Terre de sens, le comice agriculturel

Avec ses paysages vallonnés, ses champs de maïs épousant les courbes douces de coteaux boisés, ses blés mûrs et ses prairies, ses beaux corps de ferme et ses troupeaux, la Valdaine a tout du bout de campagne agréable à vivre. Irrigué par de bons axes routiers et quelques zones commerciales dynamiques, ce « cadre de vie » rural et champêtre est l'archétype de la ville à la campagne, ou presque. Preuve de son attractivité : le territoire séduit un nombre croissant de « néo » en quête de tranquillité et... de terrain pas trop cher. Alors ça construit. Dans le canton de La Bâtie-Divisin comme ailleurs, les lotissements fleurissent plus vite que les tournesols.
Préserver les espaces agricoles
Revers de la médaille : l'urbanisation grignote patiemment les terres agricoles. Qui s'en inquiète ? Il n'y a plus de paysans. Et ceux qui partent à la retraite sont nombreux à venir trouver « monsieur le maire » pour lui proposer de transformer d'un coup de baguette PLU leurs précieux arpents en terrains à bâtir... Certaines collectivités territoriales résistent et essaient d'inverser la tendance. Gérard Seigle-Vatte, maire de Paladru et conseiller délégué à l'agriculture au Pays voironnais, rappelle les efforts de la communauté de communes en matière de préservation d'espaces agricoles : « Nous sommes l'intercommunalité qui soutient le plus les projets agricoles. Nous avons acheté du foncier pour aider des jeunes à s'installer et aidons ceux qui veulent se diversifier... C'est ce qui nous permet d'avoir une dynamique intéressante. Ça bouge, il y a eu pas mal d'installation ces derniers temps. On ne trouve pas de zone en friche : c'est la bagarre pour le foncier. » Même son de cloche dans certaines communes. A La Bâtie-Divisin, une dizaine d'hectares ont ainsi été rendus à l'agriculture, lors de l'élaboration du dernier plan local d'urbanisme (PLU), voté à la veille des élections. Le nouveau maire assume totalement : « Aujourd'hui, avec l'éclatement des structures familiales (les générations ne cohabitent plus, les gens divorcent...), il faut 10 à 15% de surface habitable en plus pour loger le même nombre de personnes, analyse Thierry Cleyet-Marel. Il faut à tout prix maintenir un potentiel de construction. Mais on ne peut pas continuer à gaspiller l'espace agricole. » Le maire, lui même fils d'agriculteur, a donc choisi de densifier, plutôt que d'étaler. Il n'empêche : le paysage a beau fleurer bon la campagne, les agriculteurs, comme partout, sont de moins en moins nombreux. Le maire n'en recense pas plus de cinq dans sa commune. Même tendance pour les superficies cultivées (811 hectares dans la commune de La Bâtie-Divisin en 1988, 642 en 2010), ou le cheptel (1250 bovins en 1988, environ 800 aujourd'hui).
Deux mondes qui ne se côtoient pas
Curieusement, quoiqu'omniprésente visuellement, l'agriculture est absente du paysage mental de la plupart des nouveaux habitants. « Quand ils arrivent, leur premier souci, c'est de mettre une clôture et un portail, remarque Thierry Cleyet-Marel. Il n'y a pas trop de cohabitation ni de communication avec les agriculteurs. » Corinne Bourrillon, une habitante de Chirens qui connaît bien le territoire et collecte des photos « témoins » pour le compte de l'association « Histoire et patrimoine du Pays voironnais », enfonce le clou : « De toute façon, l'agriculture est un sujet qui ne passionne ni les gens, ni les élus. Les nouveaux habitants ont un rapport bizarre à l'espace : ils ne s'occupent que de leur 1 000 mètres carré de terrain. Il n'y a plus de notion de collectif, de bien commun. Mon ressenti, c'est qu'on a perdu le lien profond avec notre territoire. Aujourd'hui, les gens habitent là, mais ils travaillent ailleurs, en ville. Ils ne connaissent le territoire qu'à travers leurs trajets en voiture. Ils ont perdu le contact avec le pays proche. Autrefois, il n'y avait pas les agriculteurs et les autres : tout le monde était un peu paysan. Aujourd'hui les agriculteurs et les nouveaux habitants ne se côtoient pas. »
Le propos est rude, mais il fait écho à une réalité que les agriculteurs du Pays voironnais vivent au quotidien. C'est la raison pour laquelle les Jeunes Agriculteurs de la Valdaine et du canton de Pont de Beauvoisin ont décidé de faire entendre leur voix. Mais plutôt que de se lamenter en regrettant un temps qu'ils n'ont pas connu, ils comptent interpeler leurs contemporains et leur faire prendre conscience des enjeux de l'agriculture d'aujourd'hui. Quitte à susciter le débat. Profitant de l'été, les JA organisent un important comice agricole les 16 et 17 août, ce qui ne s'était plus fait dans le canton depuis 20 ans. Baptisée « Terre de sens », la manifestation s'affiche pleine de sens à tous les sens du terme. « Il s'agit de promouvoir notre métier auprès du grand public et de montrer ce que nous savons faire en agriculture », indique Rémi Clavel, jeune agriculteur en polyculture-élevage et conseiller municipal à La Bâtie-Divisin. Outre les traditionnelles animations propres à ce type d'événement agricole (voir programme), les JA ont souhaité placer la fête sous la bannière du « patrimoine agriculturel », histoire d'impliquer le grand public dans une histoire en pleine (r)évolution.
