Stabulations : les paillettes plutôt que le treillis

Se mettre aux normes, agrandir le troupeau, faciliter l'installation du troisième associé et accroître la rentabilité de l'exploitation : au Gaec familial du Bain, à Pont-de-Beauvoisin, la décision de construire un nouveau bâtiment d'élevage, bien que lourde, a été jugée indispensable. Sébastien et David Salomon travaillent avec leur père dont ils préparent la cessation d'activité. Polyculteurs, ils élèvent 45 vaches laitières prim'holstein et montbéliardes et leur suite, une soixantaine de génisses. La ferme dispose d'une SAU de 150 hectares dont 30 de paille, 45 de maïs et 18 de tournesol. « Nous jouons sur les deux tableaux entre l'élevage laitier et les céréales », expliquent les deux frères. Ils disposent d'un quota laitier de 480 000 litres et visent plus de 500 000 litres avec un accroissement de leur cheptel à 65 vaches. La ferme a connu trois générations d'agriculteurs et les installations arrivent à saturation. « Nous avions besoin d'une stabulation fonctionnelle et modulable », poursuivent les agriculteurs soucieux de maîtriser leurs coûts avec un bâti simple.
Prix de l'innovation
Le nouveau bâtiment de 1 300 m2 à ossature et revêtement bois, disposera d'une fosse à lisier entièrement maçonnée. Après avoir consulté plusieurs entreprises, c'est finalement le cimentier Vicat, dont l'usine est située à quelques kilomètres de la ferme, qui a apporté la meilleure offre doublée d'une innovation technologique. En effet, la technique de la fibre structurelle intégrée au béton permet d'éviter la pose de treillis soudés dans le radier de la fosse. « Il s'agit de baguettes de fibre de verre intégrées à la recette du béton et qui remplacent la solidité d'un treillis soudé », complète Sébastien Salomon. Le procédé a fait l'objet d'un prix de l'innovation décerné à l'automne dernier, lors du Sommet de l'élevage de Cournon, dans le cadre du concours national bétons agricoles. « Au départ, nous étions septiques quant à la solidité de ce nouveau procédé et nous avons demandé des études plus poussées », expliquent les deux frères. Le cimentier a fourni toutes les études mécaniques et comparatives nécessaires pour convaincre les membres du Gaec, avec à la clé un argument massue : une économie d'environ 10%. Le radier a été coulé en juin. « C'est une opération qui s'est déroulée assez rapidement car elle ne nécessite pas de préparation de structure », admet David Salomon. La fosse de 600m3, recouverte d'un caillebotis, sera équipée d'un brasseur pour le lisier. En fin d'année, le bâtiment devait être enfin couvert. Le projet comprend également le changement de salle de traite prévu pour le mois de mars, passant de 2x8 postes en épi à 7x4 postes en épi. « Nous allons gagner une heure sur la traite qui nous prenait deux heures matin et soir », souligne David tout en reconnaissant qu'il y aura quand même 15 vaches de plus à passer, mais ne mobilisant plus qu'un seul homme.
Le montant de l'investissement s'élève à 340 000 euros et les associés ont déposé une demande dans le cadre du Plan de modernisation des bâtiments d'élevage (PMBE) pour 25% de l'enveloppe. L'opération est couverte par un plan de financement de15 ans et bénéficie d'un prêt bonifié à un taux préférentiel au titre de la DJA de Sébastien, installé en début d'année. Aujourd'hui, l'exploitation dégage un chiffre d'affaires annuel de 200 000 euros et table sur 250 000 euros à moyen terme. « Mais il faut compter avec les fluctuations du cours des céréales et du lait. Il est difficile de se projeter, on ne décide pas des prix », admettent David et Sébastien Salomon.
Un seul site
C'est aussi par nécessité que Bruno Mouret a franchi le pas à Pierre-Châtel. « Je me suis installé en 1997. C'était une petite structure implantée sur deux sites, à Jarrie et Pierre Châtel. La plupart des animaux était à Jarrie, dans un ancien bâtiment. En 2010, je me suis lancé dans la construction d'un nouveau bâtiment pour regrouper l'ensemble des bêtes et améliorer mes conditions de travail et le logement des bovins », explique Bruno Mouret, éleveur de 45 vaches allaitantes de race blonde d'Aquitaine et limousine et producteur de veaux de lait et de bovins pour la vente directe ou la boucherie. Son exploitation de 80 hectares est composée de prairies naturelles, de 17 hectares de céréales et de 7 hectares de maïs. « J'essaie de limiter mes achats de protéines en cultivant des triticales, de l'avoine, des pois fourragers et de la luzerne », complète-t-il.
