les gens du voyage. « Certains se sont déjà installés sauvagement dans le secteur. Ils ont construit sans autorisation sur des terres agricoles. Ce n'est pas normal ! Et ils occasionnent une gène certaine. Nous n'en voulons pas sur la commune », insiste l'un d'eux. Et d'estimer aussi que ce site de Terre Rouge est moins accessible que celui de Louze... Un débat sans fin.
* « Seules les communes et les EPCI qui ont réalisé leurs obligations peuvent bénéficier de la procédure administrative de mise en demeure et d'évacuation forcée introduite par les articles 27 et 28 de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance », explique Florence Gouache.
Isabelle Brenguier
ENCADRE
Décryptage / Les gens du voyage qui utilisent les aires de grand passage ne sont pas les mêmes personnes qui se sont sédentarisées.
Une image dégradée
« Même si la création d'aire d'accueil pour les gens du voyage ne suscite jamais, ou rarement, l'adhésion de la population locale, même s'il est aussi difficile de trouver des sites qui permettent l'accueil de nombreuses personnes, il s'agit d'une obligation légale, qui doit être respectée », affirme Nathalie Cailluet, directrice du service « Action de promotion de milieu voyageur », issu de l'Association départementale pour la sauvegarde de l'enfant à l'adulte de l'Isère ». Elle rappele également que les gens du voyage sont des citoyens français.Un comportement différent
La difficulté réside dans le fait qu'il subsiste de nombreux fantasmes, liée, pour beaucoup à une méconnaissance, à des inquiétudes associées à des représentations. « L'image du voleur de poules a la vie dure », indique Marc Bordigoni, anthropologue à l'Institut d'ethnologie méditerranéenne , européenne et comparative. « Mais, dans la réalité, dans le cas des aires de grand passage, la population de gens du voyage, qui utilise ces aires, qui voyage, est une population qui en a les moyens. Ainsi, ils se déplacent pour les besoins de leur activité économique (de commerçants ou d'artisans) ou pour des raisons religieuses. Et, lorsqu'ils sont sur un site, consomment. Leur comportement est différent d'autres personnes qui se sont paupérisées, et qui s'installent », précise Nathalie Cailluet. Marc Bordigoni ajoute : « C'est vrai que, dans ces populations qui ne se se déplacent plus, qui parfois ne travaillent plus, il y a des adolescents qui commettent des délits, et même des familles qui partent à la dérive, avec de la délinquance, des hommes en prison et des situations qui empirent. Mais ce ne sont pas les mêmes personnes qui utilisent les aires ».Plus facile
La circulation et l'installation de ces groupes est d'autant plus difficile qu'il manque des aires d'accueil ou de passage, ce qui incite les gens du voyage à forcer le passage. Selon Fernand Delage, président de l'association « France Liberté Voyage », qui siège aux commissions consultatives d'accueil des gens du voyage départementale et nationale, « lorsqu'un terrain est prévu à cet effet, que nous pouvons anticiper notre arrivée, régler nos dépenses, c'est bien plus facile pour tout le monde ».I.B.