Le patrimoine, notion complexe
L'initiative ne doit rien au hasard. Françoise Soullier, la nouvelle présidente des JA, se dit très attachée à cette thématique, « parce que c'est un biais par lequel on peut créer du lien dans les territoires ». En fine politique, la jeune syndicaliste souligne que le patrimoine est une « notion complexe » qui témoigne « de phénomène sociaux pour lesquels il est important de garder un souvenir physique ». Qui ne s'est jamais extasié devant un vieux corps de ferme en pisé ou un antique tracteur délaissé au coin d'un champs ? Les JA entendent profiter de cet appétit pour l'ancien : avec « Terre de sens », ils entendent communiquer sur l'évolution des pratiques agricoles, en mettant l'accent sur la manière dont les agriculteurs ont su s'adapter à la demande politique et sociétale du début du XXème siècle jusqu'à nos jours. L'idée n'est pas de « muséifier » ou d'idéaliser un « avant », un « autrefois » paré de toutes les vertus, mais bien d'engager le dialogue entre les générations et entre les habitants d'un territoire, qu'ils soient « néo » ou non. « Les jeunes n'ont pas forcément conscience de la valeur de ce patrimoine, qui n'est pas seulement représenté par le bâti, mais aussi par le façonnement du paysage, explique Françoise Soullier. Bien qu'il ait évolué, il y a des traces à conserver. C'est une approche à laquelle nous souhaitons sensibiliser les habitants et les élus. Les gens analysent souvent le rapport au paysage en termes de cadre de vie. Mais il y a des agriculteurs qui sont derrière. » Et qui espèrent bien construire des passerelles entre deux mondes qui s'ignorent.
Marianne Boilève
Débat
Nouer le dialogue avec les élus
Pour sensibiliser les élus à leur(s) cause(s), les JA invitent les représentants de trois communautés de communes (Pays voironnais, Vallon du Guiers et Bourbre-Tisserands) à participer à un débat intitulé « Ruralité en mutation et nouveaux enjeux agricoles ». Pour Françoise Soullier, ce débat est plus qu'une simple prise de contact avec les acteurs du développement et de l'aménagement territorial : « Il s'agit avant tout de recréer du lien. Souvent, les jeunes ont peur de ne pas être compris : beaucoup disent qu'aller voir les élus locaux, ça ne sert à rien. Mais il est important d'apprendre à se connaître et de permettre aux élus de prendre conscience de nos problématiques. » Animé par Didier Villard, éleveur à Torchefelon et vice-président de la chambre d'agriculture, le débat sera entrecoupé de courtes séquences filmées, exposant différents témoignages sur la profession agricole. Autant de propos qui permettront aux participants de créer ou de conforter des liens stratégiques pour le développement des territoires ruraux.Ruralité en mutation et nouveaux enjeux agricoles, projection-débat, samedi 16 août, 15 heures
Programme
Terre de sens, le comice pour tous
Du samedi 16 août (14 h-18 h) au dimanche 17 août (10 h -19 h) au hameau de la Chapelle (La Bâtie-Divisin).ExpositionsMatériels anciens et actuels : pour retracer l'évolution des pratiques et de la mécanisation depuis le début du XXème siècle. A cette occasion, les collectionneurs de tracteurs anciens proposeront un petit concours de labour catégorie "Vieilles charrues". Le public sera invité à voter pour la machine la plus belle, la plus efficace, la plus rigolote?
Paysage rural et pratiques agricoles : deux expos photos pour comprendre l'évolution du territoire et des pratiques agricoles sur un siècle.
Battage et conditionnement : un pas de géant ! L'Association Les Amis de la batteuse retracent les différents modes de récolte, de conditionnement et de stockage : dimanche de 10 h à 17 h.Animations
Concours cantonnal de labour : samedi, de 14 à 17 h, épreuve suivie d'une remise de prix.
Finale départementale de labour : accueil des concurrents et essais le dimanche matin, concours de 14 à 17 h, remise de prix à 18 h.
Messe des laboureurs et baptême des tracteurs : dimanche de 10 h 30 à 12 h.
Pulling de tracteur de série : samedi et dimanche.
Traction animale/traction mécanique (démonstration de hersage) : dimanche de 10 h à 17 h.
Jeux interactifs de type intervillage (tir à la corde, slalom de paille, bidon de lait, tir de tracteur?) : dimanche de 14 à 17 h.Pôle Enfant
Comment imagines-tu les tracteurs du futur ? Atelier et concours de dessins pour les enfants
A la découverte des semences : jeu pédagogique « de la graine à l?assiette » pour comprendre le fonctionnement des semences.
Circuit de tracteur à pédaleProjection-débat
Ruralité en mutation et nouveaux enjeux agricoles : samedi à 15 hRepas
Repas-dansant le samedi soir dans la salle communale de La Bâtie-Divisin (20 €, sur réservation)
Repas de terroir sous chapiteau dimanche midi (14 €, sur réservation)