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Cheval

Une filière un peu désarçonnée

Discrète, la filière équine, qui recouvre de multiples réalités, subit la crise de plein fouet. A l'occasion du salon Equita qui a ouvert ses portes à Lyon, coup de projecteur sur une profession qui en a plein les pattes.
Une filière un peu désarçonnée

Chez les Baras, on n'est pas du genre à mettre tous ses sabots dans le même panier. A la fois exploitants agricoles, fabricants de produits à base de lait de jument et gérants de centre équestre, Mélanie et Laurent portent une triple casaque bien utile dans un monde encore très cloisonné. « C'est un vecteur d'intégration indéniable », affirme Laurent Baras du haut de son tracto-pelle. Installé à Villard-de-Lans depuis 2010, le couple d'exploitants a racheté une ancienne école d'équitation pour pouvoir produire du lait de jument. S'il a su trouver sa place au sein de la communauté agricole, c'est grâce à son activité d'élevage de chevaux de race Haflinger et de production de lait. « Traire une jument trois fois par jour, ça parle à nos collègues éleveurs », relève Laurent qui reconnaît qu'il n'a pas vraiment le même type de discussions avec les responsables de club hippique qu'avec les agriculteurs : « Ce sont des mondes différents, avec des préoccupations et des problématiques différentes. » Une dichotomie que les éleveurs touchent du doigt lorsqu'ils se retrouvent au salon Equita, qui se déroule à Lyon jusqu'au 1er novembre. Là, c'est leur activité centre équestre qui les « crédibilise ». L'investissement est lourd en temps et en argent (le stand coûte environ 3 000 euros), mais il rapporte gros. « Si nous en retirons un bénéfice intéressant, le stand nous permet aussi de toucher une clientèle qui correspond bien à notre double activité ».

Mélanie Baras analyse le lait de ses juments.
Crédit photo : Perle de Jument

Le cas de Mélanie et Laurent est atypique, mais il illustre les multiples facettes de la filière équine iséroise, qui pèse un peu plus de 40 millions d'euros. Fort malmenée depuis trois ans, la filière cheval comprend 572 entreprises, réparties en différents secteurs d'activité dédiés pour tout ou partie à l'univers du cheval (éleveurs, établissements équestres, entraîneurs de chevaux de course, cavaliers professionnels, maréchaux-ferrants, vétérinaires, fabricants et distributeurs d'aliments ou d'équipement). En dépit d'une conjoncture difficile et d'une baisse sensible du nombre de licenciés (14 466 en 2010 et 13 868 en 2015), l'activité centre équestre continue de progresser doucement : avec 164 établissements recensés, l'Isère détient le palmarès du plus grand nombre de centres équestres en Rhône-Alpes. Cet engouement pour le cheval provient de la démocratisation de l'activité (« Une heure de cheval ne coûte pas plus cher qu'une heure de judo », soutiennent les professionnels), mais aussi de la proximité d'importants pôles urbains, comme Grenoble, et du développement exponentiel du nombre de challenges sportifs. « Organiser une compétition permet d'asseoir la notoriété des établissements », décrypte Juliette Revillion, chargée de mission auprès du Conseil de la filière cheval Rhône-Alpes. C'est ainsi que l'on compte plus de 10 000 épreuves sportives dans la région Rhône-Alpes, un chiffre en hausse de près de 40% depuis 2011.

Le cheval, un bien de consommation comme un autre ?

Pour ce qui est de l'élevage en revanche, la situation est tout autrement compliquée. La profession commence tout juste à se remettre d'une crise sans précédent. Qu'il s'agisse de cheval de selle, de sport ou de trait, toutes les activités d'élevage sont à la baisse. « Aujourd'hui, un cheval de sport, ça se vend aussi bien qu'un cercueil à deux places ! », ironise Monique Sattler qui, avec son mari, tient à bout de bras le Haras de Bonce.

Laboratoire où se préparent les inséminations.
Crédit photo: Haras de Bonce

En cause, les effets conjugués de trois phénomènes : la hausse spectaculaire de la TVA (1), la concurrence frontale des élevages européens (notamment allemands, hollandais et belges), et la garantie de conformité, inscrite dans le Code de la consommation, qui stipule que « le vendeur est tenu de livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance » pendant deux ans. Une disposition que certains consommateurs mal intentionnés ont mise à profit « pour monter un cheval durant une saison et s'en débarrasser ensuite », dénonce Monique Sattler, qui a elle-même essuyé « deux procès pénibles » pour cette raison. « La TVA, la concurrence, les procès, tout est arrivé en même temps, signale l'éleveuse. Et tout le monde s'en est pris plein la figure. » Les petits élevages, notamment chez les amateurs, n'ont pas supporté le choc et ont mis la clé sous la porte, d'où une baisse de 13 % du nombre de structures en Isère depuis 2011, surtout pour le « selle français ». D'autres ont leur chiffre d'affaires fondre de 50 à 80%. « Il a fallu faire le grand écart, confirme Monique Sattler. Nous, par exemple, nous n'avons pas répercuté la hausse de la TVA sur le prix de nos chevaux, ce qui a mangé toute notre marge. » Malgré cela, crise oblige, de nombreux haras peinent à trouver des acheteurs. Et quand ils les trouvent, ceux-ci ne veulent plus rémunérer le travail à son juste prix : ils veulent un cheval dressé et bon marché. Du prêt-à-consommer à bas coût, en quelque sorte. Les éleveurs double-actifs ou ceux qui ont su développer une activité annexe (pension, centre et/ou tourisme équestre, insémination...) résistent en « faisant le dos rond et en attendant des jours meilleurs ». Cette année, des « frémissements » d'activité se sont fait sentir. « Les gens sont revenus inséminer chez nous, témoigne Monique Sattler. On sent que ça repart. Nous sommes le baromètre du moral des Français. De la classe supérieure, bien sûr. »

Marianne Boilève

(1) De 2,10% pour les amateurs et de 5,5% pour les professionnels, la TVA appliquée sur la vente d'un cheval est passée à 20%.

 

La filière en Isère

La filière équine iséroise pèse 43,8 millions d'euros (385 millions d'euros à l'échelle régionale).
SAU : 11 719 hectares, dont 2 804 pour les centres équestres et 8 638 pour les éleveurs.
Nombre d'entreprises : 572, dont 287 éleveurs, 164 centres équestres et 58 fournisseurs.
Nombre moyen d'équidés par centre équestre : 30 (-10% en deux ans - chiffres Rhône-Alpes)
Nombre moyen d'équidés par élevage : 11, dont 2,2 poulinières (chiffres Rhône-Alpes)
Nombre d'emplois : 1 390
Installation : une dizaine chaque année
(Chiffres 2013 - source : Conseil de la filière cheval Rhône-Alpes)