Protéger les terres agricoles dans la durée

« On prend toujours du terrain là où il y en a et la pression agricole est plus forte que la pression environnementale », constate Jean Papadopulo, le président de la communauté d'agglomération Porte de l'Isère (Capi).
Le territoire connaît une des plus fortes pressions foncières du département. C'est dans ce contexte et au cœur de la ville nouvelle, à l'Isle d'Abeau, que la chambre d'agriculture organisait le 22 juin dernier une soirée Terres de débat réunissant de nombreux élus, des représentants du monde économique et des agriculteurs.
Des exemples vertueux, il en existe quelques uns, des bonnes volontés aussi, mais les acteurs reconnaissent que les décisions politiques doivent s'affranchir de l'échelle du temps et des intérêts privés.
Des certitudes
L'agriculture a besoin de certitudes sur le long terme. « Nous avons besoin de continuité pour installer des jeunes ou pour lancer des projets d'irrigation », insiste André Coppard, secrétaire de la chambre d'agriculture de l'Isère en charge du dossier foncier.
Pour le président de la Capi, il convient de « trouver des moyens supra communaux pour protéger les terrains ». Il précise : « Le droit des sols est largement insuffisant, les PLU ne durent pas assez longtemps ». Il penche plutôt pour des solutions telles que les zones agricoles protégées ou, au mieux, pour des PAEN (périmètres d'aménagement des espaces agricoles et naturels).
Soutenir des projets
Christian Coigné, vice-président du département en charge de l'ingénierie urbaine, du foncier et du logement, considère aussi que le meilleur outil pour « protéger durablement l'activité agricole » est de travailler sur les PAEN. « Mais pour que le département agisse, il faut qu'il y ait des demandes », insiste-t-il. Nous allons remettre en place un PAEN dans le Grésivaudan et nous sommes prêts à y aller dans le Pays voironnais. »
Véronique Hartmann, responsable du PAEN du Grand Lyon, apporte la preuve qu'il est possible de faire aboutir un programme de protection qui s'inscrit au-delà d'un Scot.
Lancée en 2006, la concertation a abouti à la définition, en 2014, un périmètre de 14 000 hectares.
« Ce programme d'action a permis d'entendre les agriculteurs sur leur territoire », rapporte la responsable. Et ce n'est pas tout.
La démarche s'est assortie du soutien de près de 140 projets : légumerie, points de vente collectifs, expérimentation en maraîchage etc.
« Mieux vaut avoir une grande zone industrielle bien aménagée que quatre petites », poursuit-elle pour illustrer l'intérêt d'une réflexion collégiale. La concertation doit associer certes les élus et la profession agricole, mais aussi les propriétaires fonciers.
Jouer le jeu
Si les PAEN sont plus agiles que les Scot (celui de l'agglomération grenobloise réunit 271 communes), les Schémas de cohérence territoriale « sont un élément déclencheur et essentiel pour préserver le foncier agricole », estime Gérald Joannon, président du Scot Boucle du Rhône en Dauphiné actuellement en révision.
Pour sanctuariser 32 000 hectares, les élus ont beaucoup appris du Scot précédent. « Nous travaillons en amont avec la chambre d'agriculture et le comité de territoire pour apprendre à se connaître ».
Surtout, le secteur primaire est considéré « comme une activité économique à part entière ». Pour autant Gérald Joannon, reconnaît que « tous les élus n'ont pas forcément joué le jeu. Et c'est pour cela que nous avons besoin du soutien de l'Etat pour faire respecter les règles ».
Friches industrielles
L'Etat intervient déjà en Nord-Isère via l'Epora pour gérer notamment la problématique de friches industrielles récurrentes en Isère.
« Il y a beaucoup de friches industrielles dans le département, mais il coûte plus cher de dépolluer qu'acheter du foncier agricole », confirme Gérard Seigle-Vatte, président de l'association des maires ruraux de l'Isère.
Il souligne le courage politique de ceux qui mettent en place des PAEN, regrette « les occasions manquées » et soulève la délicate question de l'abandon des intérêts privés.
Compensations
Lorsqu'un projet parvient à réunir autour de la table élus, propriétaires fonciers et exploitants, Jean-Claude Darlet, président de la chambre d'agriculture, pose encore la question des compensations possibles pour le maintien d'une économie agricole.
« Il faut prendre en compte le fonctionnement des exploitations », insiste Didier Crost, vice-président de la coopérative Dauphinoise. Il met en avant le problème de l'acceptation sociale lorsque des exploitations désirent se diversifier vers la production d'œuf ou pour implanter des îlots de semences.
« On veut des circuits courts. Nous travaillons en meunerie avec des artisans boulangers et nous avons besoin de foncier proche des villes », soutient pour sa part François Claude Cholat, du Gaic Cholat.
« Quand on prend un terrain, on prend aussi un outils », insiste-t-il en citant l'exemple de l'extension de l'aéroport de Satolas qui aura pour conséquence de forcer les exploitants alentour à pomper dans le Rhône et non plus dans la nappe.
Le groupe agroalimentaire témoigne néanmoins de toute sa satisfaction de voir élus et professionnels réunis. « On a le sentiment d'être écoutés ». Est-ce l'émergence d'une nouvelle génération d'élus, comme le suggère Gérald Joannon ?
Pour André Coppard, il n'y a pas d'autre solution que « d'associer le monde agricole à chaque projet et en contrepartie, protéger et compenser ».
Isabelle Doucet
Le foncier isérois en chiffres
La consommation foncière en 2014 dans le département fait état d'un gain de 292 hectares supplémentaires en milieu urbain, 252 hectares dédiés aux infrastructures, 61 hectares consacrés aux espaces naturels et d'une perte de 543 hectares pris à l'agriculture.La pression agricole, bien que très forte, diminue chaque année, concomitamment à la limitation de consommation de foncier pour le développement urbain. Tout le Nord-Isère est concerné. Le secteur de Saint-Exupéry connaît le plus fort taux de surfaces nouvellement urbanisées, suivi de près par la Capi.
Entre 2010 et 2014, les surfaces agricoles avaient observé un recul de 818 hectares par an, principalement au profit de l'urbanisation.
(Source : Observatoire foncier de l'Isère)
Pour aller plus loin :
- Lire l'interview de Jean Papadopulo, le président de la Capi sur les démarches innovantes pour faire émerger des projets agricoles