Un marché qui joue gros

Il revient de loin. Depuis quelques mois, le marché d'intérêt national de Grenoble (Min) semble sortir du coma. Créé il y a 50 ans pour rationnaliser l'approvisionnement de Grenoble en fruits et légumes, le marché de gros, sous régime municipal, était considéré il y a peu comme moribond. Le projet de supprimer le périmètre référence interdisant aux grossistes de s'installer à proximité des Min devait signer son arrêt de mort. Il n'en a rien été. Le marché de Grenoble a même l'air de trouver un nouveau souffle. Certes, au petit matin, sa voûte ne résonne plus des clameurs des grossistes, les montagnes de cageots ne sont plus que des collines et nombre de rideaux de fer restent obstinément fermés. Mais l'institution de la rue des Alliés est en train de se dessiner un avenir. Discrètement.
Deux nouveaux grossistes
Le frémissement s'est manifesté l'an dernier, avec une hausse sensible de la fréquentation. Le nombre de cartes d'abonnement « acheteurs » n'a pas encore retrouvé son niveau d'il y a 15 ans (117 en 2012 contre 270 au tournant des années 2000), mais il progresse. De même pour le nombre d'entrées payantes journalières (1268 en 2012, soit 20 % de plus qu'en 2010). L'interminable descente aux enfers, amorcée dans les années 90, marque un temps d'arrêt. Est-elle pour autant stoppée ? Peut-être... La direction annonce l'installation de deux grossistes d'ici la fin de l'année, un caviste et un fleuriste, et se démène pour trouver de nouveaux négociants. Une association de producteurs bio se déclare également intéressée... Et si le chiffre d'affaires total des opérateurs est en baisse (69,5 millions d'euros en 2012 contre 71,3 en 2011), l'activité repart en douceur.
Au vu de ces données, Bernard Colonel-Bertrand, le nouveau directeur de l'établissement (1), affiche son optimisme : « Le Min, c'est cinq hectares au cœur de Grenoble, de véritables professionnels qui connaissent le métier et travaillent le produit de A à Z. C'est là-dessus que nous devons jouer pour attirer de nouveaux clients, à commencer par les artisans et les restaurateurs qui sont à la recherche d'une offre de service plus complète. » Fils de traiteur, ancien grossiste lui-même, Bernard Colonel-Bertrand fréquente la « voûte » depuis des années. Il connaît bien le décor... et l'envers du décor : « Le Min n'a pas su anticiper l'accélération du changement de mode consommation des ménages, analyse-t-il. Il n'a pas su non plus prendre le virage imposé par les modes de commercialisation, qu'il s'agisse des grandes surfaces ou de la livraison à domicile. Ajoutez à cela la disparition de nombreux grossistes, et vous avez un marché de gros avec une offre qui se réduit, entraînant un manque de concurrence, de volume et de complémentarité des produits sous la halle. »
Plateforme logistique alimentaire
Ce diagnostic posé, l'ex-grossiste en fruits et légumes est arrivé à la tête du marché de gros avec un projet ambitieux : faire du Min une plateforme logistique alimentaire, une sorte de centrale d'achat, mais en hyper local. Un vrai défi : « Le problème, c'est que pour le relancer, il faut trouver de nouveaux grossistes et de nouveaux clients. Mais pour trouver de nouveaux clients, il faut de nouveaux grossistes et pour convaincre de nouveaux grossistes, il faut de nouveaux clients. C'est le chien qui se mord la queue. » Bernard Colonel-Bertrand ne s'avoue pas vaincu pour autant. Des idées, il en a. De la volonté et du bagout aussi. Chaque jour, il descend sous la « voûte », côtoie ses anciens collègues, recueille leurs doléances, les bouscule, les pousse à s'impliquer... Il passe également beaucoup de temps à voir ce qui se fait de bien ailleurs, chez les collègues, rencontre les chambres consulaires, les services de la Ville, démarche grossistes et producteurs. « Aujourd'hui, il faut qu'on se déguise en commerciaux, assène-t-il. C'est à nous de vendre notre « produit », à nous d'inciter les professionnels à venir ici. »
Une nouvelle offre de services
Mais pour cela il faut une boussole, une feuille de route. D'où l'élaboration d'un projet d'entreprise, tenant compte des faiblesses du marché de gros (outil vieillissant, limité en surface, peu visible, soumis à rude concurrence...) et de ses atouts (attachement des opérateurs actuels, positionnement stratégique au cœur de l'agglomération grenobloise, implication de la municipalité de Grenoble...). L'idée est de faire du marché de Grenoble « un outil au service d'une politique d'aménagement durable du commerce de proximité », annonce le directeur. Sa stratégie est globale. Elle intègre des offres de services nouvelles, une rationalisation des coûts, des travaux de réhabilitation, une modernisation de l'accès au Min ainsi qu'un toilettage des règles de fonctionnement. Parmi les nouvelles prestations qui pourraient bientôt être offertes, la direction propose la mise en place d'une logistique mutualisée qui permettrait de réduire considérablement le nombre de camions de livraison circulant dans l'agglo. Elle envisage également une station-service pour poids-lourds, l'aménagement d'aires de stationnement équipées d'un branchement électrique pour les commerces non sédentaires, une déchetterie, ainsi que l'aménagement des locaux commerciaux situés à l'étage pour accueillir des entreprises tertiaires en lien avec les activités des opérateurs du MIN (cabinet comptable, assurances, sociétés de conseil...). Et pour promouvoir la production de l'Y grenoblois, véritable dada du directeur du Min, il est question de lancer un label d'identification de la production locale, un peu comme ce qu'a fait le Min de Lomme (Nord) avec le label Asha (2). A condition que les producteurs acceptent de jouer le jeu...
(1) Il a pris ses fonctions en mai dernier.
(2)Action sécurité et hygiène alimentaire.
Marianne Boilève
50 ans gourmands
Vendredi 25 octobre, le Min invite les professionnels des métiers de bouche (grossistes, producteurs, artisans, restaurateurs...) à venir souffler ses 50 bougies. Dès 6 heures du matin, les visiteurs pourront déguster les produits travaillés par les acteurs du marché de gros. Vins, fromages, boudin, marrons grillés, soupe de potiron, fruits, légumes, fontaine de chocolat : il y en aura pour tous les goûts et tous les appétits. Quelques restaurateurs isérois improviseront sur place une cuisine de marché... de gros. Après les discours de Michel Destot, maire de Grenoble, et Jacques Thiar, président du Min, un buffet sera offert par la Ville.MB