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Co-reportage avec France bleu Isère

Vie du sol : l'agronomie plutôt que la chimie

Pour endiguer le phénomène d'érosion et réduire sa consommation de produits phyto, Luc Chausson, agriculteur à Vernioz (Isère) s'est converti aux couverts végétaux et au non labour. Mais il ne s'interdit pas le glyphosate pour lutter contre l'ambroisie.
Vie du sol : l'agronomie plutôt que la chimie

Comme beaucoup d'agriculteurs, Luc Chausson s'agace à chaque fois qu'il entend parler de son métier dans les médias. « On est dans un monde où les gens n'ont qu'une vision des choses, déplore-t-il. Quand ils parlent du glyphosate par exemple, c'est chaque fois à charge. Mais il y a des situations où l'on ne peut pas faire autrement ! » C'est pour cela qu'il a accepté de témoigner sur l'antenne de France bleu Isère, à l'occasion de la foire de Beaucroissant.

Agriculteur à Vernioz, Luc Chausson a pris le parti de l'agronomie plutôt que celui de la chimie pour améliorer la structure et la vie de ses sols.

Producteur de céréales et référent ambroisie dans sa commune de Vernioz, l'homme sait de quoi il parle. La vie du sol, il connaît. Producteur de blé, de maïs, de colza, de tournesols et de semences de luzerne, il s'y intéresse de près depuis une vingtaine d'années. Il s'est d'abord penché sur les couverts végétaux, puis sur les techniques culturales simplifiées (TCS).

Erosion des sols

Avant, Luc Chausson labourait. Il aimait passer la bineuse dans ses maïs. Mais il a arrêté il y a deux ans pour rejoindre les rangs des partisans de l'agriculture de conservation. Aujourd'hui, il ne laboure pratiquement plus ses 75 hectares de terre, sauf deux hectares de maïs irrigués. « C'est parti d'une réflexion sur l'érosion des sols au début des années 2000, explique-t-il. J'avais remarqué que les années pluvieuses, quand je travaillais les sols et qu'il pleuvait, ça enlevait le limon. Toute la terre partait au ruisseau. Une année, j'ai laissé une parcelle en jachère : les plantes ont permis de conserver la terre en place. Comme j'avais entendu parler de l'agriculture sous couverts, j'ai tenté. »

Démarche agronomique

Ça n'a pas été simple. D'autant que Luc ne connaissait pas trop la technique et qu'il n'était pas forcément bien équipé. Mais l'intérêt agronomique de la démarche, qui permet aussi d'apporter de la matière organique et de lever le pied sur les phytos, le séduit : il sait qu'il est dans la bonne direction. A force de discuter avec des collègues en butte au même type de problèmatique, il décide d'aller plus loin. En 2011, il s'associe avec cinq autres exploitants pour monter une structure expérimentale : le Groupement d'intérêt économique de la Varèze. Une première en Isère à l'époque.

Grâce à ce nouvel outil, les agriculteurs peuvent prétendre à des aides importantes pour investir dans du matériel spécifique (semoir, bineuse, herse-étrille, strip-till...), et donc se lancer dans les faux semis et les couverts végétaux. « Le but, c'est d'utiliser moins d'engrais et moins de pesticides quand c'est possible », résume Luc qui, dans la foulée, s'essaie aux TCS « par curiosité et pour gagner du temps : il suffit de passer un coup de déchaumeur au lieu de labourer pour préparer les sols ».

Producteur de céréales et de semences à Vernioz (Isère), Luc Chausson utilise un strip-till depuis quatre ans, ce qui lui permet de travailler la ligne de semis sans bouleverser la vie du sol.

