Trois députés sur 10 intéressés par la crise agricole

Ce n'était pas leur première rencontre. Erwann Binet et Alain Moyne-Bressand, tous deux députés de l'Isère, avaient déjà été interpellés cet été par les agriculteurs sur la crise qu'ils vivaient et le désarroi qu'ils connaissaient. Seulement voilà, sept mois ont passé et personne n'a pu noter la moindre amélioration. « Toutes les productions sont en plein marasme », alerte Jérôme Crozat, éleveur laitier et céréalier à Janeyrias et également secrétaire général de la FDSEA de l'Isère. « Pour l'instant, nous n'avons pas voulu manifester. Mais nous voulons savoir ce que vous avez fait depuis l'été dernier en tant que députés de notre département ». La question est simple. La soixantaine d'agriculteurs venue dans l'exploitation laitière de Laurence et Jérôme Laval à Luzinay à l'appel de la FDSEA, attendait des réponses.
Trésorerie absente
Les chiffres et les témoignages qui illustrent la crise vécue ne manquent pas. Sur les 700 tonnes de lait produites en 2015, les Laval ont perdu chaque mois 30 euros pour 1 000 litres. « C'est plus que notre salaire. Sur le long terme, ce n'est pas tenable », commente Jérôme Laval. « Et la situation est bien pire chez les jeunes installés. Avec les investissements qu'ils ont réalisés, le différentiel n'est pas de 30 euros, mais de 60 », souligne Jérôme Crozat.
Même configuration au Gaec du Serpaton à Saint-Paul-les Monestier où se déroulait en parallèle à celle de Luzinay, une rencontre entre des agriculteurs, Pascal Denolly, président de la FDSEA en tête, et la députée Marie-Noëlle Batistel. Avec 34 000 euros de chiffres d'affaires en moins en 2015 (une partie résultant du report de paiement des aides Pac) l'exploitation a connu un véritable trou d'air de trésorerie. « Nous n'avons pas pu réparer des pannes matérielles en pleine saison, souligne Pierre Girard. Une fragilité supplémentaire dans l'activité quotidienne.»
« Nous avons fait une croix sur nos salaires. Ce sont nos femmes qui nous font vivre. Pourquoi sommes-nous la seule corporation à avoir le droit de vendre à perte ? Nous voulons simplement vivre de notre métier. Quand on nous propose d'étaler notre endettement sur 25 ans, il faut être sérieux. Dites-nous plutôt d'arrêter », s'insurgent les jeunes agriculteurs présents à Luzinay. Les prix trop bas, les coûts salariaux, le manque de compétitivité par rapport à nos voisins européens, les normes qui s'accumulent, le rapport de force inégal avec les industriels et la grande distribution : autant de difficultés identifiées depuis longtemps par les agriculteurs, qui n'en peuvent plus d'attendre la fin d'une crise concernant toutes les productions dont ils ne voient pas l'issue.
« Quand on parle de charges excessives, on peut parler de la surtransposition des normes, illustre en écho Pascal Denolly à Saint-Paul-les-Monestier. La directive nitrate n°5 est un bon exemple. On va exiger des éleveurs des capacités de stockage d'effluents supplémentaires. Je suis désolé, cela coûte 100 000 euros par tranche de 500 000 litres de lait. Je n'ai jamais vu une rentabilité à ce type d'investissements. »
Ce n'est pas le seul grief que la FDSEA fait aux pouvoirs publics : « De grands pays producteurs de lait en Europe ont des coûts du travail plus bas que les nôtres. Le travail en France est surtaxé par rapport au capital, souligne Pascal Denolly. Il faut alléger ce coût de la main-d'œuvre tout au long de la chaîne, de la production à la transformation. Attention, je n'ai pas dit qu'il fallait toucher au Smic ou baisser les salaires. Je parle de financer différemment les charges sociales. La FNSEA défend une TVA sociale. Elle a été refusée récemment par les parlementaires. Très bien. C'est donc au législateur de trouver des solutions de financement. Sur ce point, nous n'avons pas de réponse de leur part. »
Pas convaincus
A Luzinay, ayant déjà saisi la gravité de la situation, les deux élus présents se sont montrés attentifs à ces appels au secours. Erwann Binet a insisté sur la nécessité « de mettre en œuvre une réforme structurelle qui permette à la profession de s'organiser, et une plus grande justice dans la chaîne de production ». Il a tenté de mettre en avant la baisse des cotisations sociales annoncée la veille par François Hollande, et sur le contenu de la future loi Sapin 2. Il s'est engagé aussi à faire remonter, une nouvelle fois, les demandes de la profession auprès de Stéphane Le Foll et de l'Assemblée Nationale et d'aller voir les entreprises Danone et Sodiaal (Yoplait), présentes dans la circonscription. Quant à Alain Moyne-Bressand, membre de l'opposition, il s'est montré dans son rôle en soulignant que rien n'avait été fait pour améliorer la condition agricole. Il a répété qu'il fallait « prendre des mesures profondes et arrêter de mettre des emplâtres sur des jambes de bois ». L'assemblée ne s'est pas laissée convaincre, rétorquant que les normes s'enchaînent depuis plusieurs mandats et que, tant les gouvernements de droite que de gauche ont participé à leur empilement. Les agriculteurs isérois en attendent plus. Il en va de leur survie.
Isabelle Brenguier et Jean-Marc Emprin