Un rempart législatif contre la consommation masquée des terres agricoles
Le 11 mars 2025, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi contre la consommation masquée du foncier agricole, un phénomène qui prend de l’ampleur en France depuis déjà plusieurs années. Entretien avec Alexis Marze, directeur adjoint de la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) Auvergne-Rhône-Alpes.

À quel phénomène correspond la consommation masquée de terres agricoles ?
Alexis Marze : « Nous connaissons la consommation liée à l'artificialisation, pour pouvoir réaliser des aménagements, des infrastructures, qui urbanisent des terres, qu'elles soient naturelles ou agricoles. Cette artificialisation est identifiée et qualifiée depuis longtemps, nous savons qu’elle supprime de façon presque définitive ces surfaces d’espaces agricoles et naturels. La consommation foncière masquée, elle, ne correspond pas à une perte définitive d'usage mais plutôt à un détournement d’usage naturel des terres, pour un usage récréatif, de loisirs, ou parfois à des fins non prévues par les documents d’urbanisme, comme des espaces de cabanisation, des décharges sauvages… Progressivement, l’espace agricole est grignoté par différents usages, notamment de loisirs, en périphérie des habitations. Le phénomène est devenu plus important que l’artificialisation, il s’est développé notamment depuis la crise sanitaire, avec ce besoin d’espace et de trouver des surfaces pour un usage personnel à titre de loisirs. Alors certes, c’est une perte d’usage agricole potentiellement réversible. Mais pour autant, ces surfaces sont susceptibles de sortir de l'agriculture ou des espaces naturels. De 2019 à 2023, ce sont 4 873 hectares par an qui ont été retirés à l’usage agricole en Auvergne-Rhône-Alpes, contre 3 088 pour l’artificialisation. »
Comment la Safer intervient-elle sur les ventes de terrains et quelle est sa capacité d’action ?
A.M. : « À la Safer Aura, chaque année, nous observons entre 50 000 et 60 000 transactions foncières en milieu rural sur l'ensemble de la région. Nous avons l’information des ventes prévues dans les espaces ruraux ou périurbains grâce aux notaires. Lorsque l'on identifie les transactions, nous distinguons le type d'acquéreur et le type de bien, ce qui nous permet d'identifier les risques de consommation masquée. Ainsi, nous contactons le notaire, le vendeur et l’acquéreur pour trouver un compromis. L’objectif est de sensibiliser les acquéreurs à l’importance de conserver l’usage agricole des terrains, sans bloquer leur capacité à acheter. Ce processus s’accompagne souvent d’un cahier des charges pour encadrer la vente. Si nous ne sommes informés qu’après conclusion de la vente, nous avons un droit de préemption, mais cela reste un dispositif lourd et très coercitif, ce n’est pas ce que nous recherchons en premier lieu. Depuis une dizaine d’années, nous avons mis en place des indicateurs qui permettent d’identifier la consommation masquée, de suivre son évolution, afin de la mettre en évidence auprès de nos interlocuteurs, qu'il s'agisse de la profession agricole ou des collectivités. »
Comment la proposition de loi participerait à réduire ces pertes de foncier agricole ?
A.M. : « Il y a des outils pour réduire les risques, mais ils ne sont peut-être pas suffisants. Un cadre législatif pourrait renforcer cette capacité à maîtriser le devenir de l’usage des terres vendues, c’est ce que vise la proposition de loi qui a été adoptée en première lecture. Mais pour l’instant, elle n’est pas officiellement promulguée. Et si elle l’est, nous attendons de voir les changements qu’elle entraînera. Elle renforce notamment certains droits des Safer sur la question de la lutte contre la consommation masquée de foncier agricole. C’est un dispositif complexe, qui comprend un renforcement du droit de préemption et du droit de regard, qui, s’ils existent, nous permettent d’avoir un effet de levier. Mais ce sont des moyens coercitifs, et plutôt que d’entrer en opposition, nous souhaitons sensibiliser les nouveaux acquéreurs sur l’espace rural et ceux qui les accompagnent, nous travaillons en proximité avec les agences immobilières du marché rural. Nous dialoguons avec eux et les nouveaux acquéreurs pour informer, sensibiliser et avoir des engagements sur le long terme. Nous souhaitons trouver des solutions de médiation pour que les nouveaux habitants s’implantent sur le territoire et pour permettre aux agriculteurs de conserver le maximum de potentiel pour leurs exploitations. »
Propos recueillis par Charlotte Bayon
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