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Vautours

Prédateurs ou dramatiquement opportunistes?

Longtemps appréciés pour leur rôle d'équarrisseurs, les vautours représentent désormais une difficulté supplémentaire pour les éleveurs. Certains, "preuves" à l'appui, les accusent d'être devenus prédateurs. Enquête.
Prédateurs ou dramatiquement opportunistes?

En Savoie, l'affaire a fait grand bruit. Fin mai, au fond de la vallée de la Maurienne, l'adjoint au maire de Pontamafrey-Montpascal a photographié un vautour s'attaquant à une brebis « en pleine santé ». Serait-ce enfin la preuve que les vautours fauves, de charognards, seraient passés prédateurs ? Si les éleveurs, qui dénoncent l'évolution du comportement des vautours depuis plusieurs années, n'en doutent pas une seconde, les pouvoirs publics se montrent plus circonspects. Lors d'une réunion en préfecture de Savoie, début juillet, Florence Gedoux, vétérinaire régulateur qui coordonne les expertises vautours pour les préfectures de Savoie et de l'Isère, n'a pu que constater ce qu'elle voyait, à savoir sept clichés montrant un vautour « piquant l'arrière-train d'une brebis qui n'était ni entravée ni en position couchée », comme cela peut être le cas lors des interventions ante mortem des vautours. Mais l'experte se garde bien de tirer des conclusions : « Il s'agit là d'un seul cas. La rareté ne fait pas la généralité. Les photos ne montrent pas de pathologie sous-jacente, mais la brebis n'a pas été constatée. » L'éleveur lui-même assure que l'animal était en bonne santé. Sans doute. Mais lorsque l'on demande à Louis Avanzi, l'auteur des clichés, de raconter les circonstances de « l'attaque », celui-ci précise bien que « la brebis boitait ». Et son récit corrobore ce que l'on sait par ailleurs du vautour, à savoir que l'oiseau, pour impressionnant qu'il soit, n'est ni téméraire, ni audacieux, mais incroyablement opportuniste.

Suivie par les vautours

Ce jour-là en effet, à Montpascal, Louis Avanzi remarque une quarantaine de vautours planant dans le ciel. Et pratiquement autant à terre, dans le pré derrière son chalet. « Chaque année, les brebis viennent à Montpascal, et chaque année, nous avons les vautours qui arrivent en même temps. » Mais ce qui intrigue Louis cette fois-ci, c'est le nombre d'oiseaux... Il s'approche et aperçoit une brebis en train de boiter, suivie par quatre ou cinq vautours. « Il y en avait un qui lui piquait bien les fesses. J'ai sifflé, ils se sont arrêtés, puis ils sont partis. Je suis allé voir la brebis : elle était toute en sang. J'ai prévenu le berger, qui est venu la chercher pour la soigner et la mettre à l'écart. La bête est décédée quelques jours après. »

Voilà pour les faits. Pour les éleveurs, c'en est trop. Prenant appui sur les décisions qui ont été prises pour le loup, ils attendent que la population de vautours soit régulée. Lors de la réunion préfectorale du 4 juillet, Luc Etellin, président du Syndicat ovin de Savoie, a prévenu que lui et ses collègues attendaient des solutions rapidement, sans quoi ils protégeraient leurs troupeaux « par tous les moyens à leur disposition ». Les pouvoirs publics ont répondu la reconduction du dispositif de suivi du vautour, mis en place en Savoie en 2011, étendu à l'Isère depuis.

