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Stratégie

Points de vente collectifs : les clés de la réussite

Ouvrir un point de vente collectif est une aventure humaine extrêmement enrichissante. Mais comment le faire vivre et éviter les conflits ? Echanges d'expériences avec des agriculteurs de Rhône-Alpes.
Points de vente collectifs : les clés de la réussite

Pour valoriser au mieux leur production, les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à faire le choix de la vente directe, et même à se lancer dans la création d'un point de vente collectif. Une aventure humaine qui, à la différence du traditionnel magasin de producteurs, représente un gros investissement personnel... et bien sûr collectif. D'où l'importance d'être bien au clair sur les rôles et les responsabilités de chacun. La chambre d'agriculture de Rhône-Alpes a organisé une journée d'échanges sur les pratiques, trucs et astuces des producteurs pour mener à bien un projet – et surtout le pérenniser. Statuts, règlement intérieur, planning, permanences, renouvellement du groupe, articulation salarié/associé, tout ce qui fait la vie quotidienne d'un point de vente collectif a été abordé, y compris dans ses aspects les moins réjouissants.

Plutôt que de fournir des informations théoriques, les animateurs ont fait témoigner les acteurs de terrain. Tous évoquent une « vraie aventure humaine », avec ses points positifs et ses galères. « Au début, on est dans l'enthousiasme, dans l'effervescence, on ne pense pas à tout, et surtout pas aux mauvais côtés », avertit une éleveuse du Rhône. D'où l'importance de commencer par établir un règlement intérieur « en béton », en ayant en ligne de mire les objectifs de chacun. Quitte à se faire aider par un juriste, le document doit préciser les modalités d'organisation, notamment la répartition des permanences et les prises de décisions. Il doit aussi expliciter le rôle de chacun, l'articulation entre associés et salariés, s'il y en a, et fixer les pénalités en cas de non respect de l'accord collectif (retards, absences...). Autant de points pratiques qui ne peuvent pas figurer dans les statuts, ces derniers étant moins faciles à faire évoluer que le règlement intérieur. Validé et signé par tous, le règlement intérieur constitue la référence absolue du groupe et conditionne le fonctionnement du groupe. « C'est ce qui permet de voir si on roule tous dans le même sens et ce qu'on va voir en dernier recours, quand la situation dérape », explique Etienne Bonnard, producteur de volailles dans la Loire. « Plancher sur le règlement, personne n'a envie de le faire, mais c'est important pour le groupe, témoigne Aline, productrice dans l'Ain. Il faut ensuite le faire vivre pour l'adapter aux situations du moment. Nous, par exemple, nous avons fait un avenant pour que le salarié d'un exploitant ait le droit de tenir une permanence. »

Un règlement d'une grande précision

Pour bien faire, il faudrait pouvoir tout prévoir. « Imaginer le pire, c'est se donner la capacité d'agir », estime Joël Raccurt, producteur de porcs dans les Dombes. Impliqué dans plusieurs magasins, l'éleveur conseille d'établir un règlement d'une grande précision. « Il faut que les choses soient très claires pour chacun des adhérents. Y compris les sanctions, quitte à ne pas les appliquer. » Pas évidente à mettre en œuvre au départ, cette politique de fermeté conditionne les rapports à venir. « Notre magasin de Saint-Chamond s'est ouvert très rapidement, raconte Etienne Bonnard. Du coup, le règlement intérieur est passé à la trappe. Pour les statuts, nous avons fait un copier-coller du magasin précédent. » Les producteurs se sont rendus compte de leur erreur cinq ans plus tard, lorsque sont apparues les premières tensions au sein du groupe : « Le règlement, on l'avait écrit, signé et reposé dans un coin. Il a fallu aller plus loin. Nous sommes repartis du tout début, chacun disant pourquoi il était là, expliquant ses motivations, ses objectifs, ses ambitions... Certains ont joué le jeu ; pour d'autres, c'était plus compliqué. »

Ce qui est surtout compliqué, dans une aventure à plusieurs, c'est de tenir. Lassitude, divergence de vue, changement d'orientation individuelle, rigueur, problèmes de retards, départ en retraite ou intégration d'un nouvel associé, mission du salarié... Les motifs de discorde sont nombreux. « Il faut agir vite et ne pas attendre que la situation se dégrade, préconise Mauricette, gérante d'un magasin collectif. Le problème, c'est de doser entre le cool et la fermeté. » Céline, éleveuse dans le Rhône prévient : « Au début, on est entre Bisounours : on ne veut pas être méchants. On cherche des excuses. Mais ça peut mettre en péril le point de vente. Le sérieux, c'est l'image de marque du magasin. » Pour éviter cet écueil et remobiliser les troupes, tous recommandent de « cultiver le dialogue » et de prendre le temps de parler, de s'interroger sur les objectifs communs. Cela peut se faire en organisant une formation, un séminaire, une visite de ferme... ou une sortie en famille. « De temps en temps, ça fait du bien de passer un dimanche ensemble pour parler de soi, du projet, d'autre chose que des problèmes techniques et des questions de trombones. »

Marianne Boilève


Comment impliquer les dépôt-vendeurs ?

Pour compléter l'offre de leur magasin, les associés d'un point de vente collectif font souvent appel à des dépôt-vendeurs. Mais quelle place leur accorder ?
La place que l'on accorde à un dépôt-vendeur dans un point de vente collectif dépend du rôle que l'on souhaite lui voir jouer. Si l'on veut qu'il s'implique, il faut « lui accorder beaucoup d'attention dès le départ », conseille Etienne Manzoni, associé-gérant d'A la ferme, un point de vente collectif basé à Pontcharra, en Isère. Et l'arboriculteur de poursuivre : « Il est important d'avoir une bonne connaissance des dépôt-vendeurs et de créer un bon relationnel. Ça prend du temps, mais c'est une garantie pour la suite. »
Pour établir ce contact, chaque point de vente a sa méthode : l'essentiel, c'est d'apprendre à se connaître. A la ferme, cela passe par une première prise de contact, le producteur rencontrant le groupe, puis deux ou trois associés allant visiter l'exploitation du futur dépôt-vendeur. Si cette visite est concluante, c'est au tour de tout le groupe de se rendre dans l'exploitation candidate. Le point de vente isérois prend également soin de nommer un associé référent par dépôt-vendeur, de façon à ce que celui-ci soit correctement informé et se sente valorisé au travers d'une relation interpersonnelle. Pour responsabiliser ses dépôt-vendeurs, la Ronde paysanne, dans le Rhône, a de son côté mis en place des contrats encourageant les dépôt-vendeurs à s'impliquer : moyennant des tenues de permanences ou des animations, le dépôt-vendeur voit son taux de commission baisser. Parfois vécue comme une contrainte, la permanence peut ainsi être l'occasion de voir comment le rayon tourne ou de suggérer des aménagements. « La clé, c'est de jouer la transparence et de créer un climat de confiance, résume Etienne Manzoni. Il ne faut pas que les dépôt-vendeurs aient l'impression de n'être là que pour faire du chiffre. »
MB