Satané Berlioz

« La culture est essentielle si l'on veut faire des citoyens éclairés », affirmait Jean-Pierre Barbier, le président du Conseil départemental de l'Isère, lors de la présentation de l'édition 2016 du Festival Berlioz. « Il ne fait aucun doute que Berlioz vaincra dans le combat du bien contre le mal », ajoutait-il, allusion au thème de cette année « Les Fleurs du mal ou Berlioz au Bal des Sorcières ».
Culture et citoyenneté, culture et économie, culture et tourisme, culture et lien social, culture et territoire : la culture est un cocktail qui guérit de tous les obscurantismes.
En s'installant en 1994 dans la ville natale du compositeur, le festival Berlioz a su fédérer tout un territoire, drainant à chaque fin d'été un public qui va s'élargissant.
Sûr de son ancrage, le festival s'accorde désormais quelques escapades hors de la Bièvre. Vienne l'an dernier, Sassenage cette année, le château de la famille Bérenger ne pouvait offrir meilleur écrin pour célébrer la rencontre de sa fée Mélusine et du magicien Berlioz au bal des Sorcières.
Tradition populaire
2016, année fantastique. Le 19 août, la Symphonie donne le ton du festival pour une danse endiablée de 10 jours.
« Ce n'est pas un festival prétexte, insiste Bruno Messina, le directeur de l'Agence iséroise de diffusion artistique (Aida) qui organise l'événement. La matrice de son œuvre est ici », déclare-t-il, dans une pièce aux boiseries retrouvées du château-musée.
« La Symphonie fantastique renvoie à la tradition populaire, c'est-à-dire quelque chose de fort dans l'enfance de Berlioz », affirme le musicologue.
Il assure que l'enfant Berlioz côtoyait les Bérenger-Sassenage, à l'occasion de ses séjours de jeunesse chez son grand-père maternel, dans la famille Marmion à Meylan.
Si la soirée d'ouverture se poursuit par un bal, ce n'est pas non plus un hasard de programmation. Quand les textes de Berlioz parlent de bal, ils ne sont sûrement pas donnés dans les salons parisiens mais dans les châteaux du Dauphiné. « Berlioz prenait des cours de danse à La Côte-Saint-André », atteste Bruno Messina.
Berlioz est un fermier
Le directeur du festival invite, à travers cette édition, à la rencontre d'un Berlioz rural. La Ferme du Chuzeau, dite Ferme Berlioz, construite en XIXe siècle, appartenait à la famille d'Hector Berlioz.* La Scène aux champs de la Symphonie fantastique est inspirée de la vie à la campagne.
« Berlioz n'a pas vécu de sa musique, il tirait ses revenus de sa ferme. Berlioz est un fermier », insiste-t-il. Des revenus agricoles et viticoles, puisque l'on vendangeait dans la Bièvre le cépage baco aujourd'hui interdit. Les excès de fureur du grand maître sont-ils dûs à la consommation de ce vin réputé rendre fou ? Bruno Messina en est presque persuadé. Il étaye ses propos par le Songe d'une nuit de Sabbat, le cinquième mouvement de la Symphonie Fantastique ou le Ballet des Sylphes de la Damnation de Faust.
Le Sabbat fait écho à un autre illustre de la Bièvre, Mandrin, le voisin d'un autre siècle de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs et dernier supplicié de l'Histoire de France.
Là encore, le spécialiste fait une incursion dans la petite histoire : « Il y a eu plusieurs procès entre les familles Berlioz et Mandrin ».
Autant d'histoires que l'on se racontait le soir à la mondée.
« Il est attesté que la sorcellerie a été présente en Dauphiné et dans les Chambaran pendant longtemps », reprend le musicologue et ethnologue, qui voit aussi dans l'opium une autre source d'inspiration au fameux Sabbat. Car le compositeur est un contemporain de Baudelaire, figure opiacée des arts et des lettres du XIXe siècle, bipolaire comme Berlioz, les deux hommes partagent les mêmes tourments.
L'un écrira Les Fleurs du mal, l'autre la Symphonie fantastique qui raconte l'histoire d'un musicien en proie à un désespoir amoureux qui, sous l'influence du psychotrope, voit son rêve se transformer en cauchemar.
Pour Leonhardt Bernstein, il s'agit bien « de la première symphonie psychédélique de l'Histoire ; la toute première description musicale d'un trip, écrite il y a bien longtemps, en 1830 ».
Berlioz était encore étudiant lorsqu'il a écrit sa première symphonie. Rien à voir avec les salons parisiens, mais à la démesure du compositeur.
« On ne peut rien faire de plus coûteux que Berlioz, qui a transformé les orchestres, ne jouant pas deux fois avec les mêmes formations, les mêmes choristes, n'a pas réalisé deux œuvres de la même dimension, rendant l'organisation à la fois complexe et fascinante », explique encore le directeur du festival.
Isabelle Doucet
*Le verger, le pavillon, l'étable, l'abreuvoir, le bûcher et l'écurie font l'objet d'une inscription au titre des monuments historiques depuis 2003
Un programme miraculeux
L'ouverture du festival s'est déroulée cette année au château de Sassenage, le vendredi 19 août. Les organisateurs ont évité la journée du samedi pour ne pas risquer rencontrer la fée Mélusine. Les concerts donnés dans les grottes ont marqué un moment insolite, avant de filer écouter Le Grand orchestre fantastique. Cette centaine de musiciens amateurs, dirigés par Patrick Souillot, a revisité les musiques de films de sorcières, « car les compositeurs de musiques de films sont les derniers à écrire avec des orchestres symphoniques », rappelle le directeur du festival, Bruno Messina.A 21 heures, place à l'ensemble Le Balcon qui a livré une Symphonie fantastique « revue et dérangée » sous la direction de Maxime Pascal. Puis il était temps de rejoindre le Bal des Tarentelles.
Stars mondiales
De renommée internationale, le festival attire aujourd'hui des artistes mondialement reconnus. C'est le cas de la mezzo-soprano Anne Sofie von Otter, « une des plus grande divas au monde », selon le directeur du festival. Accompagnée de l'orchestre Les Siècles jouant sur instruments d'époque, elle a interprèté le samedi 20 août au château Louis XI à La Côte-Saint-André, un programme entièrement dédié à Berlioz : Les francs-juges, Hardold en Italie et les Nuits d'été.
Le festival peut s'enorgueillir d'accueillir à nouveau Sir John Eliot Gardiner, le plus grand berliozien du XXIe siècle, très attendus du public. Il a dirigé l'orchestre Révolutionnaire et Romantique, le dimanche 21 août, qui a interprèté la symphonie Roméo et Juliette.