Ce dispositif, conçu à l'origine pour les bovins, prévoit que les éleveurs puissent contacter les pouvoirs publics en cas de suspicion de dommages directs imputables aux vautours sur un bovin vivant. Si les faits se produisent en alpage, l'éleveur (ou le berger) doit prévenir la FAI (04 76 71 10 25) ; ailleurs il lui faut appeler la DDT (04 56 59 42 22). Dans les deux cas, l'éleveur doit répondre à un certain nombre de questions afin de déterminer s'il est pertinent d'envoyer un binôme vétérinaire/agent ONCFS pour une expertise sur le terrain. Le critère déterminant est le délai. « Si l'éleveur nous appelle deux jours après, c'est trop tard, explique Florence Gedoux. L'intervention doit être rapide, pour pouvoir établir si la bête était vivante ou morte au moment où les vautours ont commencé à la consommer. » Le vétérinaire chargé de l'expertise doit également pouvoir examiner des restes suffisamment « parlants » : s'il ne reste rien sur la carcasse, aucune analyse n'est possible. « Nous intervenons en priorité sur les bovins adultes, prévient le vétérinaire régulateur. Sur les ovins, la consommation est trop rapide. Il est souvent impossible de conclure. »

Situation problématique pour les ovins

Les photos de Louis Avanzi pourraient faire évoluer les choses. Jérôme Patrouiller, chargé de mission Pastoralisme et grands prédateurs à la DDT de l'Isère, explique que « c'est le contexte qui détermine l'intervention. Il est vrai que la situation est problématique en ce qui concerne les ovins : souvent, après une curée de vautour sur une brebis, on ne retrouve que la peau et les os. Le préfet a donc estimé qu'il fallait agir au cas par cas. »

Pour l'instant, en Isère, sur les quatre « déclarations vautour » enregistrées par la DDT en 2014 (1), une seule a donné lieu à une expertise, réalisée par un vétérinaire de Vif, spécialement formé. De l'aveu du professionnel, ce constat, effectué en présence d'un garde de l'ONCFS, est avant tout « politique ». Comme il n'est pas prévu d'indemniser les éleveurs en cas de dommages causés par les vautours, l'enjeu est avant tout stratégique. L'expertise permet de ne pas laisser l'éleveur seul face au drame qu'il vient de vivre et de lui donner des éléments d'information précis (biologie du vautour, comportement, mode opératoire...), mais aussi d'établir un « suivi scientifique », autrement dit de « s'assurer que le cas ne sorte pas de l'ordinaire », explique Jérôme Patrouiller. « Au moment de l'expertise, nous discutons beaucoup avec les éleveurs, témoigne Florence Gedoux. Il y a souvent des moments tendus. Il faut essayer de dialoguer et surtout de faire preuve de psychologie. L'important pour nous, c'est que les éleveurs comprennent que, plus nous aurons d'informations précises, plus nous pourrons faire évoluer nos connaissances concernant le vautour. » Quitte à adapter les dispositifs en conséquence.

(1) Une brebis et un poulain, sans doute mort-né, à Nantes-en-Rattier, mi-mai ; 20 agneaux à Clavans, suite à une attaque de loup ; un veau lors d'un vêlage difficile à Tréminis mi-juin.

Marianne Boilève

Pour lire le témoignage du vétérinaire-expert envoyé en mission pour une expertise sur un veau mort à Tréminis

 

Un réseau de vétérinaires spécialement formés

Longtemps, on a cru que les vautours ne jouaient en montagne que le rôle d'équarrisseurs naturels. Mais depuis quelques années, on se rend compte que ces oiseaux, fort opportunistes, sont capables de provoquer la mort de bêtes affaiblies,  en difficulté ou entravées. Afin de permettre d'établir la nature de la responsabilité des vautours dans le décès d'un bovin domestique, la préfecture de Savoie a mis en place un réseau de vétérinaires experts, spécialement formés par Florence Gedoux, vétérinaire régulateur en charge des expertises vautours pour la Savoie et désormais pour l'Isère.
En avril dernier, une dizaine de vétérinaires isérois ont ainsi été formés à reconnaître les indices d'une intervention des vautours avant ou après la mort de l'animal. En cas de suspicion, un protocole d'expertise est mis en place qui conduit à la rédaction d'un « constat-enquête » sur le terrain permettant de recueillir un témoignage sur le déroulé des événements et des indices précis (traces sur le sol, déplacement, sang, glissage, contenu de panse...). Si l'intervention des vautours est ante mortem, le vétérinaire doit également déterminer l'état de santé préalable de l'animal et chercher à savoir si les vautours sont les seuls agresseurs.
MB