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Diagonale des fous

Profession : arboricoureur

Bruno Péluyet, arboriculteur à Agnin, prend ce jeudi le départ d'une des courses les plus difficiles au monde : la Diagonale des fous, le célèbre ultra-trail de la Réunion. Portrait d'un fou... de course à pied.
Profession : arboricoureur

C'est le genre d'homme qui ne tient pas en place. Bruno Péluyet, arboriculteur à Agnin, ne marche pas : il court. Tout le temps. Partout. Sur les chemins, les routes, dans ses vergers, à travers champs, en montagne... A 53 ans, ce fils et petit-fils d'agriculteur profite de la moindre occasion pour chausser ses baskets et s'esquiver à petites foulées. Aujourd'hui l'esquive a un goût de tropique : ce jeudi soir, à 23 heures (heure locale), l'arboricoureur prendra le départ du Grand Raid de l'île de la Réunion. Un trail à la difficulté insensée, surnommé à juste titre la « Diagonale des fous »... Seuls les meilleurs coureurs du monde y ont accès.

Joli palmarès

Carnet de courses à l'appui ? l'agriculteur peut se targuer d'un joli palmarès... ? Bruno Péluyet s'est inscrit à la Diagonale en début d'année. Depuis, il s'entraîne, soutenu par sa femme, ses enfants, ses amis. « La course, j'essaie d'en faire tout le temps. D'ailleurs j'ai toujours mon short et mes baskets dans ma voiture. » Producteur de fourrages, de céréales et de fruits dans la commune d'Agnin, l'exploitant combine course et culture tout au long de l'année. Tous les prétextes sont bons : « L'arboriculture est un travail très physique, explique-t-il. Il faut tailler, ramasser, dérouler les tuyaux pour l'irrigation, se mettre à quatre pattes pour désherber... Tout cela, on le fait sur ses deux jambes, pas sur un tracteur. » Certes, il y a des périodes où l'entraînement est réduit à la portion congrue : « D'avril à juin, je suis coincé par la fraise-cerise, reconnaît l'arboriculteur. Mais il me reste quelques créneaux pour m'échauffer ou faire du fractionné (1) » La période critique, c'est l'été. Impossible de courir : « Au mois de juillet, il n'y a que les abricots : là, je travaille 16 heures par jour, sept jour sur sept. » Passé le 15 août, ça se calme. L'entraînement peut reprendre. Un cinquième du temps que Bruno y consacre s'articule avec le travail : s'il doit tailler, surveiller le bon fonctionnement de son irrigation, passer le broyeur ou aller chercher un outil, l'arboriculteur part en courant. « Je ne vais pas prendre ma bagnole pour aller tourner une vanne », rigole-t-il. Il faut le voir, trottant entre ses rangs d'abricotiers ou à travers ses champs de luzerne, l'œil vif, le sourire aux lèvres, à l'aise dans ses baskets...

Cet appétit pour la course à pied n'est pas nouveau. « Tout petit déjà... » Longtemps la vie familiale et l'implication professionnelle ne lui ont guère laissé le loisir d'assouvir sa passion. A peine s'il s'autorisait à faire partie du club de football de son village. « A l'entraînement, les collègues faisaient un tour en râlant quand moi j'en faisais deux avec le sourire. C'est avec ça que j'ai entretenu mon appétit pour la course. » Les années passent, Bruno reprend l'exploitation de son père, perpétue l'arboriculture, développe le tabac, s'investit dans la coopérative... tout en assurant ses missions de pompier volontaire. « Mon équilibre, il repose sur quatre piliers : la famille, le boulot, les pompiers et le sport. » La quarantaine passée, les enfants casés, l'arboriculteur se dit qu'il était temps de vivre un peu pour lui. En 2009, il abandonne le tabac, se concentre sur ses 58 hectares de cultures (fourrage, céréales, abricots, cerises, fraises) et s'organise pour courir.

