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« C'est marrant de conduire ! On bouge pas la corde et les chevaux avancent tout seuls... » Les deux mains cramponnées sur les rennes, Alex ne boude pas son plaisir. Le vocabulaire n'est pas au point, mais la technique vient toute seule. Comme ses copains de classe avant lui, le jeune garçon vient de prendre place aux côtés de Denis Beaumelle, le « cocher », pour apprendre à guider les chevaux et conduire l'attelage. Manzi et Qugus, les deux cobs normands qui tirent le chariot, n'ont pas l'air de s'en formaliser outre mesure. L'un d'eux largue sans complexe une série de crottins qui font éclater de rire la dizaine de gamins assis dans l'attelage.

En ce début juin, la journée d'école des élèves de CM2 de Pommier-de-Beaurepaire a un goût de classe verte. Partis du village le matin, les enfants ont pris la clé des champs. Répartis à bord de deux chariots bâchés, mis à disposition par des prestataires locaux (Les attelages de la Bièvre, de Saint-Hilaire-de-la-Côte et Le Loisir est dans le pré, de Cessieu), ils (re)découvrent un paysage qui leur est familier à une place et un rythme qui ne le sont pas. Attentifs à tout, ils s'interpellent, remarquent, commentent... « Il y a une vie à l'intérieur de l'attelage, témoigne Christine Sionnet, professeur de sport à l'origine du projet. Nous passons lentement et les enfants ont tout le loisir d'observer le paysage qui défile. A pied, ce ne serait pas pareil : ils ne feraient pas groupe de la même façon. A vélo ou à cheval, leur attention ne serait pas aussi disponible. »

Vivre le paysage en mode doux

Ancienne danseuse, Christine Sionnet est référente « sports de nature » à la direction départementale de la cohésion sociale (anciennement « Jeunesse et sport »). Cette sortie scolaire en attelage, elle en rêve depuis qu'elle eu connaissance du projet initié par l'association Isère Cheval Vert, « L'attelage en Bièvre-Valloire, une activité accessible à tous », labellisé l'an dernier par le conseil général et le syndicat mixte du Pays de Bièvre-Valloire. L'idée fait son chemin : « J'avais envie d'un projet pour les écoles, où l'on vivrait le paysage autrement, en mode doux », confie la prof de sport. La voilà qui fait fonctionner son réseau, démarche Isère Cheval Vert et parle du projet à une étroite connaissance, chargée de mission architecture au CAUE Isère. Ça tombe bien : Isabelle Berruyer-Steinmetz, architecte spécialisée dans l'aide à la maîtrise d'ouvrage auprès des collectivités territoriales, a l'habitude d'animer des interventions pédagogiques en milieu scolaire. Il ne reste plus qu'à trouver une classe-cobaye : Marie-Hélène Méténier, institutrice à Pommier-de-Beaurepaire, se porte volontaire.

Quelques semaines plus tard, au printemps 2014, la première édition d'un projet scolaire sur mesure voit le jour. Baptisée « Vivre le paysage en attelage », elle propose à des élèves de CM2 d'associer découverte du monde du cheval et éducation au regard sur le patrimoine architectural et paysager. Trois séances d'échanges en classe sont programmées pour préparer le clou du projet : une sortie en attelage début juin. Fin avril et mi-mai, une équipe du CAUE Isère intervient en classe sur le paysage et le patrimoine bâti. Cartes, photos, plans de cadastre, séances de « croque-paysage » et sorties sur le terrain sont mis à profit pour apprendre aux enfants à faire le lien entre un site et sa représentation, découvrir les notions de volume, d'espace et de matière, ainsi que les différents modes et matériaux de construction. Quelques jours plus tard, c'est au tour d'Isère Cheval Vert d'apporter aux élèves des connaissances sur le cheval (histoire, élevage, déplacements, travail, sport, loisirs...) et les différents métiers qui lui sont liés.

Débrider les imaginaires

La date de la sortie approche. Choisie pour sa proximité avec le village de Pommier, la boucle de Faramans est préalablement repérée à vélo par les deux complices, Isabelle et Christine, qui construisent le programme de la journée au fil du paysage et de leurs compétences respectives. Les imaginaires se débrident : que peut-on faire d'extraordinaire dans ces lieux ordinaires ? L'une voit une séquence d'expression chorégraphique sous les noyers, l'autre s'inspire du « génie des lieux » et rêve d'un atelier « mandala » dans un sous-bois. Lecture de paysage, séances de cadrage et de croquis, observation de l'architecture en pisé, sensibilisation au sport/handicap : les idées s'enchaînent, dans une belle et complexe cohérence. « Nous avons voulu alterner les haltes et les déplacements, de façon à permettre aux enfants d'appréhender différemment le territoire qui est le leur, explique Christine Sionnet. Il s'agissait aussi de leur faire vivre l'attelage, pas seulement de l'utiliser comme un moyen de transport. »

Objectif atteint. Au matin du jour J, les enfants montent dans les calèches, tout excités. Mais au fil du paysage et des ateliers, on les sent plus tranquilles, attentifs et intéressés par tout ce qui les entoure. Ils éprouvent des sensations nouvelles, sentent l'air et le vent dans le visage, l'odeur des chevaux, apprécient le rythme lent et le « cloc cloc cloc » de leurs pas sur le sol. « Rien ne leur échappe, apprécie l'institutrice, Marie-Hélène Méténier. Ils construisent leur regard, établissent des liens entre les éléments du paysage. Et puis ça crée une belle cohésion. »

De retour au village, les enfants, heureux, ont compris avec leur cinq sens et leur intelligence ce qui fait la spécificité d'un lieu. « Ils habitent là. Des galets et du pisé, ils en voient tout le temps, explique Isabelle Berruyer-Steinmetz. Mais avant ce travail, ils ne savaient pas que c'était leur richesse, leur patrimoine. A présent, ils en auront sans doute un peu plus conscience. »

Marianne Boilève

Le CAUE, avocat du paysage

Le travail réalisé avec l'école de Pommier-de-Beaurepaire, le CAUE Isère (1) l'entreprend aussi bien avec les enfants qu'avec des particuliers, des élus et des collectivités. Cela fait partie intégrante de ses missions (2). Interventions en milieu scolaire, sensibilisation au paysage et au patrimoine bâti, balades urbaines et paysagères, formation pour concilier territoire patrimonial et urbanisme durable, à chaque fois le principe de la démarche est le même : il s'agit de sensibiliser les différents publics aux grands enjeux territoriaux que sont l'urbanisme, l'architecture, l'environnement et... le paysage. Constituée d'architectes, de paysagistes, de géographes, d'urbanistes, de juristes et de spécialistes des questions environnementale, l'équipe s'attache à donner aux différents publics des « clés » pour décrypter les processus complexes de l'aménagement des territoires. « Ce qui nous anime, explique Isabelle Berruyer-Steinmetz, c'est de faire comprendre aux gens la spécificité d'un endroit, le « génie des lieux » qu'ils habitent. Qu'est-ce qui fait qu'on est dans le juste ou le pastiche ? Ce que nous espérons, c'est que notre message devienne un objet de discussion et de débat. Pour qu'à terme, on n'ait plus les mêmes lotissements partout... »