Si Grenoble était un vignoble

En 2012, les Grenoblois découvraient leur ville telle qu'elle était au XIXe siècle grâce à l'exposition des maquettes militaires monumentales*.
Les coteaux, de la Bastille jusqu'au Néron au nord et dans le Grésivaudan à l'est, étaient apparus entièrement recouverts de vigne.
Un siècle et demi plus tard, les paysages se sont refermés enfouissant les terrasses de pierres que l'homme avait patiemment façonnées.
La famille Gras fait sans doute partie des derniers vignerons à avoir dompté le coteau jusqu'à la fin des années 1970.
« La culture de la vigne s'est arrêtée au profit du restaurant, la famille avait d'autres projets », explique Laurent Gras, quatrième génération de restaurateur de l'établissement familial niché à la Bastille et accroché au mont Rachais.
« Les droits à plantation ont été vendus en 1979 et il ne reste que quelques pieds de vigne esseulés », reprend le maître restaurateur.
Mais que faire des 260 hectares non cultivés qui entourent le restaurant ?
« Nous avons souhaité amener une note patrimoniale, culturelle, visuelle et touristique à l'établissement, poursuit Laurent Gras. Et la vigne était un outil des plus appropriés. »
Copie vierge
Le projet porté par le restaurant est un des plus avancés puisque la plantation du premier hectare de vigne est prévue en novembre 2017.
L'étape préalable est la constitution d'une association des Amis de la vigne des coteaux de la Bastille qui soutiendra la mise en culture et le financement des plants.
Elle s'est réunie fin septembre pour planter symboliquement le premier cep.
Pour préparer son projet, Laurent Gras s'est rapproché de Franck Masson, viticulteur à Chapareillan et s'est adjoint l'expertise d'Alain Graillot, reconnu pour l'excellence qu'il a développée en Crozes-Hermitage, dans un domaine qu'il a cédé à son fils.
« Il représente une caution technique pour faire du vin de qualité », insiste Laurent Gras qui a su s'entourer d'autres professionnels renommés comme les époux Bourguignon, du laboratoire Lams*, qui ont effectué l'étude des sols.
Le ton est donné, l'ambition est de faire du bio.
« Nous avons la chance de partir d'une copie vierge avec des sols sur lesquels il ne s'est rien passé depuis quarante ans », signale-t-il.
L'étude permettra de définir l'implantation des pieds, la création ou non de micro terrasses et l'exposition.
« A l'origine les vignes étaient plantées face au soleil sud-sud-est et dans le sens de la descente. Au maximum, la pente est de 60% et au plus plat de 25% », détaille le restaurateur.
Récolter en 2021
L'année 2016 a été dédiée aux démarche administratives dont l'autorisation des droits à planter délivrée par France Agrimer, qui porte jusqu'à 4 hectares.
L'objectif est de partir sur des cépages endémiques, à commencer par la verdesse qui se mariera à merveille avec le foie gras maison.
« Nous allons replanter du chardonnay blanc de blanc comme le vinifiait mon grand père en méthode traditionnelle pour faire un vin de fête ou d'apéritif, projette Laurent Gras. En vin blanc tranquille, nous l'associeront à un autre cépage local. Nous poursuivrons par la plantation des rouges, sur une base de pinot noir que nous pourront associer à la syrah ou la mondeuse. »
Tendance émergente dans la région, le projet fait la part belle aux assemblages.
« Nous avons prévu de planter un hectare par an, espère le restaurateur, pour récolter en 2021 au plus tôt. »
Pour ce qui concerne les structures, le dossier est aujourd'hui entre les mains des services d'urbanisme de Grenoble et La Tronche.
« Je ne sais pas si la création d'un chais est justifiée ou non pour le moment, analyse Laurent Gras qui s'oriente vers l'existant dans un premier temps, à savoir les chais de Franck Masson. La ville mettrait le fort de la Bastille à disposition mais il resterait un problème pour les accès agricoles et commerciaux. »
Le futur vigneron se laisse le temps de la réflexion car il envisage de planter un hectare par an pendant quatre ans.
Les quantités à vendre ne deviendront significatives qu'au bout de quelques années.
« Historiquement, il y avait cinq hectares en méthode champenoise. La cuvée du Mont Rachais représentait environ 60 000 bouteilles, soit presque 10 000 bouteilles par hectare, ce qui est une production conséquente. »
Clients et amis
Quant au mode de financement, la partie s'est jouée fin septembre, où le restaurateur a décidé de réunir ses fidèles clients et amis pour leur proposer de devenir ambassadeurs de la vigne des coteaux de la Bastille, à l'occasion de la plantation du premier cep.
L'objectif était de réunir entre 100 et 150 passionnés qui pourraient faire chacun un don de 1 000 euros en love money pour la mise en culture.
L'investissement pour un hectare est estimé entre 100 et 120 000 euros, comprenant la préparation du terrain, le défrichage, le bûcheronnage, le piochage, puis la plantation, le palissage et enfin le travail du vigneron pendant trois ans.
Il y a fort à parier que les coteaux de la Bastille et au-delà, devraient changer de physionomie dans les années à venir.
Les initiatives privées ont enclenché un cercle vertueux dans lequel les collectivités souhaitent aussi s'engager, de façon à recréer une véritable culture viticole dans l'Y grenoblois.
Cette dynamique est partagée par les vignerons locaux qui en retireraient un bénéfice économique.
Isabelle Doucet
Hermitage de la Balme
Accroché au Néron
De l'autre côté de Grenoble, au pied du Néron, à Saint-Martin-le-Vinoux, c'est une autre initiative vigneronne qui tente de percer.L'Hermitage de la Balme est un de ces endroits inspirés et secrets où les ruines d'un ancien prieuré et les vénérables terrasses renvoient à une vie antérieure de spiritualité et de labeur.

