Une alternative heureuse à la maison de retraite

Depuis que les chèvres sont taries, ça va mieux. Eleveuse à Clelles, dans le Trièves (Isère), Emmanuelle Oddoz n'est pas du genre à compter ses heures, mais elle a souvent le sentiment de cavaler. Surtout l'été. Entre la traite, la fabrication des fromages, la vente et son métier d'accueillante familiale, la jeune femme a trouvé un bel équilibre de vie. « Ce sont deux activités qui demandent du temps et de l'attention », prévient-elle. Mais cet engagement, important, lui correspond bien : « Pour moi, il est important que chacun ait sa place. J'accueille des personnes âgées qui ne veulent pas aller en structure collective et qui souhaitent trouver quelque chose qui fasse sens pour elles. Et quand elles me disent qu'elles ont l'impression d'être une charge, je leur réponds qu'elles me permettent de vivre de mon métier d'agricultrice. »
Installée dans une petite ferme équipée de deux gîtes tout neufs, Emmanuelle n'a pas choisi cette vie au hasard. Fille d'agriculteur, elle a longtemps travaillé dans un foyer de personnes handicapées psychiques, où elle avait en charge la chèvrerie et la fromagerie. Suite à la suppression de cette activité et à son licenciement économique, Emmanuelle décide de poursuivre dans cette voie, mais en se mettant à son compte. « Je souhaitais me lancer dans une vraie production : je ne voulais pas que la ferme soit une vitrine », explique-t-elle. D'où le choix d'avoir « un troupeau à taille humaine » qui lui laisse suffisamment de temps pour s'occuper des personnes accueillies. Après un bon moment passé à se perdre dans les arcanes de l'administration pour résoudre la question de son statut, elle opte pour celui de cotisant de solidarité, obtient son agrément du Conseil départemental et se prépare à recevoir ses deux premiers « pensionnaires ». Le bouche-à-oreille aidant, deux charmantes vieilles dames se présentent tour à tour.
Service inestimable
L'accueil constitue désormais un complément de rémunération pour Emmanuelle qui, en plus de sa ferme et de son troupeau, veille sur Georgette et Yvettes 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Le service qu'elle rend est invisible et inestimable. Les deux vieilles dames trouvent au sein de sa ferme un rythme de vie, une qualité de liens, un art de vivre et une proximité avec la nature qui, à défaut d'être source d'autonomie (l'une des deux « accueillies » est très dépendante), leur procurent un bien-être évident. « Il existe une interaction entre les activités agricoles et d'accueil, observe Emmanuelle. Le fait d'aller à la traite par exemple constitue un rituel. C'est rassurant. Ça leur rappelle leur enfance et le monde qu'elles ont connu autrefois. » Certes, les deux dames sont bien incapables de participer aux travaux de la ferme. Qu'importe : elles ne sont pas là pour ça. Cela n'empêche pas Emmanuelle d'avoir « les yeux et le cœur grand ouverts » et d'être « très attentive aux petits plaisirs [qu'elle peut] leur octroyer ». Une conversation, une caresse, un morceau de musique, une balade, une visite chez une amie : les moments de complicité et de partage font partie du métier. « L'intérêt d'un accueil familial, c'est de partager les espaces et les temps communs. C'est un grand enrichissement réciproque. » Mais cela exige de l'organisation, une grande souplesse (il faut jongler avec les horaires des aides soignantes, des kinés...) et un sens aigu des responsabilités : « Nuits et jour, j'ai en tête le souci qu'elles soient au mieux », reconnaît Emmanuelle. Qui ne s'octroie guère de temps pour elle : ses derniers congés, il y a six mois, ont duré 50 heures.