La soirée du 23 août réservera aux festivaliers une surprise de taille puisqu'ils découvriront en première mondiale la partition des Fleurs des landes, cinq mélodies pour piano et voix en écho aux Fleurs du mal de Baudelaire. Au cours de la soirée intitulée « Des chants, des poissons et des fleurs », l'orchestre Appassionato dirigé par Mathieu Herzog mettra en regard mélodies françaises et lieder allemands.
Place à « la grande machine symphonique », le vendredi 26 août, toujours à La Côte-Saint-André, avec l'orchestre national de Lyon dirigé par Ingo Metzmacher. « Des catacombes à Baba Yaga », propose des musiques contemporaines et accessibles et des « tubes » incontournables comme les « Tableaux d'une exposition » de Moussorgski.
Le 27 août, ce sera la fête sous la halle médiévale pour un concert psychotropical où l'ensemble Le Balcon sera encore à la manœuvre. Il sera suivi d'un bal pop-folk avec Barbara Carlotti et ses musiciens qui proposeront un vaste répertoire des grandes figures des années 70. Il ne faudra pas s'arrêter en si bon chemin et poursuivre la nuit au cinéma avec l'ineffable The Rocky horror picture show. A vos cirés.

Le festival en chiffres :
Du 19 au 30 aoûtUne soixantaine d'événements dont les deux tiers gratuits
1 500 artistes
Plus de 25 000 spectateurs
Plus de 200 bénévoles
2 220 nuitées
5 500 repas