Relations commerciales : les sénateurs gardent l'idée mais remodèle le texte

Pour Michel Raison, rapporteur du projet de loi Agriculture et Alimentation issue des États généraux de l'alimentation (Egalim), ce projet de loi « ne régit que les relations commerciales entre les
agriculteurs et leurs différents acheteurs, cela ne règle pas le problème du revenu, car ce n'est pas une loi sur le revenu agricole ». Il reste toutefois optimiste quant à un accord en commission mixte paritaire. « Pour le titre I, nous sommes plutôt d'accord », confie-t-il.
Et effectivement, les sénateurs, majoritairement de droite, de la commission des affaires économiques, ont conservé le fond de la partie dédiée aux relations commerciale dans le secteur agricole et alimentaire du projet de loi Egalim telle qu'adoptée par les députés.
Ils l'ont toutefois remodelée sur la forme. Ils ont, par exemple, assoupli certaines dispositions de la contractualisation et supprimé ou vidé de leur substance les ordonnances du titre I.
Contractualisation : une révision automatique des prix et une facturation déléguée
Sur le volet contractualisation, les sénateurs de la commission des affaires économiques ont adopté un amendement du rapporteur mettant en place la révision automatique des prix par le fournisseur en cas d'envolée des cours. Ainsi, lorsque le cours d'un produit agricole subit « une augmentation supérieure à un seuil défini par décret » ou par l'interprofession, alors, le prix du produit fini, composé à plus de 50 % de ce produit agricole, est « automatiquement révisé à la hausse ».
« Si le prix rebaisse alors on revient au prix initial »,précise Michel Raison, mais seulement si cette baisse est « successive à la hausse ayant déclenché la révision automatique du prix ». Cela pourrait s'appliquer, par exemple, aux pâtes, aux charcuteries ou aux steaks hachés.
De plus, le projet de loi prévoyait que les producteurs délèguent la facturation aux organisations de producteurs (OP) qui commercialisent leurs produits. Les sénateurs de la commission des affaires économiques ont décidé de supprimer cette obligation car « aujourd'hui certaines OP n'ont pas la capacité matérielle de facturer », précise Michel Raison.
Ainsi, lorsque la commercialisation des produits passe ou non par une OP, la facturation pourra être déléguée à un tiers ou à l'acheteur.
Les indicateurs diffusés par les interprofessions
Les sénateurs de la commission des affaires économiques ont confirmé que c'était bien le rôle des interprofessions de diffuser les indicateurs de coûts de production comme le prévoit l'amendement du député LREM Grégory Besson-Moreau, adopté, lors de la séance publique, contre l'avis du gouvernement et du rapporteur sous couvert de liberté contractuelle. Ils y ont ajouté un amendement stipulant qu'« en cas de défaut constaté des organisations interprofessionnelles », l'Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM) disposera « d'une période de trois mois » pour fournir des indicateurs de coûts de production suite à la demande d'un des membres de l'organisation interprofessionnelle.
Renforcement du rôle du médiateur
« Nous avons voulu donner le plus de poids possible au médiateur car il fait un bon boulot », résume Michel Raison. Ainsi, les sénateurs de la commission des affaires économiques ont adopté un amendement permettant, à la suite d'un échec d'une médiation, « toute partie du litige » de « saisir le président du tribunal compétent pour qu'il statue en la forme des référés ».
Jusque-là, les députés avaient refusé, sur avis du gouvernement, tout amendement visant à permettre au médiateur « de saisir le juge des référés » directement si, au terme du délai de médiation pour les litiges, aucun accord-cadre n'a été signé. Les sénateurs sont allés dans le même sens en donnant cette capacité, non pas au médiateur, mais bien aux parties du litige.
En effet, pour le rapporteur, donner cette capacité au médiateur pourrait « détourner les parties de la médiation » de peur d'une judiciarisation. De plus, les sénateurs n'ont pas souhaité créer une nouvelle juridiction comme cela avait été évoqué.
L'encadrement des promotions « en dur »
En commission des affaires économiques, les sénateurs ont décidé de retirer au gouvernement l'« habilitation à intervenir par ordonnance » pour l'encadrement des promotions en choisissant « de transformer en dur » ces mesures dans le texte de loi.