Les résultats sont encourageants : les phénomènes d'érosion régressent, vers de terre et bactéries prospèrent, le sol se structure et la consommation de gasoil diminue. Mais ça n'enrichit pas la terre qui, depuis des années, à tendance à s'apauvrir. En 2013, le céréalier se convertit au strip-till, une technique qui permet de travailler la ligne de semis sans toucher au reste du sol. « La couverture reste, ça conserve l'humidité, comme un mulch, et ça réduit la levée des adventices », explique-t-il. Et donc l'usage des herbicides. La décomposition des couverts apporte en outre une fertilisation localisée qui limite d'autant le recours aux engrais, soit une centaine d'unités azotées économisées. La boucle est bouclée.

Ambroisie

D'ici deux ans, Luc espère passer toutes ses céréales en semis direct sous couverts. Reste le problème de l'ambroisie. Un fléau difficile à endiguer sans le recours à la chimie quand on est en non-labour. « Cette année, derrière le blé, j'ai fait 20 hectares de couverts pour faire du maïs l'an prochain, décrit-il. Sur trois d'entre eux, j'ai dû passer du glyphosate à cause de l'ambroisie et des graminées. Ailleurs c'était propre : je m'en suis passé. Mais sur les rangs où les adventices se sont installées, elles ont concurrencé les couverts qui n'ont pas pris comme il fallait. Il faut dire aussi que je les ai semés un peu tard, parce que je n'avais pas fini mes moissons. »

Renoncer au glyphosate

En dépit de quelques revers, Luc se dit heureux de s'être réapproprié la technique du semis direct : « Nous sommes d'éternels apprentis : on a parfois des échecs, mais on s'en nourrit. » On le devine même fier d'être parvenu à réduire drastiquement sa consommation d'engrais et de produits phytosanitaires, notamment avec l'appui du groupe Dephy monté par la chambre d'agriculture en 2016. « Moi, je suis agriculteur pour gagner ma vie, pas pour faire du pognon, dit-il. L'environnement, ça me préoccupe : quand je vois ceux qui font n'importe quoi - parce qu'il faut reconnaître qu'il y a des agriculteurs qui ne sont pas sérieux - ça me met en rogne. Quand on peut se passer d'un produit, on s'en passe : c'est moins cher et ça fait moins de boulot. Mais le zéro phyto, je n'y crois pas. C'est comme si on disait qu'il fallait se passer de médicaments. Ou alors il faut passer en bio, ce qui demande d'être très pointu et d'avoir des sols qui ressuient rapidement. » Luc Chausson a pourtant bien conscience qu'il lui faudra bientôt renoncer au glyphosate. Comment fera-t-il ? « On s'adaptera, comme on a toujours fait. »

Marianne Boilève

 Ecouter le reportage d'Elisa Montagnat, diffusé sur France bleu Isère le 14 septembre, à l'occasion de la foire de Beaucroissant

 

Groupe Dephy : les agriculteurs jouent collectif

Animés par la chambre d'agriculture de l'Isère, les groupes Dephy ont pour mission d'aider les agriculteurs à réduire leur consommation de produits phytosanitaires. Objectif sur cinq ans : baisser de 32% en moyenne l'indicateur de fréquence de traitements (IFT). Comme leurs collègues des groupes Dephy Polyculture-élevage et Dephy Noix, une douzaine d'exploitants en grandes cultures ont adhéré à ce projet collectif dans la perspective de réduire leur IFT via le désherbage mécanique, de développer l'autonomie décisionnelle (ne plus dépendre des techniciens pour prendre des décisions et savoir observer sa parcelle) et de faire le lien entre pratiques culturales et vie biologique du sol. « Le groupe Dephy, c'est l'occasion d'échanger, de comparer nos techniques, résume Luc Chausson qui, sans en faire part, l'utilise comme canal d'information. Ça permet de comprendre pourquoi le problème est apparu et de trouver le moyen de le résoudre. Notre objectif est de recourir aux phytos avec parcimonie en utilisant les fenêtres favorables pour diminuer les doses de manière active. Et puis d'avoir des sols vivants, car ça permet de détruire les matières actives présentes dans le sol : les bactéries sont de formidables outils de dépollution. Même si je n'aime pas trop ce mot...» 
MB