Accès au contenu
Agro-alimentaire

Un pôle agro-alimentaire pour promouvoir l'Isère

Alors que l'agglomération grenobloise est plutôt bien équipée en outils de transformation et de distribution, les producteurs locaux peinent à satisfaire la demande. La création d'un pôle agro-alimentaire résoudrait-elle le problème ?
Un pôle agro-alimentaire pour promouvoir l'Isère

Une légumerie, un abattoir, un marché d'intérêt national (MIN), deux plates-formes de commerce de gros, trois coopératives laitières (1)...

Pour un bassin de population de près de 450 000 habitants, la métropole grenobloise est plutôt bien outillée. Trop bien ?

Certains le pensent, au vu du volume d'argent public injecté dans certains outils au titre du soutien aux services d'intérêt collectif.

Pourtant, si bien équipée soit-elle, l'agglomération peine à satisfaire la demande des habitants en produits locaux. Où est-ce que ça coince ? Est-ce une question d'offre ? Un problème de prix ? De réglementation ? La distribution doit-elle être améliorée ?

Pour répondre à ces questions, et surtout trouver des solutions concrètes, Grenoble Alpes métropole a lancé en septembre dernier une vaste réflexion collective sur « la mise en œuvre d'une politique agricole intégrée dans le territoire directement liée à la demande alimentaire des habitants ».

Entre autres problématiques abordées, la « garantie de l'approvisionnement des habitants du territoire en produits de qualité » et la « création d'emplois et de valeur ajoutée non délocalisables ».

Pour répondre à la demande en produits locaux de qualité, élus et professionnels estiment que l'Isère doit s'équiper d'un pôle agro-alimentaire.
Crédit photo : Nathalie Roche En dépit de ses efforts, le directeur du MIN peine à recruter des producteurs sous la voûte.

Booster la production locale

Sur le papier, l'équation est simple. Les produits existent et la demande est là : reste à les mettre en rapport.

Dans la vraie vie, ça se complique très vite. Manque de cohérence et absence de concertation dans la logistique de transport, logiques de territoire, inadéquation entre les volontés affichées des consommateurs (acheter du local) et leurs actes d'achat (recherche du produit le moins cher, calibré, sans tache ni défaut...), manque de compétitivité et de volume...

Dès que l'on creuse un peu la question, les obstacles surgissent plus rapidement que les solutions.

A l'heure où le président du Département affirme réfléchir à « la création d'un véritable pôle agro-alimentaire départemental », il n'est pas inutile d'examiner la place et le rôle de chaque équipement de transformation, de conditionnement et de logistique de l'agglomération grenobloise.

Reste à savoir si ces outils peuvent booster le développement d'une stratégie agricole et alimentaire et s'ils sont prêts à travailler ensemble, voire à mutualiser certains services.

Pascal Denolly, président de la FDSEA de l'Isère, y voit une belle opportunité : « Il faut qu'on aplatisse nos ego et qu'on bâtisse un projet qui ait pour ambition de servir plusieurs cibles en même temps, comme la restauration commerciale et la restauration collective. Mais la démarche doit dépasser le bassin grenoblois : il faut promouvoir l'Isère au-delà des marques de qualité qu'on a aujourd'hui. »

Alors que ces questions ont depuis longtemps été résolues ailleurs, notamment à Lyon-Corbas, l'Isère semble tergiverser.

« Les outils stratégiques qui marchent ailleurs ont été fortement soutenus par le politique. Dans ce genre de dossier, le consensus et l'impulsion sont fondamentaux », analyse Geoffrey Lafosse, chargé de filières et des circuits courts à la chambre d'agriculture de l'Isère.

« Ça fait 15 ans qu'on tourne autour du pot à propos des outils de transformation, renchérit Gérard Seigle-Vatte, maire de Paladru et conseiller en charge de l'agriculture au Pays voironnais. A un moment donné, il faut trancher. Si on veut un vrai pôle alimentaire, il faut que chacun y mette du sien. Quitte à faire certains sacrifices... »

Par « sacrifices », l'élu entend le regroupement de la légumerie et de l'abattoir sur le site du Fontanil. Mais il est également convaincu qu'« entre le MIN et l'abattoir, il y en a un de trop », sa préférence allant à « un vrai pôle alimentaire au Fontanil, avec un système de redistribution et une logistique adaptée ».