Jambes en béton

« Si je m'entraîne, ce n'est pas pour gagner, confie l'arboriculteur. C'est pour acquérir de bonnes sensations. J'éprouve un réel sentiment de bonheur, de liberté, de légèreté, d'indépendance... » Le propos est sincère : la course fait partie de sa vie, de son équilibre. Sa femme, complice de toujours, le sait bien? Lorsqu'il égraine son palmarès, Bruno Péluyet ne boude pas son plaisir. Le marathon de Paris à 43 ans, puis la « Saint-É-Lyon » (course de nuit entre Saint-Etienne et Lyon), les 100 km de Millau, le marathon de Barcelone (« J'ai fait cela sans ambition, surtout pour le plaisir de visiter... »)... Lassé de ces courses presque trop faciles, Bruno Péluyet a commencé à regarder du côté de la montagne il y a quatre ans. « J'ai commencé par la CCC® (Courmayeur-Champex-Chamonix) : un régal. J'étais super bien. » Suite logique, le trailer en herbe prend le départ de l'UTMB (Ultra-trail du mont Blanc) en 2010, sans entraînement spécifique. « C'est dur. Il faut avoir des jambes en béton. Comme ça se déroule fin août, pour moi c'est compliqué... » Las, le temps exécrable pousse les organisateurs à arrêter la course au 30ème km. Frustration. Pour se consoler, l'agriculteur s'inscrit à l'Endurance Trail de Millau. 106 km au cœur des Grands Causses. « Une journée d'octobre magnifique. J'ai pris un plaisir fou. »

Les courses s'enchaînent, de plus en plus difficiles. « A chaque fois, j'essaie de me lancer un nouveau défi, de mettre la barre plus haut » L'an dernier, il retente l'UTMB. Pas de chance : la météo se déchaîne. Les 6 000 concurrents affrontent la neige, la pluie, le vent, le brouillard... « On a passé une nuit d'enfer... Ça givrait à mesure sur nous », se souvient Bruno. Mais l'esprit trail est là, qui aide à tenir : « Tu tombes, il y en dix pour t'aider à te relever. » L'arboriculteur, pompier depuis l'âge de 20 ans, aime cette solidarité, cette fraternité qui permet de surmonter toutes les difficultés. Il la retrouve quatre mois plus tard pour la troisième édition de la Transmartinique®, nouvelle venue sur la planète trail. Ambiance radicalement différente. L'agriculteur isérois découvre les charmes d'une course en climat tropical (133 km et 5250 mètres de dénivelée), sur des terrains redoutables, allant de la jungle à la plage de sable fin, en passant par la plantation de canne à sucre. Un hors-d'œuvre à côté du Grand Raid de la Réunion...

 

(1) Entraînement consistant en une répétition d'efforts intenses sur des distances courtes, entrecoupés de temps de récupération.

 

Marianne Boilève

 

La Diagonale des fous, une « aventure géographique »

C'est l'une des courses les plus belles et les plus difficiles au monde. Avec 170 km et près de 11 000 mètres de dénivelée positif, le Grand Raid ne vole pas sa réputation de « Diagonale des fous ». Traversant l'île de la Réunion (océan Indien) du sud-ouest au nord-est, la course est une véritable « aventure géographique » qui présente tous les visages de l'île à ceux qui s'y engagent : climat tropical, chaud, humide, souvent brumeux, reliefs volcaniques, entre ravines et coulées de lave, forêt tropicale, cirques marqués par l'érosion, vallées profondément encaissées...
Venus des quatre coins du monde, les 2 500 coureurs qui franchiront la ligne de départ ce jeudi ont été triés sur le volet. Pour avoir le droit de participer à la Diagonale, il faut en effet justifier d'un certain palmarès de course, à savoir un capital de 85 points acquis en une seule épreuve au cours des deux dernières années (1). Le départ de la Diagonale se fait pour la première fois cette année de Saint-Pierre, au sud-ouest de l'île. Les 2 500 coureurs s'élanceront à partir de 23 heures vers les « Hauts » de l'île (piton Sec, piton Textor, Kervéguen, Mare à Joseph, « plaine » des Cafres, plateau de Cilaos...). Ils alterneront passages de col à plus de 2 000 mètres d'altitude, montées à 30%, chemins roulants et « sentiers cassants », souvent escarpés et abrupts, parfois rocailleux, glissants et même dangereux car encombrés de racines. Les quadriceps seront soumis à rude épreuve... De Cilaos, étape essentielle mais lieu de tous les renoncements, les trailers repartiront vers Roche plate, dans le cirque de Mafate, pour redescendre par la Rivière des Galets et atteindre Saint-Denis... s'ils le peuvent.
(1) Dans les grands trails, un point est accordé par km de course parcouru et par tranche de 100 mètres de dénivelée positif.
MB