Le nouveau bâtiment de 1 100 m2 implanté à Pierre-Châtel peut accueillir 60 bovins ainsi que le fourrage auparavant stocké dans des serres tunnel. Le choix de la couverture du sol du bâtiment s'est opéré rapidement : ce sera de la paille, car en zone de montagne, le lisier - et donc les caillebotis - n'est pas admis. La construction en ossature bois est adossée à un dénivelé et exposée plein est. A l'intérieur, l'agriculteur se félicite d'avoir prévu un couloir de circulation pour passer derrière les bêtes. « C'est un très bon poste d'observation. Cela prend de la place et coûte un peu plus cher, mais c'est très bien pour le confort de travail et la surveillance des animaux. » Dans chaque travée, des passages en cas d'urgence ont été pensés. Son seul regret est d'avoir fait l'économie d'une étude béton, car au final, par principe de précaution, l'investissement dans les fondations et le dallage a été maximal. « J'aurais aussi dû prévoir des dépassées de toit, poser du translucide qui résiste aux impacts et mieux placer les abreuvoirs », concède encore Bruno Mouret.
« Un investissement monumental »
« Je savais ce que je voulais en termes de bâtiment. Mais de là à le réaliser, il y a une grosse marche. C'est la raison pour laquelle j'ai fait appel à Fabienne Guerraz, de la chambre d'agriculture pour me conseiller sur la partie technique et valider mes choix. Nous avons en même temps étudié, avec l'Ageden, un dossier pour la partie photovoltaïque, que nous avons abandonné, faute de rentabilité », indique l'exploitant, bénéficiaire de l'Action bâtiment Sud Isère. Il a investi 300 000 euros dans ce nouveau bâtiment, recevant 28 000 euros d'aides au titre du PMBE et 4 800 euros du CDRA. « Je n'ai pas hésité lorsque j'ai vu que je pouvais me faire aider pour le permis de construire, c'est un gain de temps et d'énergie. Cela donne de la fluidité au projet », ajoute-t-il. Pour autant, l'agriculteur qui attend, avec ces nouvelles installations, un chiffre d'affaires annuel de 120 000 euros, reconnaît que « c'est un investissement monumental » et que le retour sur investissement sera très long. Augmenter les volumes sans arriver à saturation, compter sur l'entraide avec ses collègues agriculteurs, jouer sur les filières courtes (2/3 de sa production) et longues (1/3 de son activité), l'agriculteur utilise tous les leviers pour trouver la rentabilité de son exploitation.
Isabelle Doucet
Un accompagnement jusqu'au permis de construire
Depuis 12 ans, le territoire du Sud Isère, sous l'impulsion de l'association Sitadel, mène une politique d'intégration des bâtiments agricoles dans son paysage, dans le cadre du Contrat de développement Rhône-Alpes (CDRA). Elle se traduit par un accompagnement personnalisé piloté par la chambre d'agriculture, de façon à faciliter les démarches administratives de l'exploitant et améliorer la qualité de son projet de contruction. Le conseiller de la chambre d'agriculture réunit ainsi une équipe d'experts des organismes et administratiosn concernées par le projet de bâtiment agricole : mairie, Conseil d'architecture d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), Direction départementale de l'équipement (DDE), la Direction départementale de l'agriculture (DDAF), mais aussi l'Ageden ou d'autres intervenants. Cette démarche baptisée Action bâtiment Sud Isère permet de rédiger le projet architectural du permis de construire. Elle est ponctuée de prises de contact, de rencontres sur l'exploitations et aboutit à la rédaction du document préalable au dépôt du permis de construire. Une aide financière pour l'aménagement des abords des bâtiments mise en place par le CDRA vient compléter cette initiative. Pas moins de 52 dossiers ont ainsi été traités entre 2007 et 2011 et un tiers ont bénéficié d'une aide de 5 000 euros au titre de l'aménagement des abords. En 2013, la chambre d'agriculture a préconisé une extension du dispositif aux autres territoires de l'Isère. Tous les projets de bâtiments agricoles sont éligibles à cet accompagnement, qu'il s'agisse de stockage, d'élevage, d'habitat ou de maraîchage. En 2015, ce sont les intercommunalités qui reprendront la compétence d'instruction des dossiers, même si in fine, la DDT gardera un œil sur les projets.ID