Alexandra Couturier et Pierre Pillet sont tombés amoureux de cet endroit et déploient toute leur énergie pour le faire revivre.
« J'ai recherché d'anciens écrits au musée dauphinois attestant d'une production de vin très ancienne », raconte Alexandra Couturier. Tous deux passionnés de vin et plus particulièrement de vins naturels, ils ont décidé de valoriser leurs parcelles de 4,5 hectares au pied du Néron.
« Le projet porte sur un hectare », précise Pierre Pillet. Les futurs vignerons se sont rapprochés du centre d'ampélographie alpine pour le choix des cépages locaux. Ils s'orientent sur du persan et de l'étraire de la Dhuy en rouge et de la verdesse en blanc.
« L'étude des sols confirme la viabilité du projet », précise Pierre Pillet. Sébastien Bénard, vigneron à La Buisse, assurera la conduite des cultures
Une association a également été constituée pour soutenir cette initiative privée. « Il y a un vrai engouement pour les produits du terroir et de qualité », reprend Alexandra Couturier, désireuse « d'ouvrir un terrain et la porte d'une petite exploitation. »

Mais comme elle le rappelle : « Chaque histoire est pleine d'embûches. »
Car avant de se lancer dans la plantation, il convient de défricher des terrasses à l'abandon depuis un siècle.
« La question technique s'est très vite posée. Pour préparer les sols, nous devons défricher toute la zone. Nous voulions le faire à l'automne et sortir les bois en créant une piste, mais ça coince », explique Alexandra Couturier.
Les deux propriétaires plaident pour un itinéraire reprenant des chemins existants et rouverts par des entreprises de travaux forestiers.
Surtout, l'opération, entièrement à leur charge, est limitée dans la durée. Il s'agit uniquement de sortir le bois. Une fois les parcelles remises en état, le trafic agricole passera par le domaine.
Alexandra Couturier et Pierre Pillet, insistent également sur le volet sécurité incendie.
Ils gardent un souvenir particulier de l'incendie du Néron de 2003, qui les avait obligés à évacuer. Depuis RTM a préconisé la création d'accès et l'entretien des coteaux.
Alors, « Défricher sans la route ? Commencer à planter en 2017 ? » Pierre serait presque prêt à se lancer.

*Les maquettes restaurées de Grenoble et de Fort-Barraux, datant respectivement de 1840 et en 1693, avaient été exposées au Magasin-CNAC pour la première et à Sainte-Marie-d'en-Haut pour la seconde, d'octobre 2012 à janvier 2013.
*Laboratoire d'analyse de sol