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Rencontre

Roland Primat tourne la page de La Dauphinoise

Président pendant vingt ans, au conseil d'administration pendant 35 ans, Roland Primat quitte la coopérative Dauphinoise et s'explique sur cette décision inattendue.
En exclusivité sur le web :
- des raisons personnelles (question 4)
- 20 ans de présidence (question 8)
Roland Primat tourne la page de La Dauphinoise

La Dauphinoise a fêté ses 80 ans en 2014 et à l'époque, il n'était pas question de votre départ. Que s'est-il passé depuis ?

A la mi-novembre, j'ai décidé de ne pas renouveler mon mandat. En effet, les administrateurs sont renouvelables par tiers tous les trois ans et c'était l'occasion, après 35 années d'engagement comme administrateur dont 20 ans de présidence, de se poser des questions, de se demander à quoi je serai utile à la coopérative demain. J'ai toujours observé, dans les organisations agricoles que le renouvellement des générations est nécessaire dans le fonctionnement des conseils d'administration. Ce n'est pas seulement une question d'âge, mais le poids du passé est là et un sentiment de lassitude peut gagner.

Cela à un moment où la coopérative opère des choix importants ?

Nous avons engagé des discussions avec d'autres coopératives. Il s'agit de redessiner le paysage de la coopération à l'horizon 2030/2040. Or, je ne serai plus là. Les générations qui porteront le projet sont amenées à le construire. 2016 est une année fondamentale pour engager ce processus.

 

Inauguration du pôle semences en 2014, un des derniers investissements structurant pour l'entreprise.

Et en dépit d'une certaine fragilité dans la gouvernance de l'entreprise ?

La direction générale a encore changé. C'est un élément déclencheur de ma prise de décision. J'ai vécu comme un échec les deux précédentes collaborations avec les directeurs. Il y a la dimension économique et sociale complexe et compliquée de l'entreprise. Il s'agit d'être en ordre de marche pour relever les défis futurs, mais aussi de trouver le bon équilibre pour que le binôme directeur-président fonctionne, avec des personnes impliquées.

Des raisons plus personnelles entrent-elles aussi en compte ?

J'ai aussi envie de vivre autre chose après 20 ans de pression au quotidien. J'ai veillé à garder un rôle d'agriculteur dans notre ferme pour rester près des réalités d'une exploitation. J'ai encore quatre à cinq années à exercer ce métier pleinement. Lorsque je mesure le temps passé dans le Gaec et celui consacré à mes responsabilités à l'extérieur, je cumule deux plein temps. Je désire avoir plus de temps disponible pour profiter de ma famille et de mes petits enfants. Le seul mandat que je conserve est celui de l'AGPM pour la FDSEA38.

Comment votre succession s'organise-t-elle ?

J'ai préparé une équipe au sein de laquelle pouvait émerger un leader. Il y avait plusieurs candidats possibles. Après des débats internes, les administrateurs ont pris position pour Didier Bréchet. Il sera entouré d'une équipe, dont Edmond Guinet qui continuera à représenter l'ancienne génération pour favoriser la transition. Quatre nouveaux administrateurs vont arriver. Mais nous avons toujours eu des candidats, pour peu que nous allions les solliciter. Ils manifestent de l'intérêt et il y a peu de défection.

Vous parlez d'une année charnière pour La Dauphinoise, qu'en est-il ?

L'économie agricole bouge en profondeur et en rapidité. Les organisations franchissent de grandes étapes dans leur structuration et leurs choix s'accélèrent. L'investissement de La Dauphinoise dans la filière œufs lui a fait franchir un pas déterminant.

 

Le pôle œuf : un investissement déterminant sur la filière aval pour la coopérative.

 

Mais pour mieux répondre aux défis que sont la recherche du meilleur coût, de la meilleure valorisation et du positionnement sur les marchés, les organisations doivent se remettre en cause. Or, La Dauphinoise est limitée en interne. C'est une grosse coopérative locale, mais petite à l'échelle nationale. Nous aurons plus de chance de porter un projet pour l'agriculture régionale dans un périmètre géographique et économique plus large. Il faut se donner plus de perspective, plus de poids et plus de pouvoir économique en discutant avec les autres coopératives que sont Valsoleil, Natura'pro, Alpessud, Jura Mont Blanc, Terre d'Alliance ou Eurea. Dans ce contexte d'évolution accéléré, où l'on gagne à être en anticipation afin de ne pas subir, les choses sont d'autant plus faciles à mettre en œuvre que les autres coopératives partagent la même réflexion. Nous sommes une des dernières régions à ne pas être structurée autour d'un groupe coopératif de dimension régionale.

Comment cela se traduira-t-il concrètement ?

Il ne s'agit pas seulement d'une structuration au bénéfice de la recherche de compétitivité, mais aussi des filières agricoles, de l'amont vers l'aval et entre productions, avec une complémentarité animal/végétal. Cela suppose des investissements financiers importants. En consolidant les fonds propres de ces coopératives, on peut porter des projets plus importants et les agriculteurs peuvent garder le pouvoir au sein des coopératives. Nos atouts sont qu'aucune de ces coopératives n'est en difficulté et qu'elles ont toutes des fonds propres. L'émergence des projets se fera plus dans l'union que dans la fusion. Nous devons être capables de donner des perspectives aux agriculteurs qui vivent de nos organisations.

