Photographe en quête de paysage

Le Trièves, il le connaît depuis longtemps. Architecte de formation, Gérard Besson a l'habitude d'arpenter son territoire, de l'observer au fil des saisons, de le photographier sous toutes ses coutures. Quand la communauté de communes du Trièves lui a demandé de réaliser la version contemporaine du Trièvoscope, autrement dit de photographier, en 2014, les paysages représentés sur une sélection de cartes postales anciennes, il s'est tout de suite passionné pour cette commande publique, qui tient autant du travail d'auteur que de celui d'enquêteur.
Mises en regard avec les clichés anciens, ses photos suscitent une drôle d'impression. Comme si quelque chose avait changé qui ne se verrait pas forcément de prime abord. Ça donne envie de jouer au jeu des sept erreurs. Des « erreurs » qui ne sont que le reflet de choix et d'abandons successifs, trahissant cent ans de pression (et de déprise) humaine. « On m'a donné carte blanche, savoure le photographe. La seule "contrainte" était de travailler en noir et blanc. J'ai travaillé en fonction des éclairages, pour être au plus près des horaires des premières photos. Mais les modes de vie ont changé : à 10 heures du matin, il n'y a plus personne sur les places des villages. »
Pour les paysages, la tâche a sans doute été plus compliquée encore. Le photographe a dû retrouver les angles de prise de vue des clichés anciens. Car, en l'espace de 80 à 100 ans, la végétation a poussé, des champs se sont enfrichés, des pans entiers de forêt ont masqué les perspectives. « Même si on peut imaginer que les cartes postales sont en partie mises en scène - les paysans, les dames des fermes et les enfants ont l'air de poser au milieu des charrettes de foin - en 100 ans, il y a tout de même eu de gros changements, remarque le photographe. On ne peut que constater les inconvénients d'un urbanisme mal maîtrisé, les fils électriques et les réseaux qui partent dans tous les sens. Dans certains secteurs, de gros mas dauphinois ou des chalets savoyards en bois sont apparus, qui créent un décalage avec l'architecture traditionnelle du Trièves. Jusqu'aux voitures qui, dans les villages, font écran aux maisons. Parfois on ne voit même plus les rez-de-chaussée. »
Pour réaliser certaines prises de vue, Gérard Besson a dû crapahuter, chercher, se décaler, se repérer à l'aide de cartes, imaginer le paysage derrière le bosquet, dénicher des maisons camouflées derrière des rideaux d'arbres... Certains chemins ont disparu, les terrains agricoles ont été redessinés, la forêt a gagné. Sans compter les « chamboulements » provoqués par certains aménagements, comme l'autoroute, qui ont rendu les photos irréalisables, notamment du côté d'Avignonnet.
Au cœur des villages, les changements sont souvent plus subtils. Les bistrots ont disparu, les maisons n'ont plus la même vocation. Beaucoup ne sont plus paysannes, certaines ont été transformées en « résidences secondaires », repérables à leurs façades impeccables...et leurs volets clos. A Mens, le photographe a pris la liberté d'un petit écart par rapport au point de vue de la carte postale. Il s'est reculé pour photographier la place du Petit Breuil sous un angle plus large. Les villageois moustachus, les femmes « en cheveux » et les enfants ont disparu. Seule demeure une présence humaine fantôme, symbolisée par un monument aux morts et... une demi-douzaine de voitures.