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Commerce de détail

Un primeur, meilleur ouvrier de France aux portes de Grenoble

Officiellement consacré meilleur ouvrier de France le 10 mars dernier, Maxime Lafranceschina, primeur à Seyssinet (Isère), ne jure que par le "bon" et le "bien" produit. Et défend ardemment les producteurs qui lui ont permis de se hisser aussi haut.
Un primeur, meilleur ouvrier de France aux portes de Grenoble

« Bonjour madame Alice ! » Affable, Maxime Lafranceschina interrompt sa mise en place pour saluer sa cliente. Quand on est MOF (meilleur ouvrier de France), on ne connaît pas seulement ses gammes légumières sur le bout des doigts : on a aussi en tête le nom de tous ses « fidèles ». En ce mardi matin, calme et gris, le commerçant accueille chacun avec un sourire, un petit mot gentil. L'atmosphère est tranquille, sereine, propice à la flânerie. Les clients, peu nombreux à cette heure, déambulent entre les étals de fruits – à gauche les pommes, à droite les poires, au centre les fraises de Provence et les sacs de noix (de Grenoble). Au fond, les fromages. Sur la droite s'ouvre l'antre des légumes, séparés des fruits par un mur d'épicerie fine. Poireaux, carottes, fenouils, courgettes, laitues et chicorées attendent sagement le chaland. Au-dessus de ce petit peuple de feuilles et de racines trône, royale, la balance du grand-père. Maxime l'a conservée en souvenir du temps où le fondateur de la dynastie n'était pas encore « sédentarisé ». Maxime aussi a des racines. Et il les revendique.

Maxime Lafranceschina, épaulé par sa mère et son épouse, mène d'une main de MOF son magasin de Seyssinet. Le primeur s'est peu à peu agrandi, proposant épicerie fine, fromage, charcuterie et désormais poisson en fin de semaine.

Coup d'œil expert

Poussant son minuscule chariot, Catherine fait son marché avec gourmandise. Elle vient régulièrement chez Charly primeur parce que « les étalages sont beaux et que ça donne envie ». Alentour, les Lafranceschina (Maxime, sa femme, son père et sa mère) s'activent tranquillement, approvisionnant les étals, redressant un antique Popeye au bord d'une montagne d'épinards. Chacun s'assure qu'aucun fruit ou légume en rayon ne présente le moindre défaut ou que les clients ne se sentent pas démunis face à un produit ou en manque d'inspiration. Un avocat pour samedi ? Un coup d'œil expert, deux pressions du doigt : « Voilà, prenez celui-là. » Dans cette famille, être primeur n'est pas un métier, c'est un art. Un art que l'on se transmet de père en fils depuis trois générations. C'est pour cela que les clients viennent.
Et reviennent. Benjamin est descendu tout exprès de La Combe-de-Lancey. Le jeune papa n'a pas hésité à parcourir 33 kilomètres pour faire son marché à Seyssinet, dans cette halle un peu spéciale qui se dit « maison de confiance depuis 1973 ». Pourquoi une telle expédition ? « Parce que c'est eux... Pour leur gentillesse, leur disponibilité et la qualité de leur conseil », explique-t-il avant d'ajouter : « Et puis je trouve important de valoriser le savoir-faire français et de montrer à mon petit garçon à quoi ressemble un Meilleur ouvrier de France. »

Une grande partie des approvisionnements de Charly primeur vient des maraîchers de l'Y grenoblois. Fromages locaux font aussi partie de la sélection de Charly primeur.

Radis de Tullins

De prime abord, Un MOF, ça ressemble à un homme normal. Mais il suffit de discuter radis, pomme ou chicorée avec Maxime pour comprendre qu'à l'intérieur, dans le cœur et la tête, ça tourne de bien étonnante façon. Chez lui, tout est - ou doit être - irréprochable. Les cageots de blettes ou de radis du pays (Tullins, Gières, Muriannette...) comme les ananas du Bénin. C'est une question d'éthique. « Nos clients sont soucieux de la qualité des produits qu'ils consomment. Ils trouvent ici ce qu'ils ne trouvent pas ailleurs. » Comme son grand-père et son père avant lui, Maxime sait qu'il n'a pas le droit de décevoir. Car son métier ne s'arrête pas à la connaissance de la saisonnalité ou du nombre de fruits dans un kilo de poires. « La technicité du métier est souvent méconnue, se désole-t-il. Il faut savoir proposer un fruit à bonne maturité, être capable de présenter ou de découper les produits de manière brute ou artistique, conseiller les gens en fonction de leur goût. Pour acquérir toutes ces connaissances, il n'y a pas d'école, si ce n'est celle de la vie. »