 

Que retenez-vous de ces 20 années de présidence ?

D’abord, c’est une aventure humaine qui a été très enrichissante sur le plan personnel. Cela s’exprime à travers des moments forts de grande satisfaction, d’ambitions partagées. En même temps, il y a eu des points plus négatifs, avec des discussions ou l’impression de ne pas être compris, des conflits qui tiennent à peu de chose, y compris des formes de trahison dans les moment les plus forts.

 

La coopérative a fêté ses 80 ans en 2014.

 

C’est aussi d’avoir fait des choix stratégiques importants, pas seulement financiers. C’est le cas de la structuration et de la naissance du groupe Dauphinoise en 1995 avec la création de filiales. Ce fut une étape forte, qui n’était pas préparée, mon prédécesseur ne m’avait pas désigné comme successeur. Et plus récemment, l’investissement dans la filiale œufs a été déterminant car la coopérative est devenu acteur aval en allant jusqu’au produit final. C’est également le développement des semences et le rapprochement en 1998 avec Agri tabac. Il y a aussi eu des échecs comme le dossier biomasse, mais au final, la coopérative a triplé son chiffre d’affaires* en 20 ans, a doublé ses fonds propres, a fait plus que doubler le nombre de ses collaborateurs et a conservé la confiance de ses adhérents.

Vos responsabilités vous ont-elles amené à faire des rencontres ?

Oui, cela m'a permis de porter la notoriété de la coopérative, et donc de l'agriculture régionale au niveau national, à avoir cette reconnaissance sans laquelle on n'existe pas.
Parmi les personnes que j'ai côtoyées, certaines ne sont plus là. Lorsque j'étais aux JA, j'ai été marqué par la personnalité de Fréjus Michon. C'était un économiste et un visionnaire tout en étant paysan et continuant à produire du lait. C'est aussi Paul Clo, qui a été vice-président de la coopérative et qui avait une notion du collectif qui m'a beaucoup emballé. Il fait partie des personnes qui ont tiré l'agriculture régionale vers le haut à partir de convictions fortes. Il y a eu aussi de grands directeurs comme Claude Gaillard ou Charles Billon, son prédécesseur. Au niveau national, j'ai été marqué par la rencontre avec Philippe Mangin, qui a récemment quitté la présidence de Coop de France.
Mais ce que je retiens, ce sont d'abord les rencontres avec les paysans. A travers les assemblées de section, j'ai été amené à connaître beaucoup de monde et cela me manquera, de même que ces rendez-vous d'automne favorables au contact.

Propos recueillis par Isabelle Doucet
Stratégie

Croissance externe pour le Groupe Dauphinoise

La Dauphinoise vient de signer un accord avec la CDC et Valsoleil pour un projet d'usine d'aliments bio pour le bétail sur le site de Chabeuil dans la Drôme. Sa capacité de production devrait s'élever à 20 000 tonnes la première année et 25 000 tonnes en N+2. Le montant total de ce nouvel investissement s'élève à 4,5 millions d'euros. Les aliments produits sont destinés à l'alimentation des bovins, ovins, porcins et volaille. Les objectifs sont multiples : gain de compétitivité, maîtrise intégrale de la filière depuis les contrats avec les producteurs bio jusqu'à l'approvisionnement des éleveurs, garantie sur l'origine du produit et renforcement de l'image territoriale.
Parallèlement, La Dauphinoise réfléchit à un projet d'unité de trituration afin de maîtriser la filière soja non OGM et porter la marque tourteau de soja Localp. Le partenaire serait cette fois-ci un industriel privé. Le produit intéresse plus particulièrement les élevages sous label de qualité.
Le projet de l'année sera sans doute celui qui voit les destins du savoyard Baby Coque (CA : 25 millions d'euros, trois sites) et du pôle œufs de La Dauphinoise (CA : 100 millions d'euros) scellés dans une nouvelle société baptisée Envie d'œuf Sud Est, où la coopérative est actionnaire majoritaire. Francis Gaud, ex-gérant de la société familiale Baby Coque en devient le dirigeant. En consolidant la production de 200 millions d'œufs du savoyard et de 800 millions de La Dauphinoise, le nouveau pôle atteindra donc une production annuelle d'un milliard d'œufs et emploiera 350 collaborateurs.
La Dauphinoise renforce ses positions dans le Trièves où elle travaille avec la minoterie du Trièves à Celles.(Photo Corréard)
Enfin, le groupe Dauphinoise vient de reprendre les établissements Martinello (7 salariés, CA 2015 : 4,7 millions d'euros) à Saint-Maurice-en-Trièves spécialisés dans le négoce agricole et notamment le fourrage, et la collecte de céréales. La coopérative renforce ainsi sa capacité de stockage en local, affirme son ancrage dans le sud Isère et en direction des Hautes-Alpes, maîtrise l'intégralité de la filière avec un blé transformé sur place via la filière Valcétri et la minoterie Corréard à Clelles.
En 2015, le groupe Dauphinoise réalise un chiffre d'affaires 430 millions d'euros, dont 40% pour la Coopérative dauphinoise. L'effectif groupe est de 1 360 collaborateurs.