Accès au contenu
Municipales

Terrain de foot ou place en crèche?

Fin mars, 16 000 femmes feront leur entrée dans les conseils municipaux en raison de l'application de la loi sur la parité dans les communes de plus de 1 000 habitants. Une petite révolution qui risque de bouleverser l'ordre des dossiers prioritaires.
Terrain de foot ou place en crèche?

La parité en politique est inscrite dans la Constitution depuis 1999. Quinze ans et trois lois plus tard, les vieux démons patriarcaux résistent farouchement. Les conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants se sont certes féminisés, mais les exécutifs restent majoritairement dominés par les hommes. Pourtant, de l'aveu des élu(e)s eux-mêmes, la féminisation des équipes municipales est plutôt bien accueillie. « La parité apportera un meilleur reflet de la société et les conseils seront plus représentatifs de la répartition des citoyens hommes/femmes, pronostique Anne Berenguier-Darrigol, qui achève son premier mandat de maire de Saint-Hilaire-de-la-Côte. Mais il faut que les hommes acceptent de voir des femmes prendre des responsabilités et que les femmes osent se lancer dans des activités qui étaient jusqu'alors plutôt « réservées » aux hommes, plus en raison de freins culturels que par manque de compétence. »

Le foot ou les bébés?

En effet, la France a beau être l'une des plus anciennes républiques d'Europe, c'est aussi l'une des plus sexuées dans son approche des rôles masculins et féminins. Quand il s'agit de responsabilités politiques, la répartition est souvent caricaturale : aux femmes, le social et l'enfance ; aux hommes les « gros dossiers », urbanisme, voirie, assainissement et autres. Surtout en milieu rural où, sans être «macho», les mentalités réagissent souvent « à l'ancienne », confie pudiquement une élue. « Notre démocratie s'est construite sur des fondamentaux qui ont plus de deux cents ans, souligne Brigitte Périllié, conseillère municipale à Vif et vice-présidente du conseil général. Le rôle des femmes et celui des hommes sont ancrés dans nos inconscients. Quand on s'attache aux politiques publiques, on voit que les priorités des femmes et celles des hommes ne sont pas les mêmes. » Et qu'elles ne sont pas non plus traitées de la même façon : « Dans toutes les communes de France, il y a un terrain de foot. La petite enfance est moins bien traitée que le sport. Croyez-vous que ce soit un hasard ? », lance l'élue de Vif.

Stéréotypes

L'augmentation du nombre de femmes dans les conseils municipaux peut-elle changer la donne ? Sans doute, mais il faudra du temps. Car certains stéréotypes ont la vie dure. « Le problème, c'est que les femmes sont moins disponibles : elles travaillent, s'occupent des enfants et du repas du soir », argumente de bonne foi un élu d'une petite commune rurale. « Il suffit que les hommes changent de mentalité et acceptent de cuisiner le soir ! », lui rétorque Anne Berenguier-Darrigol. Avec le recul, Annette Pellegrin, maire de Mens, estime que les choses ont tout de même beaucoup évolué depuis son entrée en politique en 1977 : « Progressivement, les femmes ont trouvé une place et fait évoluer leurs idées. C'est important en zone rurale. On ne peut pas tout bousculer d'un coup. »

Un homme à l'action sociale?

En tout cas, les administrés - femmes et hommes - qui ont confié la gestion de leur commune à des équipes paritaires ne semblent pas le regretter. « Personne ne s'est plaint, car nous avons choisi des adjoints compétents, qu'ils soient homme ou femme », affirme le maire de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, qui apprécie la complémentarité d'approche avec sa première adjointe : « Lors d'un événement festif ou culturel comme les Mandrinades par exemple, je m'occupe plus de la logistique, tandis que mon adjointe se charge de la programmation. La répartition des tâches se fait spontanément », explique Yannick Neuder. Dans certaines communes, des élus audacieux ont bousculé les habitudes, confiant l'urbanisme ou les finances aux femmes, les questions sociales ou culturelles aux hommes. Cette inversion n'est pas forcément mal vécue par les administrés. «Les femmes assurent 80% des tâches familiales, rappelle Brigitte Périllié. En terme d'organisation spatiale de la cité, elles ont des idées différentes sur l'emplacement des équipements par rapport aux transports et au logement par exemple.» Inversement, un homme aux affaires sociales aura sans doute un regard moins complaisant : « Au CCAS, on protège tout le monde et certains aspects nous échappent, remarque Annette Pellegrin. Un homme apporterait sans doute un regard nouveau et proposerait d'autres pistes...»

Rôles complémentaires

De l'avis de tous, les rôles sont donc complémentaires et les approches différentes. Cependant, qu'ils soient hommes ou femmes, les élus sont unanimes à juger les femmes « plus sensibles », « plus pragmatiques », « plus proches des réalités », notamment parce que « le quotidien, elles le connaissent ». Dans un dossier d'aménagement par exemple, les élues s'inquiéteront de l'intégration, de l'environnement paysager, du « détail » (le fleurissement, le passage d'une poussette...), quand leurs collègues masculins seront plus soucieux des grandes lignes du projet. Certains élus ne craignent cependant pas d'invoquer les stéréotypes pour faire la promotion de la parité, louant de supposées qualités féminines, telle que la patience, l'écoute, l'empathie ou un plus grand sens de la diplomatie. D'aucuns affirment que ces « qualités » facilitent la gestion des affaires communes... et surtout celle des conflits. D'autres assurent que cela permet des prises de décision plus collégiales et des consensus peut-être plus facilement accessibles. Anne Berenguier-Darrigol voit les choses autrement : « L'esprit de compétitivité des hommes est moins présent chez les femmes, qui sont plus en connivence... »

Marianne Boilève

Pour en savoir plus sur les prochaines élections municipales en Isère

 

16 000 femmes élues fin mars

Depuis les élections de 2008, 48% des adjoints sont des femmes (dans les communes de plus de 3 500 habitants, seules concernées par la loi sur la parité jusqu'à présent). La loi  du 17 mai 2013 relative à l'élection des élus locaux prévoit désormais l'application de la parité homme-femme dans toutes les communes de plus de 1 000 habitants. Conséquence immédiate : 16 000 femmes seront élues conseillères municipales en France. Mais les hommes seront-ils prêts à lâcher leur poste de maire ? Actuellement, seules 9% des villes de plus de 3 500 habitants ont élu une femme maire... Certains experts, attentifs aux questions de parité, font remarquer que l'application de la nouvelle loi aux prochaines municipales ne garantit pas pour autant un partage égal du pouvoir. Le ministère du droit des femmes a publié un rapport faisant un état des lieux des bonnes pratiques dans les collectivités territoriales. Aux nouveaux élus de s'en inspirer sans modération.
MB