Un box fermier au Min

Maxime a donc tout appris sur le tas, avec ses parents d'abord, puis avec les dizaines de producteurs qu'il côtoie au fil de ses tournées. Ce qui guide ses achats, c'est « la qualité intrinsèque des produits : leur valeur gustative et la manière dont ils ont été produits ». Le prix vient après. Apôtre du bien manger, le professionnel voue un véritable culte au Min de Grenoble (marché d'intérêt national) qui lui « facilite la vie » en lui permettant d'échanger en direct avec les producteurs de l'Y grenoblois. Il attend d'ailleurs beaucoup du futur box fermier qui doit ouvrir ses portes sous la voûte d'ici la fin de l'année. Pour le reste de la gamme, il s'approvisionne au Min de Châteaurenard (pour les fruits à noyaux), sur le marché de gros de Lyon-Corbas et à Turin. La qualité est à ce prix. « Je parcours 70 000 kilomètres par an pour faire mes achats et j'achète 100% de mes produits de gré à gré, sans intermédiaire. »

La satisfaction du client, obsession de Maxime Lafranceschina, primeur à Seyssinet (Isère).

Quand on lui demande quelle est la chose la plus importante que lui a appris son père, il répond, sans hésiter : « La satisfaction du client. Se lever à une heure du matin pour aller à Châteaurenard, ce n'est pas difficile. Mais décevoir un client, c'est ce qu'il y a de pire, parce que cela veut dire que vous avez échoué dans la totalité des démarches que vous avez entreprises. » Démonstration : demandez au meilleur ouvrier de France de quoi faire une salade de framboises pour dix personnes ; il ne refusera pas de vous les vendre, mais il corrigera le tir en douceur et vous orientera plutôt vers d'exquises fraises de saison : « C'est moins cher et tout aussi bon. » Chez Maxime, cela s'appelle le savoir-vivre.

Marianne Boilève

Innover pour durer

Si la qualité explique en grande partie le succès de son entreprise, Maxime Lafranceschina s'efforce d'adapter son offre en permanence. Nouveaux produits, nouveaux services, nouveaux rayons : tout est fait pour répondre au plus près à une demande en constante évolution. Fort de l'expérience de son père, des retours de sa mère qui, à la caisse du magasin, se trouve « aux avant-postes », et de son propre intérêt pour les nouvelles technologies, le jeune entrepreneur met un point d'honneur à réagir très vite à la demande. C'est ainsi qu'il a ouvert un rayon fromage et charcuterie, s'est lancé dans l'épicerie fine et a même aménagé un espace poissonnerie qui ouvre en fin de semaine. Depuis quatre ans, Charly primeur propose également un service « drive » qui permet aux clients de commander en ligne et de retirer leurs achats en magasin, ainsi que des livraisons à domicile. Au fil des années, le petit primeur du coin s'est ainsi transformé en véritable halle multiservices. Un boucher l'a remarqué, qui s'est installé en face de chez lui. A la grande satisfaction de la clientèle.
MB

 

MOF, la consécration d'une carrière

Au Min de Rungis, Maxime Lafranceschina représente avec fierté le métier de primeur.
Consacré Meilleur ouvrier de France catégorie primeur en 2015 (1), Maxime Lafranceschina a désormais une lourde charge : celle de transmettre son savoir-faire et de valoriser la profession auprès du grand public. Si, officiellement, ce diplôme national, « atteste l'acquisition d'une haute qualification dans l'exercice d'une activité professionnelle », il n'est pas sans répercussion sur la santé de l'entreprise. « Par rapport aux clients, l'impact est énorme, reconnaît le jeune diplômé. Ça nous amène des gens qui sont très soucieux de la qualité de ce qu'ils mangent et qui peuvent parfois venir de très loin. »
MB
(1) Sur les 14 candidats de l'épreuve, seuls cinq ont été consacrés. Le concours, qui nécessite deux ans de préparation, dure cinq heures et se déroule au salon de l'agriculture.