C'est également l'option envisagée par le président du Conseil départemental qui, en séance publique, a défendu l'idée d'un investissement massif dans l'abattoir pour le transformer en pôle agro-alimentaire « avec des salles de découpe [de façon à] permettre aux éleveurs de venir abattre et de transformer ce qui est abattu ».
« Pour la légumerie, c'est pareil : ici ou ailleurs, il faut quelque chose de départemental, poursuit Jean-Pierre Barbier. Mais on peut aussi aller plus loin, avec tout ce qui concerne l'approvisionnement en produits laitiers... »

Le local, ça se paie!

Qu'en pensent les professionnels ? Pour eux, la question n'est pas tant de savoir s'il faut conserver ou non tel ou tel équipement, mais plutôt de faire tourner leur entreprise.

Alors que les élus parlent de « mieux articuler les outils » pour « répondre au mieux aux attentes des producteurs et des consommateurs », voire de « les connecter via une plate-forme virtuelle » comme le suggère Jean-Claude Darlet, le président de la chambre d'agriculture, les producteurs, eux, pointent la question - cruciale - de la juste rémunération.

La situation du MIN est presque un cas d'école. « Nous avons une forte demande de la part de la restauration commerciale, mais nous ne pouvons pas la satisfaire, indique son directeur. Ça me fait mal de voir que les grossistes sont obligés d'aller chercher la marchandise ailleurs. J'entends les élus parler de développer l'offre locale. C'est très bien, mais il y a un frein : les producteurs ne veulent pas venir sous la voûte. »

Depuis plusieurs mois, Bernard Colonel-Bertrand a beau multiplier les initiatives pour adapter son offre de services aux usages d'aujourd'hui (box fermier, logistique du dernier kilomètre, livraison mutualisée...), ses efforts restent vains : les producteurs locaux ont trouvé d'autres débouchés.

« Les grossistes ont pris la place des producteurs qui sont partis et ont trouvé d'autres marchés, avec davantage de valeur ajoutée », explique Geoffrey Lafosse, chargé de filières et des circuits courts à la chambre d'agriculture de l'Isère.

Michel Guillerme, maraîcher et président du Syndicat des producteurs de la ceinture verte grenobloise, confirme : « Les gens veulent du local dans leur assiette, mais il faut le payer ! Ça ne coûte pas moins cher parce que c'est produit localement, au contraire : ça peut coûter plus cher parce que la production est légère et que nous n'avons pas les quantités pour faire des économies d'échelle. »

Théo Lewin, qui travaille à la légumerie, ne dit pas autre chose : « Le produit local implique un prix qui n'est pas le même qu'en production industrielle : les coûts de production et de transformation sont supérieurs. La légumerie a besoin de volume pour pouvoir baisser ses prix : il y a un cercle vertueux à mettre en place avec les filières locales. »

Mais l'ensemble des acteurs, à commencer par les élus et les consommateurs, sont-ils prêts à jouer le jeu ?

Marianne Boilève

(1) Promocash et Métro pour l'approvisionnement de gros ; Vercors Lait, la coopérative des Entremonts et la laiterie du mont Aiguille pour les coopératives laitières.

 

VIDEO/Pour ou contre un pôle agro-alimentaire en Isère ? Réponses des professionnels et des élus

 

La commande publique, starter du pôle alimentaire ?

« On peut trouver très rapidement des accords et des marchés pour développer les produits locaux », affirme le président du Département en séance publique.
En théorie, oui. C'est d'ailleurs ce que prônent les préfets et les élus partout en France.
D'où les projets de  légumerie et d'un pôle de découpe aux abattoirs, soutenus par les collectivités locales, pour répondre, notamment, aux cahiers charges de la restauration collective.
Mais si la commande publique peut aider à consolider des filières locales et développer un pôle alimentaire départemental (encore faut-il lever pas mal de freins...), est-ce suffisant pour soutenir l'agriculture locale ?
« On ne peut pas tout axer sur la commande publique,
rappelle Jean-Yves Josserand, élu à Saint-Martin-d'Uriage. Ça peut jouer le rôle de starter, mais il faut aussi aller vers les consommateurs. » Qui, eux, comparent les étiquettes et rechignent à acheter des produits présentant le moindre défaut.
« Aujourd'hui, le consommateur est bien trop éloigné de la terre,
estime Michel Guillerme, maraîcher à Tullins qui écoule sa production au MIN. Il faut tout reprendre à la base, remettre dans le circuit des professionnels qui connaissent la marchandise, payent le juste prix et soient capables d'expliquer à leurs clients que s'il y a un puceron dans une salade, c'est qu'elle n'a pas été traitée. Si on n'a plus cette épée de Damoclès au niveau des traitements et des calibrages, on aura un meilleur produit, qu'on vendra moins cher et il y aura un moins de gaspillage. Mais aujourd'hui, tout cela, c'est un doux rêve... »
MB