Projet Adamont : l'Irstea place la recherche collaborative au chevet de la forêt

Dans les Préalpes, le changement climatique n'est plus un risque, c'est une réalité tangible. A longueur d'année, professionnels et habitants en observent les impacts sur les milieux, les écosystèmes et les activités humaines. Décalage des événements saisonniers, réduction de l'enneigement, fréquence des sécheresses, progression des feuillus (et des hêtres en particulier), développement de nouvelles espèces, attaques parasitaires..., les évolutions sont notables. Cette approche terrain est corroborée par les analyses de Météo France qui, sur le plateau du Vercors par exemple, a d'ores et déjà observé une « extrême variabilité » des températures d'une année sur l'autre, avec une « tendance marquée à l'augmentation des températures », ainsi qu'une variabilité interannuelle des précipitations « importante ».
Pour comprendre précisément ce qui se joue et esquisser des pistes d'adaptation, l'Irstea a lancé le projet Adamont en partenariat avec les acteurs de terrain (tous secteurs confondus) et les représentants de parcs naturels (Vercors, Chartreuse, Bauges et Baronnies). Il s'agit de constituer une sorte de « boîte à outils » permettant aux territoires de montagne de mettre en place des stratégies d'adaptation. Démarré en juin dernier, le projet s'appuie sur cinq ateliers thématiques (1) au cours desquels professionnels et habitants dressent la liste des impacts observés, craints ou prévus et renseignent leurs modes opératoires. Les risques et les changements une fois identifiés, acteurs et chercheurs discutent des pratiques d'adaptation concrètes à mettre en œuvre. « Nous souhaitons ainsi collecter de l'information experte, explique Delphine Piazza-Morel, chef de projet Adamont. Parallèlement, nous cherchons à identifier les interactions que ces impacts peuvent provoquer entre les différentes activités du territoire. C'est sans doute la dimension la plus complexe du projet. » Et la plus innovante.
« Les épicéas tombent comme des mikados »
En ce début de printemps, ce sont les forestiers qui ont ouvert le bal. Le premier atelier s'est déroulé à Monestier-de-Clermont, réunissant techniciens, propriétaires, sylviculteurs, acteurs de la filière bois, représentants des services de l'Etat et animateurs de charte forestière. Tous ont fait part de leurs observations sur les aires de distribution, les évolutions et la démographie des espèces. Il a été question de l'allongement de la durée de la saison de végétation, d'une « remontée supérieure de la limite du sapin et du hêtre », du dynamisme d'espèces invasives, mais aussi de la mortalité diffuse ou brutale du sapin et de l'épicéa, mis à mal par des épisodes de sécheresse, ceux-ci provoquant par ailleurs une recrudescence des attaques parasitaires (scolytes, chenilles processionnaires...). Le problème, c'est que « les tendances antérieures ne permettent pas forcément de prédire les évolutions futures », notent les chercheurs. Un exploitant de Saint-Nizier-du-Moucherotte n'en fait pas moins remarquer la violence des « coups de vent », dont il a « l'impression qu'ils ont des conséquences plus importantes qu'avant ». Patrick Stagnoli, de l'ONF, partage son sentiment en évoquant la dimension « destructrice » des rafales. « Les épicéas, c'est comme des mikados qui tombent », ajoute l'exploitant.
D'autres s'inquiètent de l'augmentation du risque incendie et de « l'irrégularité de l'approvisionnement en eau » qui fragilise certaines espèces. Denis Pélissier, chargé de mission forêt au parc du Vercors, estime qu'en matière d'exploitation, il ne faut pas « aller vers trop d'ouverture, car le couvert forestier joue un rôle important dans le maintien de la ressource en eau ». Thomas Cordonnier, chercheur à l'Irstea, spécialisé dans les écosystèmes montagnards, souligne l'intérêt des « éclaircies dynamiques » pour faire des économies en eau, mais à quel niveau ? « C'est tout le problème, constate-t-il. Dans les peuplements denses, n'y a-t-il pas un optimum à trouver entre les peuplements trop denses et ceux qui sont trop aérés ? » Naturellement, tout dépend du peuplement, du sol et de l'altitude. « Il faut des arbres sains et qui poussent ; des arbres virils ! », résume Gérard Claudet, représentant du groupement des sylviculteurs du secteur Vercors Quatre Montagnes.
Ne pas jouer aux apprentis sorciers
« La forêt, il n'y a pas de souci, il y en aura toujours, pronostique un de ses collègues. Mais laquelle ? Nous avons déjà de gros problèmes à régénérer le sapin sur 75% du territoire... » Pour ce qui est des pistes d'adaptation, un consensus s'établit rapidement sur le fait de maintenir une diversité d'essences locales adaptées, moins gourmandes en eau. Il est proposé d'éviter les peuplements purs et de favoriser les mélanges (notamment pour empêcher la propagation des scolytes), quitte à « remplacer progressivement le peuplement » en lui substituant des espèces mieux adaptées aux nouvelles conditions climatiques. « Attention à ne pas jouer aux apprentis sorciers, prévient Hélène Eyraud, responsable de la cellule forêt-bois à la DDT. Il ne faut pas faire de remplacement systématique : on a tout intérêt à voir comment la nature répond et s'adapte. Nous sommes sur du long terme. »
Les intervenants suggèrent également de renforcer la « filière bois de bûche », de réfléchir à une filière feuillus et de « favoriser l'hétérogénéité des espèces, des génotypes et des modes de gestion », tout en veillant au respect des sols forestiers par « des méthodes d'exploitation adaptées ». Les propriétaires forestiers en conviennent : « La sylviculture fait partie de la stratégie d'adaptation, affirme l'un d'eux. Mais il faut trouver le bon mode. » C'est l'un des enjeux forts du projet Adamont.
Marianne Boilève
(1) Forêt, agriculture, accessibilité et risques naturels, tourisme, eau.
Espèces invasives
Accepter l'évolution des paysages ou engager des stratégies de lutte ?Certaines espèces, comme le robinier ou le buis, profitent des difficultés de régénération du sapin pour coloniser l'espace. Est-ce un problème ? Tout dépend des objectifs que l'on se fixe. En ce qui concerne le buis, le débat n'est pas tranché entre les partisans de l'arrachage (« mais ça coûte cher », convient un technicien de l'ONF) et ceux qui lui trouvent un intérêt, tant en termes de protection (le buis freine la chute de blocs) qu'en matière économique. Très apprécié en lutherie et en coutellerie, c'est aussi « un très beau bois de tournerie », rappelle Thomas Cordonnier, chercheur à l'Irstea, qui évoque également des vertus en termes de « rendement énergétique. » Encore faut-il se donner les moyens d'aller le chercher...