Prévenir les difficultés des exploitations

Lorsqu'une structure économique, exploitation agricole ou autre entreprise, s'achemine vers des difficultés, il est alors temps pour elle de songer à s'engager dans une procédure amiable, qui lui permettra d'éviter des procédures plus lourdes que sont la liquidation ou le redressement judiciaire.
Les exploitations agricoles, qui relèvent du tribunal d'instance, peuvent de leur propre chef, ou si un créancier les assigne, passer par un règlement amiable. Ce recours est possible dès lors que l'exploitation rencontre des difficultés prévisibles et surtout qu'elle n'est pas en cessation de paiement. La cessation de paiement devient effective « lorsque les actifs ne permettent plus de faire face au passif », décrit Marion Charpentier, juriste. Bref, quand la trésorerie, la valeur du matériel et du cheptel ne couvrent pas les dettes.
Discrétion, suspension
Après examen de la situation, le président du tribunal d'instance désigne un conciliateur, il s'agit souvent d'un membre de la chambre d'agriculture. Celui-ci réunit alors les différentes parties : l'agriculteur et ses créanciers. « Souvent, il s'agit des banques et des organismes sociaux », note la juriste. Cette procédure présente l'intérêt de suspendre provisoirement les poursuites. La durée habituelle est de deux mois. « Si un accord est trouvé avec les créanciers, alors un règlement amiable sera signé. Homologué par le tribunal d'instance, il a force exécutoire », insiste Marion Charpentier. Généralement cet accord permet de rééchelonner le paiement de la dette sur une période de 3 ans maximum, ou prévoir des remises de dette. « Ce qui donne de l'air à l'exploitation, sans qu'elle soit mise sous tutelle », poursuit la juriste. Elle présente les autres avantages d'une telle procédure, à commencer par sa discrétion. Elle est confidentielle, il n'y a ni audience, ni publicité et la structure est placée sous la protection de la justice. Elle est un passage obligé : « un créancier ne peut pas assigner en redressement ou en liquidation judiciaire sans passer par la conciliation », précise la spécialiste. Par ailleurs cette procédure est peu onéreuse ; le montant de la mission, fixé par le juge, s'élève entre 300 et 600 euros. Ces frais peuvent entrer dans le champ de l'aide juridictionnelle. En dépit de leurs avantages, les règlements amiables restent très rares.
Plan de sauvegarde
En cas de désaccord, l'échec de la conciliation débouche sur une procédure collective, c'est-à-dire l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Parce que les créanciers le demandent, ou parce que le ministère public estime que les difficultés sont insurmontables.
Mais avant d'en arriver là, la mesure phare instituée par la loi de 2005 est la procédure de sauvegarde, qui intervient avant la cessation de paiement. « Elle ne peut être ouverte qu'à l'initiative de l'agriculteur », insiste Marion Charpentier. Il s'agit d'une procédure plus longue qui a pour objectif de remettre l'exploitation à flot en apurant sa dette, voire en se réorganisant. L'exploitation fait l'objet d'une période d'observation de six mois renouvelable deux fois maximum. Pour un agriculteur, la durée peut être allongée jusqu'à la fin de l'année agricole. La gestion de l'entreprise continue à être assurée par son dirigeant. Il peut être assisté par un administrateur judiciaire si l'entreprise compte plus de 20 salariés ou dégage un chiffre d'affaires au moins égal à 3 millions d'euros. A l'issue de cette période, un plan de sauvegarde est établi, qui s'applique à l'ensemble des créanciers. Il peut s'étaler sur plusieurs années. Pendant la période d'observation, les poursuites engagées par les créanciers sont suspendues.
Isabelle Doucet
Le point de vue de
Yves Couturier, président du tribunal de commerce
« Ce n'est pas quand les huissiers sont là qu'il faut aller au tribunal », rappelle Yves Couturier, président du tribunal de commerce de Grenoble. Cet ancien directeur du Crédit agricole sud Rhône Alpes, ingénieur agronome de formation, pose un regard avisé sur les procédures. « La conciliation permet l'ouverture de la discussion entre les partenaires pour trouver une solution. Souvent les entreprises doivent faire face à des problèmes de trésorerie et ont besoin de temps pour s'en sortir. C'est le rôle du conciliateur de rencontrer les créanciers pour trouver les modalités d'aménagement de la dette et permettre à l'entreprise de se redresser. Les deux parties y ont un intérêt : l'entreprise qui joue sa survie et les créanciers qui ont une chance de retrouver leur créance, même si cela prend plus de temps ». L'expert reconnaît que « ces solutions permettent de résoudre des problèmes temporaires de rentabilité. Mais en cas de crise agricole, les problèmes sont plus profonds en raison d'une perte de rentabilité liée aux prix ». Il délivre quelques conseils de prévention. Cela débute par « une vision prospective de sa trésorerie, avec des tableaux de bord à jour, sinon, la structure va dans le mur ». La vision recettes/dépenses peut être mensuelle, mais tient aussi compte de la saisonnalité de l'activité agricole.Dialogue et bienveillanceEnfin, le président du tribunal de commerce lève le voile sur les attentes des créanciers. Ils sont regroupés en trois familles. Les créanciers publics sont les organismes fiscaux et sociaux, avec des fonctionnements stricts et rigoureux. La marge de manœuvre est étroite. « Mais si la situation de l'entreprise est convenable et le dialogue ouvert, il peut y avoir une certaine bienveillance... » « Les fournisseurs ont un raisonnement pragmatique, poursuit Yves Couturier. Ils ont intérêt à préserver leur clientèle sans perdre d'argent. Souvent ils s'assurent pour cela via les assureurs-crédit dont ils sont très dépendants. Lorsqu'une entreprise figure sur la liste noir d'un assureur-crédit, les relations entre le fournisseurs et son client cessent et les livraisons ne se font plus que contre un paiement comptant ». Enfin, « les banques sont de plus en plus dépendantes - au regard de leurs clients en difficulté - des autorités régulatrice et des systèmes de ratio ». Celui qui a dirigé une banque pendant de longues années constate que la « réaction de la banque vis-à-vis de l'entreprise en difficulté peut être différente si le compte est géré par un conseiller de proximité, une agence spécialisée ou un service central. » Pour autant, il préconise le dialogue et la transparence, dans la relation des chefs d'entreprises avec leurs banques.ID