Quel avenir pour les librairies de « campagne » ?

Ils aiment autant la lecture que les livres. Ils aiment aussi être au coeur d'un commerce de proximité, d'un lieu de vie et d'échanges. Et ils sont satisfaits d'avoir créé leur propre entreprise. Ils sont libraires, à Pontcharra, à La Mure, à Saint-Marcellin, à Pont-de-Chéruy et à La Tour-du-Pin. Pour Domitille Bernes et Thierry Barrailler, propriétaires de la librairie Bel'Ysère à Pontcharra, de même que pour Françoise Troussier, de La Gribouille à La Mure, Christine Galaverna du Marque-Page à Saint-Marcellin, Jacques Daumard, de la Tache d'encre à Pont-de-Chéruy et Laurence Vagnon de l'Ecriture à La Tour-du-Pin, la rentabilité économique n'était pas la principale motivation à l'origine de leur installation. Et heureusement. Car, tous le confirment, ce n'est pas le commerce le plus lucratif qui soit. Mais tous ces libraires, installés en milieu rural, croient en l'avenir de leur établissement, estimant que malgré la concurrence d'Internet et des supermarchés, de nombreux clients auront encore envie de venir faire vivre ces lieux, qui contribuent à une vie locale dynamique. Même si, à moyen et à long terme, ils s'interrogent.
Une zone de chalandise étendue
Les librairies situées en milieu rural sont peu nombreuses. Et pour cause. « Pour arriver à être assez rentable pour maintenir l'activité, il faut suffisamment de clients et donc une population relativement importante », explique Marion Baudoin, de l'association « Libraires en Rhône-Alpes ». Ces libraires ont repris une librairie existante, ou l'ont créé, et coïncidence, ou pas, tous se sont installés en 2009. Pour la majorité, il s'agit de reprises et de reconversions professionnelles. Avant de franchir le pas, ils se sont tous intéressés à leur zone de chalandise, plutôt étendue, puisque leur commerce draine des clients de nombreuses communes. De Goncelin à Montmélian, en passant par Les Marches et les Balcons de Belledonne et de Charteuse pour Bel'Ysère. Le plateau Matheysin, le Trièves et le Valbonnais pour La Gribouille. Toutes les communes situées dans les environs de Saint-Marcellin, soit un potentiel de 30 000 personnes pour le Marque-Page. In fine, leur installation, qu'il s'agisse d'une reprise ou d'une création, répond bien à une demande. Dans le cas de Bel'Ysère, il n'y avait aucune librairie entre Crolles et Chambéry. Cinq ans après, ils ont gagné leur pari, puisqu'ils viennent de racheter en début d'année la librairie du Grésivaudan à Crolles. « C'était un peu fou, mais nous aurions regretté sa disparition. Et finalement, cela se passe bien », analyse Domitille Bernes.
Un relationnel important
Ces librairies ont des atouts, les clients ne s'y trompent pas. En venant dans ces librairies indépendantes, ils viennent chercher un conseil, fouiller et farfouiller, feuilleter les livres, les découvrir, les commander, les attendre. « Ils aiment venir chercher quelque chose et repartir avec autre chose », ajoute Christine Galaverna. Ils apprécient les animations que leur libraire leur propose et l'ambiance des lieux. « Ce sont des passionnés de lecture, des clients à la recherche d'un cadeau, des parents qui ont besoin de livres scolaires pour leurs enfants », précise Domitille Bernes. Des besoins divers pour une clientèle variée et fidèle, qui aime le lieu et le contact avec le libraire. « Dans notre métier, l'aspect relationnel est très important », souligne ces professionnels. Nombreux sont les clients à être aussi conscients que, s'ils ne viennent plus, s'ils s'approvisionnent sur Internet ou en grandes surfaces, leur commerce fermera et ils le regretteront. Pour certains, c'est un geste citoyen qui est ainsi accompli. Avec plaisir. Mais surtout par les générations les moins jeunes. « Nous avons des clients qui examinent les références des ouvrages sur Internet et ils les commandent chez nous », indique Domitille Bernes et Christine Galaverna. « Mais ce comportement est bien moins vrai chez les jeunes, pour qui Internet est un réflexe, et le conseil, une notion inconnue », modère Jacques Daumard, qui craint que d?ici peu, la plupart des achats ne se fassent sur la toile.
Une ambiance générale difficile
« Car la concurrence est rude, et parfois déloyale. De la part d?Internet et de sites comme Amazon, qui ne facture pas les frais de port et qui applique systématiquement les 5% de remise autorisés dans le cadre de la loi Lang de 1981 (voir encadré) et de la part des grandes surfaces, qui proposent une offre de plus en plus importante », avancent ces professionnels. Et si les libraires aiment leur métier, ils n'en demeurent pas moins confrontés aux réalités économiques de leur activité. Conscients qu?ils doivent proposer une offre large dans des domaines variés, comme la littérature, le jardinage, la santé, l'économie... le stock leur coûte cher. « C'est la difficulté du métier, précise Domitille Bernes. Il ne faut pas se laisser déborder. Il faut constamment être vigilant sur ces immobilisations et utiliser la faculté de retour* des livres non vendus ». Et l?ambiance générale est difficile. « En ce moment, nous assistons à la fermeture de plusieurs grandes enseignes, qui risquent de déstabiliser le paysage de la librairie en France », soulève Christine Galaverna. La crise aussi est largement ressentie par les libraires depuis deux ans. « Nous n'avons pas remarqué une baisse de la fréquentation, mais surtout une diminution du panier moyen et un engouement pour le livre de poche », estiment Christine Galaverna et Françoise Troussier. Les libraires doivent donc faire face à des hauts et des bas. Mais à la question « Pensez-vous que les librairies situées en milieu rural ont un avenir ? », les principaux concernés répondent : « Oui, sinon je ne serai pas là ! ». Même si cela sera difficile, même s'ils pensent qu?il faudra encore plus sensibiliser les clients et les éditeurs, ils estiment avoir les moyens de s'accrocher et de s?adapter.
* Livres que peut retourner le libraire qui donne droit à un avoir
Isabelle Brenguier
Le prix unique du livre
Votée en 1981, la loi Lang avait pour objectif de protéger le produit culturel qu'est le livre ainsi que sa commercialisation. Elle stipule que l'éditeur fixe le prix de son livre et l?inscrit au dos de l'ouvrage, et que le point de vente ne peut vendre le livre à un prix différent. Toutefois une remise maximum de 5 % (effectuée directement à la caisse ou sous forme de carte de fidélité) est autorisée. Cette loi a fortement contribué au maintien en France d'un tissu de librairies indépendantes.I.B.
Pour en savoir plus
Quand Leclerc s'installe dans le voironnais, les libraires ne tremblent pas (Place Gre'net)