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Traités internationaux

Tafta froisse les élus de la nation

Le projet de traité sur le commerce transatlantique est une tentative pour les Etats-Unis et l'Union européenne de reprendre la main sur les échanges internationaux. Au risque pour l'UE d'y perdre son âme.
Tafta froisse les élus de la nation

La prise de conscience est sans doute en train de débuter. Le projet de traité transatlantique entre l'Europe et les USA (dit Tafta) commence à mobiliser certains élus qui prennent eux-mêmes des initiatives. La députée Michèle Bonneton a donc provoqué deux réunions publiques de sensibilisation à ce sujet, l'une à Saint-Marcellin, l'autre à la Buisse, les 11 et 12 juin.

 

Georgette Ballouhey a eu du mal à sensibiliser les industriels du Grésivaudan qu'elle représente, sur ce thème sensible qui concerne les exportations commerciales.

Les collectivités locales directement concernées

Ce projet de traité concerne toute la population par l'ensemble des conséquences qu'il emporte. Son objet global ? Déréguler encore davantage le commerce entre les deux principaux pôles économiques du monde qui représentent encore 50% du commerce planétaire. Et deux éléments vont servir d'épouvantail pour les détracteurs : le premier est l'organe de coopération réglementaire composé de membres non élus des deux côtés de l'Atlantique, chargé d'harmoniser toute nouvelle loi après l'adoption du traité vis-à-vis de son contenu. Le deuxième repoussoir réside dans l'arbitrage privé qui s'imposera à tous. 

Alan Confesson, élu au conseil municipal de Grenoble a expliqué pourquoi la ville s'est déclaré zone non tafta.

"Les collectivités locales sont concernées, elles sont mentionnées dans le projet de traité, souligne Alan Confesson, élu au sein de la municipalité de Grenoble, invité par Michèle Bonneton. Elles devront appliquer l'accord, mais ne sont pas consultées. Or, si une collectivité veut retirer la concession de gestion de l'eau à une multinationale, celle-ci pourra très facilement se retourner contre la collectivité et lui faire payer très cher sa décision, donc au final les contribuables ».

Pour Pascal Durand, député européen, le projet d'accord "crée un risque civilisationnel"

Pascal Durand, député européen présent lors de la réunion de Saint-Marcellin , se veut rassurant quant à cet arbitrage privé : « Attention à l'arbre qui cache la forêt : l'arbitrage est un leurre. On  gagnera le combat à son sujet. Le vrai problème est ailleurs, il est civilisationnel : va-t-on dessaisir les organes démocratiquement élus dans nos pays européens pour transférer leurs compétences à des instances privées ou non élues ? Car c'est ce qui se passera avec l'organe de coopération réglementaire. Toute modification des normes internes (lois, réglements, décrets...) devra être soumis au comité d'experts préalablement  à leur adoption. On décidera donc ailleurs à notre place. Le traité étant dans une logique économique entièrement tournée vers la protection des investisseurs, on pourra dire adieu au triptyque économique-social-environnemental européen qui vise à préserver un équilibre entre ces trois grands thèmes ».

Prééminence perdue

Yann Echinard, économiste, spécialiste des questions européennes, resitue ce projet d'accord dans une longue évolution. « Il n'est que la poursuite d'un processus d'ouverture des frontières lancé après la deuxième guerre mondiale qui veut que plus on fait du commerce, moins on fait la guerre. Il a été orchestré par les Etats-Unis, puis en collaboration avec l'Union européenne dans le cadre du Gatt, puis de l'Uruguay round et de l'OMC.

Yan Echinard est économiste, spécialisé sur les questions européennes.

L'agriculture est un des premiers secteurs concernés par cette libéralisation. L'harmonisation des normes en 1992 est dans cette logique. Mais l'OMC comporte désormais 160 pays. Les Etats-Unis et l'UE ont perdu leur prééminence face au pays du sud, notamment les Brics (1) qui arrivent à bloquer des accords. Il y a donc  un enjeu géostratégique. En s'entendant en bilatéral, ce qui est plus simple, les Etats-Unis et l'UE veulent imposer leurs vues en considérant  que comme ils représentent la moitié du commerce mondial, les autres pays seront obligés de s'aligner. Mais du coup, on met en tension les systèmes nationaux. Cette négociation fait ressortir la carence de portage politique, un mandat ayant été octroyé à un commissaire européen, mais sans ligne précise, sans qu'il y ait un pouvoir politque structuré. Les enjeux sont là, à l'échelle européenne, et dans son fonctionnement politique, pas au niveau simplement national ».

Le contrôle démocratique qui peut en être fait est criant : aujourd'hui, seuls 26 députés européens (sur 750) peuvent accéder aux documents décrivant le projet de traité dans des conditions inouïes : pas de prise de note, pas de copie, dans une salle sécurisée, en l'absence de portables ou d'instruments électroniques, décrit  Pascal Durand. Le pouvoir politique au sein de l'Union est effectivement encore bien faible.

Jean-Marc Emprin

B. Neyroud ne veut pas brader le saint-marcellin

Invité à la table ronde sur les discussions relatives aux accords transatlantiques, Bruno Neyroud, éleveur laitier et président du comité du saint-marcellin est intervenu pour présenter « sa vérité », des explications qu'il qualifiait de « banalités », mais qui visiblement ne l'étaient pas pour son auditoire. « Tout d'abord, je tiens à souligner que l'agriculture ne fait pas de la matière première. C'est réducteur. Nous travaillons d'abord sur le vivant en nous basant sur la reproduction. Nous sommes donc soumis à de nombreux aléas ou contraintes qui dictent notre façon de travailler.
Bruno Neyroud, président du comité du saint- marcellin, a rappelé l'histoire et le sens sous-jacents des AOP et IGP.
Ensuite, nous faisons des produits transformés et pas des produits marketés qui eux répondent à une envie du consommateur. Le produit transformé répond, lui, à des contraintes. Dans les fromages, c'est la conservation du lait : en grosse tomme quand on est en montagne et que l'on ne peut pas se déplacer facilement, que l'on doit conserver le produit plusieurs mois. En portions beaucoup plus réduites comme dans le saint marcellin, lorsque on est dans une vallée et que les déplacements ne posent pas de problèmes. Ces façons de faire datent de bien longtemps, lorsque les gens n'avaient pas l'électricité, ni les facilités de la vie modernes  et qu'il fallait répondre à des contraintes. Donc les produits agricoles transformés ont une histoire et un savoir-faire. Les AOP et IGP sont là pour les reconnaître.
Dans le cadre des négociations Tafta, ces produits et ces labels ne doivent ni être bradés, ni servir de monnaie d'échange. Ils doivent être au contraire confirmés et valorisés. Ils portent les valeurs qui ont fait de nos produits des produits de qualité, ancrés dans le local et respectueux de l'environnement dans lequel ils sont produits ».
(1)         Brésil, Russie Inde et Chine et Afrique du Sud
Jean-Marc Emprin