L'amendement, adopté à l'unanimité, proposé par le rapporteur Michel Raison, reprend ainsi le relèvement du seuil de revente à perte de 10 %, l'encadrement des promotions de 34 % en valeur et 25 % en volume mais seulement « pendant une durée de deux ans » qui sera suivie par la remise d'un rapport d'évaluation.
De plus, « il prévoit plus de souplesse, s'il y a un besoin de dégagement » pour des denrées alimentaires périssables ou saisonnières explique le député de Haute Saône, par exemple « pour les fruits et légumes ou le porc ».
Sur le même thème, les sénateurs ont souhaité supprimer l'article interdisant l'utilisation du terme de « gratuit » dans le cas de vente de produits alimentaires.
Pas de réforme du statut de la coopération
« La quasi-totalité des coopératives fonctionnent correctement », affirme Michel Raison, qui ne veut « pas toucher au statut de la coopération ». Ainsi, les sénateurs de la commission des affaires économiques ont adopté un amendement supprimant du projet de loi Egalim l'habilitation du gouvernement à prendre des ordonnances concernant les relations entre les sociétés coopératives et leurs associés coopérateurs.
Le projet de loi tel qu'adopté par l'Assemblée nationale prévoyait notamment de simplifier les conditions de départ et de renforcer la transparence dans la redistribution des gains des coopératives. Le rapporteur, à l'origine de cet amendement, refuse en effet de « donner un chèque en blanc au gouvernement susceptible de remettre en cause un modèle coopératif essentiel dans la structuration de la production agricole ».
Encadrement des pratiques des distributeurs à l'étranger
Lors des discussions en commission des affaires économiques, les sénateurs ont adopté un amendement visant à faire appliquer le droit français aux centrales d'achat internationales regroupant des distributeurs lorsque la revente des produits est prévue sur le territoire français.
Plus spécifiquement, « les dispositions relatives à la négociation commerciale ainsi qu'aux pratiques restrictives prohibées » s'appliqueront « quel que soit le lieu de négociation et de conclusion du contrat, dès lors qu'il a pour objet l'approvisionnement d'un acheteur de produits destinés à la revente sur le territoire français ».
En effet, pour le rapporteur « les distributeurs essayent de contourner la législation française ».
Il ajoute que la DGCCRF et le ministre sont plutôt favorables à cet amendement.
Les ZDS font irruption dans le débat
Alors que les solutions pour les exclus du zonage des ZDS sont toujours en discussion, les sénateurs ont souhaité introduire un nouvel article stipulant la remise, par le gouvernement au parlement, « d'un rapport avant le 1er janvier 2019 sur l'opportunité de mettre en place une prestation pour services environnementaux (PSE) afin de valoriser les externalités positives de notre agriculture ».
L'idée sous-jacente de cet amendement déposé par les sénateurs socialistes, est d'expérimenter cette PSE aux territoires récemment exclus du zonage la carte des zones défavorisées simples (ZDS) et ainsi compenser la perte de l'indemnité compensatoire pour handicap naturel (ICHN).
Source : Agra
Le député Jean-Baptiste Moreau « sceptique » après l'examen du Sénat en commission
Contacté le 14 juin par Agra Presse, Jean-Baptiste Moreau, rapporteur à l'Assemblée nationale du projet de loi issu des États généraux de l'alimentation se déclare « sceptique » après l'examen du texte par les sénateurs de la commission des affaires économiques, la veille. Le texte étant soumis à une procédure accélérée, une commission mixte paritaire (CMP) est prévue afin de trouver un accord entre les deux chambres sur le texte final. Elle devrait se dérouler autour du 16 juillet.En cas d'échec, une nouvelle lecture débuterait en septembre - l'Assemblée ayant le dernier mot. « Je ne veux pas préjuger des débats en séance publique, mais cela va être excessivement compliqué de trouver un accord », estime-t-il. « J'ai eu des discussions franches avec les rapporteurs au Sénat il y a quinze jours, et cela ne paraissait pas insurmontable, mais là je suis sceptique ».Et de citer trois points de blocage : la suppression des rabais et ristournes sur les phytos du texte, la séparation de la vente et du conseil « vidée de sa substance », tout comme la réforme par ordonnance du statut de la coopération.
Pour autant, le rapporteur se veut rassurant sur les conséquences d'un allongement des débats parlementaires, en vue d'une adoption avant le début des négociations commerciales : « Les ordonnances seront prêtes en temps et en heure ».